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Les enfants de Babel, 7, ID : Cyberpunk

Par Marcalpozzo

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« Résister à la technologie en tant qu’outil de contrôle et d’abus ? Oui, bien sûr, on doit être constamment en alerte et sur nos pieds. C’est important d’acquérir une connaissance sophistiquée de ces outils. Il n’est pas possible de simplement tourner le dos et ignorer, il faut apprendre à utiliser le Cyberspace, cet espace où nous sommes. Et si nous sommes concernés par la politique et les considérations sociales qui régissent ce monde, il faut agir au mieux dans cet espace ? C’est notre territoire, celui que nous devons assumer et dont nous devons préserver la liberté », R.U. Sirius, co-fondateur de Mondo 2000.

 Le « cyberpunk », avant d’être un mouvement underground de pirates informatiques, est avant tout un mouvement littéraire, dont le pape est William Gibson. Le terme même de « CYBERPUNK » est la contraction des termes : « Cyber » qui désigne la « cybernétique », c’est-à-dire l’art de gouverner, et, de là, les nouvelles technologies associées notamment à l’informatique et à l’Internet et ses réseaux virtuels ; et « Punk » renvoyant au célèbre mouvement de contre-culture de la fin des années 70, qui porte ce nom.

 Certes, pour les punks de l’époque, les nouvelles technologies associées à l’informatique sont aliénantes : ces punks n’avaient aucun espoir dans le futur de l’humanité, d’où l'expression si célèbre - au point d'être aujourd'hui vidée de sa substance : « No future ! » Leur « outil de communication » n’était autre que leur propre corps, qu’ils utilisaient de façon provocante. Et leur projet était à terme, l’autodestruction d’eux-mêmes ; une philosophie mise en lumière par la réflexion de Tyler Durden dans Fight Club de Chuck Palahniuk : « Peut-être que l’amélioration de soi n’est pas la réponse. (...) Peut-être que la réponse, c’est l’autodestruction. »

 Les cyberpunks en revanche voient dans les nouvelles technologies une libération possible. Ils portent en celle-ci un espoir probable de transformation de la vie sociale.

 Progressivement le « cyberpunk » devient à la fois un mouvement littéraire et une contre-culture. Un mouvement de contre-culture, ou plus précisément de culture rebelle : rebelle contre l’establishment. L’establishment informatique, économique, et juridique entre autres... Les cyberpunks sont des gens qui cherchent à se libérer. Ce sont des idéalistes qui rêvent d’un monde meilleur. Et cette réflexion nourrit la littérature cyberpunk. Un « sous-genre » littéraire pour l’académie des lettres, puisque le mouvement cyberpunk investit essentiellement le monde de la SF, mais un genre majeur pour les amateurs. Une science-fiction qui se déroule à l’ère de l’urbanisme et les réseaux informatiques, ce qui est complètement nouveau. Certes il y eut déjà beaucoup d’auteurs du genre qui réfléchirent aux rôles de la machine, à sa compétition avec l’Homme, bien avant le mouvement cyberpunk, mais toutes les perspectives à la fois fascinantes et effrayantes ouvertes par les réseaux et les mondes virtuels n’avaient pas été vraiment entrevues jusque-là.

 Fini les Space-opéra flamboyants, les extra-terrestres méchants et dangereux qui voulaient nous envahir, ou de toutes les mises en gardes écologistes contre les méfaits de la technologie ! Fini donc l’âge d’or, souvent optimiste et naïf ! Les intrigues des livres de cyberpunk ne concernent plus l’exploration spatiale ou les luttes d’intérêts dépassant les millénaires, comme dans la SF traditionnelle. Car, pour le cyberpunk, l’avenir est déjà là !

 Un avenir en forme de cité grise et rouillée en plein naufrage où la haute-technologie et les mondes virtuels côtoient une démocratie sur la brèche. Un avenir qui est en réalité notre vie réelle d’êtres humains, réel dans lequel nous sommes embarqués bien malgré nous, surnageant dans un monde de technologies ultra-avancées. Humains trop humains,plongés dans les technologies modernes, les intelligences artificielles, les nanotechnologies, les réseaux qu’il nous faut maîtriser pour leur survivre. Le premier roman du genre, Neuromancien de William Gibson, paru en 1984, en est la preuve vivante. Cette œuvre pionnière, qui fut aussitôt couronnée d’un succès fulgurant et de tous les prix de SF tels, les prix Hugo, Nebula et Philip K.Dick, nous propose à la fois la panoplie habituelle de la SF, et y ajoute les technologies alors émergentes comme le réseau Internet et la réalité virtuelle. Mais ce qui est précisément marquant dans ce livre emblématique du cyberpunk, c’est l’univers dans lequel William Gibson fait évoluer ses personnages. Sur fond de mégalopoles en décrépitude, il met en scène des corporations sans âme, des hackers au cerveau branché sur le silicium, des avatars paranoïaques et des intelligences artificielles psychologiquement perturbées.... Bref, un avant-goût du film culte de la fin des années 90 : Matrix.

 Ce vaste mouvement de contre-culture dont les écrivains de science-fiction « cyberpunk » sont bien sûr partie prenante, a vécu une évolution semblable à celle qui s’était produite au temps des « beatniks » : le terme avait désigné d’abord un groupe restreint d’écrivains, de poètes américains dont William Burroughs, qui est d’ailleurs très apprécié chez les cyberpunks, avant de devenir l’étiquette même d’un vaste mouvement juvénile de contre-culture. Même si, dans le cyberpunk, le mouvement dépasse largement le cercle de quelques jeunes « branchés », puisqu’on peut aussi trouver au sein du mouvement, des ingénieurs, des informaticiens, des musiciens, ou encore des plasticiens, tous fanatiques de prospectives et de nouvelles technologies.

 D’où le cyber-activisme qui s’y raccroche. L’information peut devenir ainsi un élément de libération et on donne souvent en exemple les hackers, dont le modèle éthique est de rendre la technologie accessible à tous, en décentralisant l’information, ainsi qu’en créant des codes sources plus compréhensibles. Un « hack » est tout objet comportant un minimum de composants technologiques que l’on employait à un usage autre que celui prévu à l’origine. C’est d’ailleurs ainsi que se distingue le hacker d’autrefois, tentant de diffuser de l’information aux masses, de certains hackers modernes qui accumulent à leur seul profit des fichiers textes musicaux. L’hacker originel est un homme qui préfère « programmer plutôt que dormir », et qui, par la révolution de l’ordinateur personnel, libère l’Amérique.

 Les cyber-activistes, c’est-à-dire les pirates informatiques ou hackers respectant l’éthique originelle, ne détruisent pas la technologie, ils la détournent en l’utilisant contre les représentations du pouvoir, que ce soit la police, les méga-entreprises, ou les medias, faisant circuler l’information. Ils ne pratiquent pas l’espionnage industriel : ils « libèrent » l’information pour lutter contre les abus de pouvoir de l’Etat ou des trusts industriels. Pour eux, les nouvelles technologies sont libératrices et non pas asservissantes, car elles font circuler le savoir, et là est la clé de la liberté individuelle.

 Parmi la « cyberpunkitude » française, bien évidemment, on retrouve Maurice G. Dantec –avant qu’il ne tourne mal-, avec ce polar en forme d’ultimatum Les Racines du Mal, que nous avions tous découvert avec grand enthousiasme dans la fin des années 90 ! Beaucoup disent que c’est un polar-culte. J’atteste !

 C’est en réalité bien plus qu’un polar : véritable roman de SF, avant que Maurice G. Dantec ne plonge définitivement dans le genre, ses 636 pages sont une réelle entrée dans un vingt-et-unième siècle à la fois bouleversant et terrifiant. Et à la suite des Racines du mal, Villa Vortex vient confirmer que Maurice G. Dantec est devenu un auteur culte d’une littérature cyberpunk ambitieuse, aussi efficace et solide que ses équivalents américains. Certes le nihilisme politique et la ferveur métaphysique ont pris le pas sur l’intrigue, et si Villa Vortex souffre de quelques longueurs, il est toutefois un roman de SF doté d’un ton ultramoderne, et dont la moindre qualité est de jeter des ponts entre science, littérature, religion, philosophie et divers autres domaines du savoir. Toute l’histoire du Cyberpunk.

 Un littérature en forme d'ultimatum donc, qui annonçait déjà cet ici et maintenant, ultra-technologique, dont la première chose que l'on puisse craindre, c'est qu'à force de s'ajouter des prothèses sophistiquées, l'homme ne dépasse l'humain.

 Bienvenue dans les ruines du futur. N’ayez pas peur !

(Article écrit en 2005 et publié dans la revue en ligne Bellaciao)


Bibliographie indicative :

Gibson William, Comte zéro, J’ai lu.
Gibson William, Mona Lisa s’éclate, J’ai lu.
John Brunner, Le troupeau aveugle, Le livre de poche
Bruce Sterling, Mozart en verres miroirs, Folio SF
Maurice G. Dantec, Les racines du mal, Folio
Maurice G. Dantec, Villa Vortex, Folio SF


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