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Mélenchon et Bayrou, comme Dupont et Dupond

Publié le 30 novembre 2011 par Variae

Dès la diffusion des propos de François Hollande ouvrant la porte à un rassemblement présidentiel incluant le MoDem, Jean-Luc Mélenchon a jailli tel un diable rouge sur son ressort. « Quand François Hollande tend la main à François Bayrou», il «tranche d’une manière incroyable un débat constant des socialistes au cours des 15 dernières années». Ce débat «consiste à dire: pas d’alliance avec le centre, alliance à gauche […] J’ai dit depuis le début, au nom du Front de gauche: nous n’irons pas dans un quelque gouvernement que ce soit où il y aura des centristes […] François Hollande propose de faire un trait d’union entre le centre et le Parti socialiste dont il sait qu’il aboutit à un divorce avec la gauche. »

Mélenchon et Bayrou, comme Dupont et Dupond

Feu sur les centristes, parce qu’ils sont centristes ! Étrange délit de sale gueule – ou plutôt de sale étiquette politique – pour quelqu’un qui explique par ailleurs doctement que « la gauche ne peut se rassembler que sur des éléments de programme, non pas sur des apparences ». Et alors, camarade Mélenchon, si Bayrou venait à la gauche sur nos conditions, comme l’envisage François Hollande, et donc sur des éléments programmatiques partagés, ton raisonnement tiendrait-il toujours ?

De cela il n’est, évidemment, jamais question. L’anti-bayrouisme est une donnée structurante du discours du Parti de Gauche qui s’échinait même, au moment des régionales 2010, à produire des plaquettes démontrant l’appartenance à la droite du parti orange. Cette « tradition » interne est directement issue du processus de création du Parti de Gauche, dont l’argument de scission avec le PS était précisément la prétendue victoire, au Congrès de Reims, des sociaux-démocrates, ce congrès s’étant lui-même fait – y compris entre « sociaux-démocrates » – sur le refus ou l’acceptation d’une éventuelle alliance avec le MoDem.

Cette question est en fait centrale dans le projet politique même de Jean-Luc Mélenchon, qui consiste, depuis 2008, à renier l’héritage mitterrandien de l’union de la gauche pour professer l’existence d’une « autre gauche », la sienne, qui serait fidèle à ses valeurs, par opposition aux réformistes mous, presque génétiquement suspects de traitrise et de dérive (à la sud-américaine) vers le centre puis la droite. Quand Mélenchon quitte le PS avec cette doctrine, il espère faire exploser la vieille maison, et en récupérer l’aile gauche. On sait ce qui arriva : seule une petite poignée de militants, recouvrant en gros l’ancien courant PRS, participèrent à la scission, tandis que le nouveau patron de la gauche du parti, Benoit Hamon, intégrait la direction de Martine Aubry. Mélenchon se retrouvait alors à la tête d’un groupuscule réduit à vivoter dans l’interstice entre PS, PC et mouvements d’extrême-gauche. Interstice certes brillamment exploité, jusqu’à chiper la candidature à la présidentielle aux communistes. Mais on est malgré tout bien loin de l’objectif initial d’un grand schisme fondateur : comme le prouvent les primaires citoyennes ralliant de Valls à Montebourg, les fondations de la vieille maison ont finalement tenu bon.

Il y a un autre candidat de 2012 qui regarde avec anxiété l’évolution des débats internes au PS. Il s’appelle François Bayrou. En 2007, il avait marché sur les plates-bandes électorales du parti socialiste, assez pour mettre en doute la présence de Ségolène Royal au second tour. Il n’a cessé d’expliquer, au sujet de la majorité centrale qu’il appelle de ses vœux, que des hommes qu’il « respecte », comme DSK ou Michel Rocard, y ont toute leur place. François Bayrou a en fait le même problème que Jean-Luc Mélenchon : tant que la vieille maison tient, son espace politique est plus que réduit, coincé entre les sommations de l’UMP, le marigot de centre-droit, et le PS – allié qui plus est à EELV, qui aurait pu être un partenaire envisageable pour lui.

L’extrême-centriste et l’extrême-socialiste ont donc un intérêt commun : l’explosion et la division du PS, entre réformistes fréquentables par le centre, et vraie gauche récupérable par le Front du même nom. Mais ce n’est pas tout : ils sont mutuellement nécessaires l’un à l’autre pour exister et justifier leurs stratégies réciproques. L’un est l’épouvantail de l’autre. Bayrou au sujet de Hollande : « c’est quelqu’un que je respecte, même si je pense aujourd’hui qu’il est prisonnier d’un programme et d’alliances qui ne peuvent pas répondre aux difficultés du pays » (alliance avec EELV, alors que dire d’un éventuel rapprochement ultérieur avec le Front de Gauche !). Quant à Mélenchon, on relira sa montée au créneau sur la simple évocation de Bayrou, que je citais au début de ce billet.

Le parti socialiste qui attire 3 millions d’électeurs sur un panel de candidats allant de Montebourg à Valls et Baylet est le pire cauchemar du MoDem comme du Parti de Gauche. Il préfigure en effet l’alliance entre centre-gauche et gauche « dure » qui est censée être, selon le MoDem comme le Parti de Gauche, impossible par essence. Une alliance qui ôte leur raison d’être et leur plan marketing électoral à chacune de ses deux formations. On comprend mieux,  à cette lumière, certaines réactions aussi pavloviennes que théâtrales.

Romain Pigenel


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