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Black Bazar, d'Alain Mabanckou

Par Liss
"Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es", telle est la devise du narrateur de Black Bazar, qui se définit comme un "ambianceur". C'est un adepte de la Sape, mais il a également une autre passion : la "face B" des femmes, autrement dit leur postérieur. Ce dernier suscite son plus vif intérêt. Il en a même fait une science. Selon lui, l'observation attentive d'un postérieur de femme est capable de révéler le caractère ou la personnalité de l'intéressée. C'est ainsi que ses amis le surnomment "Fessologue". Il est originaire du Congo Brazzaville et a habité longtemps avec d'autres compatriotes dans un petit studio, en région parisienne, avant d'emménager avec celle qu'il appellera "Couleur d'origine", à cause de sa peau particulièrement foncée. Cette union avec une originaire du Congo provoque le mécontentement de ses copains, Yves L'Ivoirien en particulier, qui considère que c'est un devoir pour les Noirs d'avoir des relations avec des Blanches, une manière de prendre une revanche sur les blessures coloniales du passé :
"Fessologue, réveille-toi ! On est en France ici et il faut marquer de vrais buts parce qu'un but marqué à l'étranger ça compte toujours deux points, mon gars. Or toi, tu as choisi le chemin de facilité en allant vers une compatriote. Est-ce que c'est comme ça que tu vas obliger les gens de ce pays à nous indemniser pour tout ce qu'ils nous ont fait subir pendant la colonisation, hein ? Ils nous ont pris nos matières premières, nous aussi on doit leur piquer leurs richesses à eux, je veux dire leurs femmes ! Laisse tomber cette cramée au cul encombrant et attrape-toi une belle blonde aux yeux bleus ou verts, y en a en pagaille dans les rues de Paris et dans les provinces de France. En plus tu ne seras jamais emmerdé avec les Blanches alors que nos soeurs-là c'est des capricieuses de première classe."(p. 71)
Black Bazar, d'Alain Mabanckou
Les choses se gâtent avec la naissance d'une petite fille : est-elle vraiment son enfant ou celui d'un autre qu'on fait passer pour le sien ? Le torchon brûle au sein du couple, surtout lorsque notre Fessologue fait comprendre à sa compagne qu'il tient plus à ses fringues qu'à elle. 
On ne peut pas ne pas comparer Black Bazar et Verre cassé lorsqu'on les a lus tous deux. L'un nous fait penser à l'autre et vice versa. Il y a d'emblée les références littéraires noyées dans le texte, caractéristique principale de Verre cassé, auxquelles s'ajoutent dans Black Bazar des références cinématographiques et aussi musicales. Il y a également une similitude dans l'issue malheureuse que connaissent les personnages principaux dans leur couple et qui est à mettre sur le compte de la femme, coupable de trahison, de coups bas. Et puis les deux romans se présentent comme le journal du narrateur. Les héros flirtent en effet avec l'écriture.
Je n'indique-là que les point communs les plus forts. Black Bazar prolonge donc le plaisir qu'on aura eu à lire Verre Cassé puisqu'il reprend des recettes qui ont fait le succès de ce dernier, mais je dirais qu'il ne l'égale pas. En fait on ne lit Black Bazar que pour mieux apprécier Verre cassé, que j'avais lu à l'époque sans relever la moindre remarque négative du point de vue de la construction. Tandis que le dernier tiers de Black Bazar m'a paru moins uni, je veux dire que le passage d'un sujet à l'autre se fait d'une manière qui semble moins naturelle. D'une manière générale, Black Bazar n'a pas la même densité que Verre cassé, le rire qu'il provoque aisément et qui est une manière de désamorcer le désespoir reste malgré tout très ludique. Tandis que Verre cassé éveille des émotions plus profondes. Enfin, je n'ai pas relu ce roman depuis, mais c'est l'impression qui m'est restée.
J'avais déjà lu ici et là des avis sur l'un et l'autre, je vous conseille en particulier cette critique comparative des deux romans de mon ami St-Ralph, dont l'une des qualités est de dire tout haut ce qu'il pense (même si cela peut heurter les autres), que ce soit en littérature ou en politique. C'est une critique intéressante à lire. Vous pouvez la lire ici.
Ce que j'ai le plus apprécié dans ce roman, ce sont les clins d'oeil aux écrivains, une manière de leur rendre hommage. Même si le narrateur, que l'on identifie à l'auteur, déclare être "très prudent avec les contemporains", ne lisant "que les morts" parce que les vivants l' "énervent", l' "agacent" (p. 151), il y en a tout de même qu'il apprécie ouvertement. Dès les premières pages du roman, le Fessologue parle de l'amitié qui le lie à Louis-Philippe, écrivain haïtien qui, dans le roman, guide ses premiers pas dans l'écriture. On a alors envie d'ajouter "Dalembert". Ces soupçons sont confirmés plus loin, lorsqu'il est fait mention du titre Le crayon du bon Dieu n'a pas de gomme. Mais ce n'est pas tout, lorsque Mabanckou fait un clin d'oeil à des amis, il faut s'attendre à un nom en particulier. Je trouvais même bizarre qu'il ne l'ait pas encore mentionné alors que Louis-Philippe Dalembert parcourt le roman de bout en bout, c'était mal connaître Mabanckou. Le coquin, je ne m'attendais pas à ce qu'il leur réserve une scène de ménage en bonne et due forme :
"Une demi-heure plus tard la brune était toujours là à raconter que son oncle de quatre-vingt-dix-huit ans et demi avait été en Haïti [...], que son livre préféré à lui c'était Pays sans chapeau de Dany Laferrière parce que dedans il y a l'âme d'Haïti, il y a des proverbes à gauche et à droite, il y a des gens dans la rue qui sont en fait des zombies et tout le reste. [...] Louis-Philippe ne voulait surtout pas que la brune croie qu'il était gêné parce qu'elle vantait les mérites d'un autre Haïtien alors que lui il était là pour signer ses livres à lui.Il a eu un sourire jaune et a dit :- Dany Laferrière est un grand ami ! Je vous conseille aussi de lire un de ses livres que j'aime bien, Le Goût des jeunes filles... [...] La brune est sortie de la librairie en grommelant, mais avec un livre de Dany Laferrière et pas un seul de Louis-Philippe."(page 154)
Alain Mabanckou, Black Bazar, Editions du Seuil, 2009, 250 pages.

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