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Le sentiment européen face à la tentation isolationniste

Publié le 07 décembre 2011 par Delits

L’Europe se découvre être un théâtre, dont les scènes sont ponctuées par l’entrée et la sortie des comédiens. L’intrigue est catastrophiste, le rythme cadencé. Les repères se brouillent, les rumeurs bruissent. Les fantasmes croissent, l’émotion prend le pas sur toute rationalité. Le dénouement est des plus incertains. Le public s’interroge. L’Union ne représente-t-elle pas davantage un boulet qu’une planche de salut ? N’a-t-on pas intérêt à identifier des priorités, à protéger d’abord la Nation ?

La construction européenne surmonte, paraît-il, non seulement les crises, mais celles-ci accélèrent son édification. L’effondrement du projet de communauté européenne de défense en 1954 n’a pas emporté avec lui l’ambition européenne, l’architecture ayant juste été réorientée vers une dimension économique. Plusieurs fortes personnalités, susceptibles quant au respect de leurs prérogatives nationales, ont freiné, souvent sous forme de coups d’éclats, le processus d’intégration. Mais ni la politique gaullienne de la chaise vide ni le rabais britannique (« I want my money back »), n’ont pu, sur le long terme, empêcher les transferts progressifs de souveraineté, nécessaires à la construction d’un marché unique, doté d’une monnaie. Le coût de cette édification a néanmoins été élevé, impliquant déréglementation des marchés, démantèlement d’une partie de nos services publics et abandon de notre souveraineté monétaire. Le poids de la législation d’origine européenne dans notre pays, considérable, représente 80% de l’ensemble de la législation française adoptée chaque année. Les peuples, parfois dépassés par l’ampleur de la construction ou révoltés par sa ligne politique, ont pu être tentés de la défier. Chaque crise issue d’un rejet référendaire a trouvé sa solution : soit on organise un nouveau vote (cas de l’Irlande), soit on fait adopter le texte par voie législative (cas de la France).

Mais la crise que nous vivons se révèle infiniment plus profonde que toutes les précédentes. Elle pousse chaque Etat à la défense de ses intérêts strictement nationaux. Elle constitue un virus potentiellement mortel pour l’idée européenne à un moment où les destins européens et nationaux paraissent pourtant plus conjugués que jamais.

D’UN REVE EUROPEEN A UNE REALITE EUROPENNE

Que les pro-européens se rassurent, il n’y pas de réflexes pavloviens anti-européens. Bien au contraire, le sentiment européen irrigue largement les nervures de la société française. Un sondage Sofres de mai 2011 indiquaient que 94% des Français se sentent citoyens français, et 67% citoyens européens. Dans leur majorité, ils ne perçoivent pas l’Europe comme une menace pour l’identité de la France (64%).

Les Français appellent même de leurs vœux de nouvelles avancées de l’Europe dans des domaines stratégiques. Cet automne encore, ils restent largement favorables à l’existence d’un réel ministre européen des affaires étrangères (72%) ou à la création d’une armée européenne (65%). Ils estiment que son statut de membres de l’UE rend la France plus puissante dans les relations internationales (59%, soit une hausse de 6 points depuis 2004). L’ascension irrésistible des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), largement déstabilisante – les Brésiliens ou les Chinois ne rachètent-ils pas de la dette grecque ou portugaise ? – légitime les Français à souhaiter une Union européenne forte dans le monde.

Pourtant et paradoxalement, leur attachement à la construction européenne reste ténu (53% seulement). Ils se sentent davantage citoyens européens qu’attachés à la construction de l’Europe. L’œuvre de Monnet et de Schuman est un acquis dont le combat peut, à l’instar de la liberté ou pour la paix, être perçu comme daté. Pour preuve, ce sont les personnes âgées de plus de 65 ans qui font le plus part de leur attachement. Pour les autres générations comment quelque chose d’acquis peut-il encore faire rêver ?

ETE 2011 : LE FIL SE ROMPT

Selon l’Ifop, la conscience de l’imbrication des économies européennes est entière, 84% pensant que la zone euro dépend des difficultés grecques : si elle plongeait, la Grèce nous emporterait dans son abîme. Depuis l’emballement de la dette hellène, qui a débouché sur la grave crise actuelle, les Français ont apporté naturellement leur soutien. En décembre 2010, 69% approuvait le plan d’aide à la Grèce et à l’Irlande. En juin 2011, 59% y souscrivait encore pour la Grèce. L’esprit européen prévalait.

Jusqu’à cet été orageux. Une succession de nouvelles alarmistes ont placé la France dans le collimateur. L’indécision des dirigeants européens, l’effondrement des marchés boursiers, la dégradation de la note américaine, la polémique sur les capacités de résistance des banques françaises, l’explosion du chômage, la menace récessionniste, etc. Emerge alors l’hypothèse que la France pourrait basculer du camp des soutenants à celui des soutenus. François Fillon élabore un plan de rigueur donnant un avant goût de ce qui nous attend. L’horizon s’obscurcit. Cette accélération provoque un électrochoc : dès septembre, les Français (avec 32% seulement) ne soutiennent plus la nouvelle contribution financière de la France à la Grèce, d’un montant de 15 milliard d’euros. Ils n’ont pas l’espoir que cet argent sera remboursé un jour à la France (89%).

En novembre, le niveau de soutien à l’aide française est quelque peu remonté (37%), principalement grâce à une remobilisation des sympathisants de droite sur la ligne de Nicolas Sarkozy (ils passent de 30 à 41% de soutien en deux mois). Mais, dans le même temps, les sympathisants de gauche ont apporté un moindre soutien à cette aide.

LA MONTEE DU SOUVERAINISME, NOTAMMENT A GAUCHE

Pour doter l’Union d’instruments efficaces pour mieux se débattre dans la crise, et doubler l’édifice économique d’un pendant politique, un nouveau traité devrait procéder à de nouveaux transferts de compétences. Cheminer vers une logique plus fédérale, tel est l’avis des experts. Mais l’instinct oriente le peuple dans la direction inverse : la majorité des Français est passée du côté des partisans d’une moindre intégration européenne : selon la Sofres, 54% (contre 39%) veulent maintenir la souveraineté du pays, même si cela doit conduire à limiter les pouvoirs de décision de l’Europe. De même, 49% des Français refuseraient un renforcement de l’intégration européenne avec une politique économique et budgétaire unique, selon Ipsos. Les proches du FN sont, sans surprise, nombreux à partager cet avis, mais l’on trouve également beaucoup de sympathisants de gauche (49%), dont au PS (45%). L’UMP est devenue, après le Modem, le parti le plus pro-européen de l’échiquier politique. Cela dit, Nicolas Sarkozy ne remportera pas la moindre élection avec cet unique électorat.

La marge de manœuvre du chef de l’Etat est réduite. La France du « non » en 2005 semble avoir gagné en vitalité ces derniers mois : il faudra pourtant lui faire boire une potion européenne bien amère. Lors de son discours de Toulon II la semaine dernière, Sarkozy a louvoyé en expliquant qu’il fallait davantage d’Europe politique pour …préserver notre souveraineté ! Face à « la peur pour la France de perdre la maîtrise de son destin », davantage de pouvoirs doivent être transférés entre les mains des chefs d’Etats européens, et non de la Commission ou de la Cour de Justice, pour piloter une politique économique à l’échelle européenne. Pour dissiper les ambiguïtés, il a rassuré : « nous refuserons d’effacer nos frontières ».

Les socialistes se sont également engouffrés dans la brèche du scepticisme européen qui se creuse dans son électorat. Ils stigmatisaient le déséquilibre du couple franco-allemand, Angela Merkel tenant manifestement la culotte : la BCE restera indépendante et n’aura pas vocation à financer la dette. Game over.

Dans ce bras de fer, les Français restent relativement indulgents avec Nicolas Sarkozy, 41% estimant aujourd’hui qu’il n’est pas assez ferme avec Angela Merkel. L’image du Président bataillant pour défendre les intérêts français rehausse quelque peu le pavois présidentiel de Nicolas Sarkozy.

VERS UNE ANTICIPATION DE LA FIN DE L’EURO

Les Français s’acclimatent à l’idée que l’euro puisse disparaître : selon l’Ifop, 41% pense qu’il va disparaître sous sa forme actuelle. Une majorité (52%) pense déjà que la zone euro va se séparer en 2 zones, l’une, vertueuse, centrée autour de l’Allemagne, l’autre, laxiste, regroupant les pays du sud.

La monnaie unique est désormais jugée avec sévérité, 40% (+6 depuis août 2010) estimant qu’elle constitue un handicap contre 26% qu’elle représente un atout. Pour autant, cela ne pousse pas encore les Français à opter pour un retour au franc (63% s’y oppose), les arguments sur la « catastrophe » qu’un tel changement impliquerait – explosion du prix des importations, de la dette et des taux d’emprunt pour les particuliers – ayant eu de l’écho. Et, surtout, l’opinion, pessimiste, est en quête de davantage de stabilité et de repères, et non d’un bouleversement du système actuel.

Les Français apparaissent, bien au-delà de leurs convictions européennes, pragmatiques. Conscients que les économies sont liées les unes aux autres, ils jouent encore la carte européenne, mais leur solidarité à l’égard des autres Etats européens commence à atteindre ses limites. Ils se montrent prêts à toutes les éventualités, mais restent dubitatifs sur de nouvelles avancées supranationales. On peut imaginer quelle candidate pourra en tirer les conséquences directes…


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