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Une histoire drôle

Publié le 30 novembre 2011 par Stéphan @interpretelsf

Récemment, au cours d’une vacation, une charmante collègue interprète en langue des signes française (oui, je sais, c’est un pléonasme, toutes les interprètes en LSF sont charmantes) me rappelait cette histoire drôle qui circulent dans la communauté sourde.

« Alors qu’il traverse un carrefour dont les feux tricolores sont en panne, Pierre un aveugle est renversé par un énorme camion et meurt sur le coup. Quelques jours après ont lieu ses funérailles. Se succèdent discours et hommages larmoyants soulignant son grand cœur. Puis à l’issue de la cérémonie, chacun s’approche du cercueil et jette une rose rouge ou blanche. Et on l’enterre non sans avoir au préalable déposé sa canne blanche dans la fosse.
Quelques semaines plus tard, une jeune femme paraplégique, Marie, se tue après avoir perdu le contrôle de son fauteuil roulant dans la descente de Montmartre. Ses amis et sa famille se retrouvent au cimetière du Père Lachaise pour lui rendre un dernier hommage et on l’enterre en ayant fait un trou plus large que d’habitude afin d’y placer, à ses cotés, son fauteuil roulant.
Peu après, Henri est tué par un pot de fleur qui lui est tombé sur le crâne alors qu’il se promenait dans la rue. Sourd, il n’a pas entendu les cris le mettant en garde. Il est enterré quelques jours plus tard et pour que chacun puisse comprendre les discours des uns et des autres un interprète en langue des signes traduit vers le français ou vers la LSF.

Question : une fois la cérémonie finie, avec quoi va-t-on l’ensevelir ?
Réponse (livrée avec jubilation, au moyen d’un vigoureux et double claquement de main) : « avec son interprète, bien sûr ! »
Pour comprendre pourquoi les mains claquent voici le signe en LSF pour [INTERPRETE] :

Une histoire drôle
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Au delà du caractère hilarant (ou pas) de cette devinette, cette histoire est intéressante car elle est révélatrice de l’ambivalence des relations que les sourds signeurs ont parfois avec les interprètes, personnages d’une importance cruciale pour lesquels ils ont inévitablement des sentiments contradictoires.
En face d’eux à chaque événement important de leur vie (mariage, visite médicale, entretien d’embauche, discours de fin d’année, réunion scolaire, permis de conduire…) afin d’assurer une bonne communication avec la communauté des entendants, leur présence est aussi le rappel constant d’une différence sociale, des difficultés rencontrées à s’intégrer au sein de la société.
Il devient alors amusant de se moquer de l’interprète, voire de le « rabaisser » (gentiment) en l’assimilant à un objet ou à une machine. Il s’agit en quelque sorte de le « remettre à sa place » via l’humour.

De nombreuses variantes attestent de la popularité du thème.
Une première intercale, entre la paralytique et le sourd, un malentendant que l’on enterre évidemment avec ses appareils de correction auditive ce qui renforce le caractère « mécanique » de l’interprète.
Une seconde, qui situe l’action à Lourdes, ne laisse aucun doute sur le peu de cas que l’on fait de l’interprète dès que l’on n’a plus besoin de ses services : miraculés, l’invalide, l’aveugle puis le sourd se débarrassent successivement de leurs différents accessoires devenus inutiles en les jetant dans l’eau qui vient de les métamorphoser,
Une troisième variante, moins malveillante pour l’interprète, situe l’action à l’Institut Saint Jacques à Paris, au pied de la statue de l’abbé de l’Épée auquel tous les handicapés viennent rendre hommage. Les handicapés physiques apportent des monceaux des fleurs, les aveugles leurs cannes et donc les sourds… leurs interprètes.
Enfin une autre variante introduit un peu de logique dans cette histoire saugrenue : ces ensevelissements successifs sont autant de précautions pour la vie future, et c’est donc rendre un hommage implicite à l’interprète que de reconnaître que l’on ne saurait s’en passer, même au ciel (étonnamment c’est la version préférée au sein de notre profession et notre ego en frétille de joie dès qu’on l’entend).

D’autres exemples soulignent cette volonté de désacraliser cette fonction. Ainsi, fondée sur une homonymie, une blague consiste à demander pourquoi [INTERPRETE] et [BIFTECK] sont un seul et même signe (ce qui est effectivement le cas) ? C’est que « l’interprète aussi, on a souvent envie de le bouffer » (bien saignant sans doute).

Pour être honnête, il faut préciser que ces blagues pour être réellement drôles doivent être signées et non lues ou racontées en français. En effet, les langues des signes, étant visuelles, permettent l’imitation, des prises de rôles, ou de jouer avec l’iconicité, porteuse en elle-même d’une grande charge comique… Mais nous entrons dans le domaine des linguistes et je m’éloigne de mon propos (donc je m’arrête ce qui m’arrange car je n’y connais pas grand chose).

Concluons plutôt par une histoire drôle en langue des signes. C’est l’histoire d’un homme qui se promène dans la forêt et qui se retrouve dans des toilettes mais sans papier WC. Heureusement son voisin de cabine va lui proposer une solution… Même sans être un as en LSF vous devriez comprendre la chute.

Si vous êtes intéressés par le thème l’humour et le handicap et l’humour sur le handicap, je vous conseille cette émission de L’Oeil et la Main intitulée : Le Bouffon et le Boiteux : http://bit.ly/humouroeiletlemain

A noter aussi les nombreuses recherches effectuées par Yves Delaporte, ethnologue qui se consacre depuis 1994 à l’exploration du monde sourd, sur « le rire sourd ».



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