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Jondura, Jondura de Yann Miralles (par Sylvie Durbec)

Par Florence Trocmé

du passé dans le présent  
encore s’emmêle
 

Miralles
Ce beau recueil au titre énigmatique a reçu le prix Ilarie Voronca en 2010. Il est publié par l’éditeur Jacques Brémond. Le titre choisi par Yann Miralles est une sorte de clé secrète puisqu’il est lié au Cante jondo, chant gitan, rappelant ainsi le lien avec l’Espagne (celle du nom, celle de son père) mais aussi, outre ce chant venu du ventre, comme le nomment les spécialistes du flamenco, un mot que les lecteurs français pourraient entendre comme un équivalent redoublé de « J’endurais ». 
En tout état de cause, c’est la voix, le chant, la parole qui sont là, d’emblée. 
Des premiers mots aux derniers,  
 
une phrase aussi creuse sonore…( page 11) 
 
à 
 
j’y reviens (page 61) 
 
ce sont des sons qui traversent le lecteur, celui d’une voix et de lieux que le poète dit dans la langue qu’il tente, langue de silence pour dire un pays du passé d’où il vient et vers lequel il revient jusqu’à la fin du recueil. Les trois parties qui le composent, Cloches, Déclic Déclenchement et l’Après-voyage, se lisent comme un déplacement dans un « remuement/ de passé sur la surface / parfaite du présent »  où le lecteur rencontre aussi bien un comédien de théâtre, le torero Nimeno II, et la Catalogne, et où se dessine, outre la mer et une ville, la silhouette de deux enfants. Le paysage (ce qui est devant soi : « s’en remettre/ à cela seul devant:/les yeux/les siens (…))  est clairement le moteur/ le motif de l’écriture de Yann Miralles car le théâtre, un film ou encore le front de mer lui sont un paysage sonore et visuel déclenchant l’écriture.  
 
Ce qui requiert ici, c’est comment le poète trace le mouvement du temps dans ses textes et sur ce « carnet rouge »  qui enferme et délivre à la fois le poème, celui que la lectrice lit rapidement et sur lequel elle écrit en anglais quelques mots, comme si, justement, la langue du poème ne pouvait s’écrire dans la même langue. Intrusion subtile que le poète donne à voir à peine. Peut-être est-ce la raison - cette présence nécessaire de la lecture - qui le pousse à établir un lien entre la couleur du carnet et celle de ses joues : 
 
de la grande ville je retiens 
le rouge 
du carnet comme de mes joues 
quand tu le prends et presque 
me l’arraches des mains 
pour y lire 
feuilleté 
du pas grand chose 
(page 51) 
 
Il y a là dans cette écriture quelque chose d’émouvant et de fugitif comme les images de film super 8 évoquées dans la partie consacrée au torero Nimeno II, figure emblématique de la tauromachie nîmoise mais aussi figure du deuil, celui de l’enfance et de l’héroïsme. Les images disputent à l’effacement un peu de présence. Ainsi le poème s’ancre non pas dans un lieu réel comme les arènes mais plutôt dans un paysage de la mémoire (celui d’un film), image d’une scène du passé où deux enfants courent sur un chemin, les montrant : 
 
jouant avec de faux taureaux 
les tuant 
(page 35) 
 
Le poète est celui qui retrouve ce qu’il n’a jamais connu. Il s’agit pour lui de retrouver son lieu dans la voix, ce que l’on pressent lorsque Miralles écrit : 
 
dans son regard celui 
on dirait espagnol 
de mon père 
(page 37) 
 
Et ce regard, c’est à la fois celui de l’enfant Nimeno II et celui du père du poète. Voilà bien ce que produit le poème : ce remuement  qui fait affleurer un pays, une langue, ce que Lacan nommait le centre d’inconnu. 
Il y a là une manière d’évoquer la douleur qui se cache sous un rire, manière cocasse de dire  ce qui passe : 
 
les pieds dans le plat est l’expression 
toute pour moi et tu ris

 
ou les souliers mouillés  
 
ils auront  
tout de temps 
de sécher 
dans le soleil dur et le carnet le poème 
continués 
(page 59) 
 
Et le lecteur revient lui aussi vers ce lieu et ces détours  du temps que le poète redécouvre : 
 
parce que les pierres 
sont du gard on l’a 
connu
 
Un ensemble où se fait entendre une voix tremblée et pourtant présente, qui donne envie d’en entendre encore, des histoires  de cette mémoire au « chant sans bouche » parce que se construit là un vrai silence d’écriture, celui de Yann Miralles. Comme ces mots dont il dit qu’ils auraient pu être le titre du poème : le regard noir enfant du torero( c’est un titre 
possible au poème

mettant l’accent encore une fois sur cette distance de soi à soi que permet la poésie. 
  
[Sylvie Durbec] 
 
Yann Miralles, Jondura Jondura, éditions Jacques Brémond, automne 2011, 15 € 


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