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Philosophie du temps qui passe, 2 : La pornographie confessionnelle

Par Marcalpozzo

Notre époque est transparente ! Du moins, le dit-on. Exit le droit de mentir. Exit les jardins secrets de tout acabit. Exit les charlatans, les faussaires, les imposteurs. Au fond de notre caverne, les mensonges des insensés, les fraudes et mascarades des imposteurs doivent être dénoncées. Nous sommes entrés dans l’ère du mentir-vrai. Bien sûr, il ne s’agirait pas de convoquer le philosophe qui viendrait irrémédiablement désenchanter le peu qu’il nous reste, mais de formuler une demande inique : celle de la confession.

Hier, on ouvrait la part sombre de notre âme au prêtre dans l’isoloir, ou la part d’ombre de notre inconscient sur le divan du psychanalyste. Parfois quelques journaux intimes arrivaient à passer la frontière de la décence morale, et, livrés au grand public, étalaient des pièces vécues, rapportées par le style de l’artiste. Aujourd’hui, la pornographie confessionnelle sévit en tous lieux, sous toutes formes. On somme l’individu de dire la vérité et toute la vérité. Sur les pages personnelles de Facebook on dissèque les vies étalées dans ce qu’elles ont de plus monotone, vide ou sordide. Les déplacements de chacun peuvent être annoncés ou dénoncés par tous. On sait où vous êtes, quand et avec quel compère ou comparse. Le dégoulis confessionnel se répand dans nos postes de télévisions ; télé-réalité, confessions d’hommes publics, viols de l’intimité privée. Nous devons savoir ! Aux apparences du vrai d’hier se substitut le mensonge-vérité d’aujourd’hui.

Prétendrait-on vouloir, à l’instar de Rousseau au dix-huitième siècle, montrer à nos semblables un homme dans toute la vérité de la nature ? Croit-on encore au « Connais-toi toi-même » ? Ou sommes-nous tout simplement redescendus des sphères nietzschéennes situées au-delà du bien et du mal pour traquer, dénoncer, moquer, fouler au pied notre frère notre voisin ?

Doué de bonne conscience, le roseau-pensant serait entrain de devenir trop bien-pensant. Et la vérité, prétendument dénuée de toutes ambiguïtés, deviendrait un simulacre de vérité. Autant dire un mensonge légal.

Lorsqu’Œdipe, dans la pièce de Sophocle, apprend la vérité sur ce destin tragique, qu’en cherchant à fuir il a lui-même provoqué, ce dernier choisit de se crever les yeux. Refuser la vérité. Ne plus la voir. Ou n’être point apte à l’affronter.  « Quelle dose de vérité pouvons-nous supporter ? » se questionne Nietzsche. Une bien belle interrogation métaphysique posée par un philosophe qui accusait la connaissance de n’être qu’une grande fable. On pourrait se demander sans trop de mal si nous sommes bien prêts à affronter toutes les vérités ? Sommes-nous armés ? Subjective et arbitraire, toute vérité n’est que pacotille de vérité. Toute vérité n’est qu’interprétation d’une interprétation.

An 1000. Nous sommes le petit matin. Sur son beau cheval blanc, se promène Lady Godiva. Elle est entièrement nue. On imagine aisément la scène. Le ravissement et la beauté de celle-ci aussi irréelle qu’onirique. Non loin, un homme observe cette fiction. Il est posté sous un porche. Il regarde. Il voit. Cet individu, prénommé Tom, ne perd rien de ce qui se déroule devant ses yeux, et qui ne durera qu’une minute ou deux. Mais c’est suffisant pour le faire arrêter et torturer. On finira par brûler les paupières à Tom le voyeur. Appelons-le Peeping Tom, puisque c’est ainsi que le nomme Alessandro Mercuri dans son nouvel essai (Peeping Tom, Léo Scheer, 2011). Pourquoi ont-ils brûlé les yeux de Tom ? Pourquoi lui avoir consumé les paupières et les pupilles ?

J’ose avancer cette question : ne serait-ce pas symbolique, tout simplement ? Car la vérité consume. Le désir de savoir est un désir qui nous faire prendre le risque de nous abîmer, de nous carboniser, de nous détruire par le feu trop intense du soleil de la vérité – que Platon assimilait au Bien. Dans le très bel essai d’Alessandro Mercuri, si l’on brûle les yeux de Tom, c’est parce qu’il y a des vérités qui ne doivent pas être vues. Entre rêve et réalité faite d’apparences, lumière et ténèbres, toute l’histoire de la culture Occidentale, qu’elle soit philosophique, littéraire, cinématographique, religieuse, scientifique, politique, est celle d’une humanité qui, ne pouvant faire face à une réalité donnée, s’est évertuée à la transformer, la transcender, la réinventer par le matériau du rêve, de la fiction, et des grandes cathédrales idéologiques, philosophiques et religieuses.

Car, soyons clairs, la vérité est en mouvement, elle n’existe donc pas. Et, serions-nous bien avancés si nous parvenions à la vérité absolue, donc à l’étaler aux yeux de tous ? Non ! Voilà sûrement par où il aurait fallu commencer… 

(Paru dans Le Magazine des Livres, n°33, Novembre-Décembre 2011)


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