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6 Questions à… David Abiker

Publié le 07 décembre 2011 par Lagrandedepression

David Abiker est journaliste et chroniqueur télé et radio. Tous les jours, vous pouvez écouter son billet d’humeur sur Europe 1 et le retrouver dans l’émission Des Clics et des Claques. David Abiker est également un Spiderman du net en tissant sa toile sur Twitter et son blog. La Grande Dépression lui avait envoyé un questionnaire en 2009 : plutôt que d’y répondre, il préférait évoquer le blog des déprimés dans une chronique Web sur France Info. Aujourd’hui, David Abiker répond enfin au questionnaire de la Grande Dépression et c’était nécessaire ! Un grand merci à lui.

6 Questions à… David Abiker

Friendly Neighbourhood David Abiker

Le morceau de musique où vous aimez noyer votre chagrin ?
Il y en a plein. Mais immédiatement, je pense évidemment à “la chanson d’Hélène” interprétée par Romy Schneider pour le film “Les choses de la vie” de Claude Sautet.

Dans ce film, Piccoli et Schneider forment un couple génialement déprimant. Une autre séquence exceptionnelle de déprime est celle de la scène du tournage du porno de “L’important c’est d’aimer” d’Andrzej Żuławski. La musique (à ne surtout pas confondre avec la chanson de P. Obispo, ce qui serait triste) achève de nous éventrer mais c’est normal, on la doit à Georges Delerue.

George Delerue - Largo

Evidemment, Romy est toujours là, magistrale avec son Rimmel qui coule. C’est à pleurer, voyez vous-même.

La dernière fois que vous avez pleuré ?
Je pleure tout le temps avec bonheur. L’autre jour, ma gorge s’est serré en pensant à quelque chose de beau alors que j’ouvrais la porte de l’ascenseur. Généralement, l’enfance est en jeu. Des histoires de mômes, des sensations puériles (au sens latin) que je retrouve chez les miens et qui ressuscitent des sentiments cachés. Ca doit s’appeler le bonheur. J’aime aussi pleurer en me souvenant des comédies italiennes des années 70. Quand vous les regardez, vous riez mais quand vous vous souvenez les avoir vues enfant vous vous mettez à déprimer. Si les larmes vous montent aux yeux, c’est bingo. Ca m’est également arrivé quand j’ai réécouté avec les enfants le Petit Prince lu par Jean-Louis Trintignant (la meilleure lecture à mon avis, sur du Mozart). J’ai pleuré pour pas cher. J’étais ravi.

La déprime est-elle source de création ?
Il y a trois sources de création. Le travail et la documentation. La douleur et le chagrin. L’imagination et la fantaisie. Créer en déprimant oui, mais en étant bien payé. Sinon, déprimer gratuitement, c’est l’enfer. Créer par la déprime est compliqué car la déprime est comme une fréquence radio, il faut savoir la capter. Pour un tempérament heureux comme moi, c’est un exercice salutaire. Il faut pouvoir déprimer pour apprécier le bonheur. Mais je devrais également pouvoir affirmer l’inverse. Un exemple de chronique faite joyeusement mais tout en déprime, c’est celle-ci, composée pour une émission sur les frais bancaires, pour Europe numéro un, mon employeur.

http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/David-Abiker/Sons/David-et-Helene-forever-!-745533/

Votre artiste dépressif(ve) préferé(e) ?
Comment ne pas citer Romy, une nouvelle fois. Mais comment dans ce cas ne pas citer Pierre Desproges, Woody Allen mais également Buster Keaton ou Françoise Hardy dans certaines chansons comme “Partir quand même”  ou “Message personnel”.

Mais j’ai une tendresse particulière pour Laurent Voulzy. Voulzy est un des grands spécialistes de la déprime adolescente, celle qui a le goût des bonbons à la fraise. Il y a des dizaines de titres chez Voulzy qui incarnent très bien la déprime des teenagers. Je ne citerai que “Bopper en larmes” où Souchon qui signe les paroles (gloire lui soit rendu) a ces mots fantastiques de kitch tellement vrais : « Il a des pastilles bleu ciel pour pas que sa vie lui fasse trop mal ».

Dans le genre déprime littéraire, il y a Christine Angot. Mais la déprime sans le recul est d’un ridicule achevé. Pour cette raison, je préfère de loin la déprime des romans de John Fante comme celle qu’il exprime dans “Les compagnons de la grappe”, “Mon chien stupide” ou “Demande à la poussière”. Au cinéma, la déprime je l’ai dit est bien dépeinte dans le cinéma réaliste italien de l’après guerre puis, plus tard, dans celui des années 70. “Nous nous sommes tant aimés” est évidemment un formidable titre déprimant. En peinture, Van Gogh réussit à merveille la synthèse du coup de cafard, du coup de pinceau et du coup de pistolet. Voir son Homme assis :

6 Questions à… David Abiker

Un film qui vous file le bourdon à chaque fois ?
Oh il y en a plein mais j’ai une tendresse et une tristesse particulière pour “L’incompris” de Luigi Comencini. Là, on franchit le mur du son de la déprime.


L'incompris de Luigi Comencini par carlottafilms

D’autant que Mozart, tendez l’oreille, est lui aussi dans le coup avec son diabolique “Concerto n°23″ qui donne envie de se pendre. Avec une corde à piano.

Mais alors, comment citer Comencini et Mozart en n’évoquant pas la scène finale de “La Mort à Venise”, de Visconti ?  Malher y rend un exceptionnel service à la déprime…

La chanson ou l’artiste qui est un phare pour vous en cas de déprime ?
C’est une question piège, espèce d’enfoiré. Car le vrai dépressif, sait bien qu’en cas de déprime, on n’écoute qu’une chanson déprimante et en aucun cas une chanson qui met la pêche. Car la règle est la suivante. Quand on a envie d’avoir la pêche, on est déjà sorti de la déprime, donc on écoute ça, par exemple :

En revanche, un vrai esthète dépressif sait bien que la déprime appelle la déprime. Alors, c’est avec panache qu’il saura choisir un titre comme ce chef d’œuvre de Michel Berger qui distille une déprime futuriste de très bon aloi.

La vérité, cher ami, c’est que la chanson triste sur la tristesse produit de la sérénité. La vérité en ce domaine fut énoncé il y a un siècle par Alain, le philosophe qui a dit mieux que personne ce que la musique peut faire pour la déprime, « La musique met en ordre nos peines ». On n’a pas dit mieux depuis dans la matière qui nous concerne.

Un dernier mot pour vous remercier. Je pleurniche avec délice au moment où j’écris ces lignes et où France Gall chante Monopolis en se demandant si demain nous serons tous des étrangers les uns pour les autres. Le net et Facebook lui donnent tort. Et c’est tant mieux.


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