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Notes sur la création : Georges Guillain

Par Florence Trocmé

IDENTITÉ POÉSIE 

Ce que l’on peut vouloir pour les signes, c’est le plein emploi de leur sens, non la garde d’une signification avérée qui serait la leur sans écart ni tremblé. L’énoncé « un chat est un chat » représentant ici l’exact opposé de toute approche effective de ce qu’est le sens, mais l’on sait à quel point il plaît et combien il revient comme l’ultime recours quand de l’identité, justement, commence à se manifester, c’est-à-dire à s’exercer selon la puissance de son devenir. »
J.C. Bailly, Le Dépaysement, P 407, L’hypothèse du bariol. 
 

 

Je viens de recevoir un petit livre de D. que je ne connais pas. Une vraie note déprimée sans cesse retournée sur elle-même, mais tranchante aiguisée, juste, dans sa couleur, sa tenue. Il s’agit là aussi de paysage. Paysage rentré mais sans être étouffé, incisé, déchiré qu’il est de beaucoup d’éclats des dehors. Poésie comme toujours qui dit l’être difficile au monde. Bassine bleue. Mais un monde fortement centré, ramené à sa manière, sa matière, de tête, sans les grands rêves, les grosses illusions qui emportent, les chaleurs collectives qui embrassent. Voilà qui m’a fait bien penser à la tonalité si particulière du premier G. Un G. sur ce plan plus coupant. Aux fenêtres brisées davantage.  
Me l’adressant, B. son éditrice, s’inquiète de savoir de moins en moins ce qu’est la poésie. Questionnée m’écrit-elle par ces espaces à chaque fois nouveaux, où les auteurs qu’elle publie l’emmènent. Mais chaque livre ne doit-il pas être cela : l’ouverture d’un territoire neuf, inédit ? Serge Martin écrivait qu’à trop chercher la poésie, les poèmes se perdent. Ajoutant qu’il ne fallait pas parler de poésie mais de poèmes. Et je crois qu’il a raison. La poésie dans son essence est difficile à circonscrire, aujourd’hui surtout que les genres ne cessent de manifester une perméabilité de plus en plus grande à mesure que le langage courant s’est mis à devenir, lui, plus trouble. Que l’imposture, la roublardise et la malhonnêteté gagnent. Plus on parle de poésie aujourd’hui, qu’on en revendique la part, et partout, moins on en lit. Plus les éditeurs crèvent !!! 
 
Ce qui me tient, dans ce territoire indéfinissable de la poésie, c’est l’évidence d’altérité. Qui n’est pas loin de me servir à moi de politique. On sent bien à l’école toujours dans cette façon dont les programmes cloisonnent les genres, dans cette habitude, cette paresse qu’on entretient, de commencer par aborder la poésie par la versification, les règles, par exemple souvent du sonnet, qu’on voudrait comme assigner  la poésie à une sorte d’identité majeure, la montrer dans son essence indépassable de modèle exemplaire, attitude qui ne me paraît pas très éloignée de ce qui se passe dans les débats qu’on a voulu imposer sur la fameuse identité nationale.  Une simple fréquentation de la poésie d’aujourd’hui montre à quel point cette attitude est corruptrice. Qui rejette l’évidence de « multiplicité ». De mobilité surtout des existences. Impose une vision cadenassée des avenirs possibles. 
 
Il faudra bien que notre système de formation – pour ne rien dire du politique - prenne quand même un jour à bras le corps cette question de la définition, de la part laissée à la différence, à l’ouvert. Qu’il s’inquiète enfin de la violence des formules. Ce qui ramène peut-être aussi au poème de D. Dont on sent qu’il comprend combien toute nomination n’est qu’une façon de brutaliser le réel. De s’enfermer parfois aveuglément dans le langage. Qui ne peut alors que rater sa cible. Ce qui ne signifie pas qu’il soit du tout inutile. Mais qu’il importe avant tout de le savoir. D’œuvrer en connaissance de cause. Pour sortir des slogans, des points morts du discours (1). Faisant des mots non plus le point d’aboutissement de la parole mais les signes dynamiques d’un élan, balises donnant à voir une énergie, l’ouverture hasardée d’un passage, redonnant pour un instant corps et vie à toutes ces étendues supposément conquises.  
Pour s’affranchir, encore et toujours, des vieilles cartes mortifères. S’inventer de nouveaux et surprenants voyages.  
 
[Georges Guillain] 

1. Points morts qui m’apparaissent de plus en plus évidents dans cette poésie qui continue de se faire de la langue sur la langue. Ressassant leur Blanchot, jamais lu…. Leur impuissance à éprouver même qu’un peu la physique du monde. 


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