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Polémique autour de la fonction de pair-aidant

Publié le 11 décembre 2011 par Lana

La fonction de pair-aidant pose question, et c’est normal. Qu’on ouvre un débat à ce sujet, c’est une bonne chose. Mais j’avoue être sidérée par le tour polémique que prend ce débat, par les accusations gratuites, la stigmatisation des usagers et le mépris envers eux qu’on peut lire dans différentes contributions, y compris et surtout par des professionnels de la psychiatrie.

Polémique autour de la fonction de pair-aidant

Plus que sur la fonction de pair-aidant elle-même, c’est sur la vision des usagers de la psychiatrie que je veux réagir ici.

“Mais comment un malade peut-il conseiller un autre ? On met quelqu’un qui souffre un peu moins pour soigner celui qui souffre plus ? Et en plus on le paye ? ! Et dans cette formation de huit semaines (!), ils vont apprendre quoi ? Nous, on n’apprend pas notre métier dans la théorie mais face à la souffrance morale, le délire, l’agressivité. Et enfin, la réinsertion passe par les médecins, l’assistante sociale, les aides soignants. Et de vrais moyens”.”

Pourquoi un malade ne pourrait-il pas en conseiller un autre? C’est ce que font les associations de patients, les forum internet, les amis qui partagent le même vécu, c’est ce que font entre eux les patients à l’hôpital. Depuis quand les gens ayant une expérience similaire ne pourraient-ils  pas se porter conseil? Mais peut-être faut-il comprendre que c’est impossible uniquement pour les patients en psychiatrie. Trop fous pour s’entraider, ne pouvant que s’entraîner dans la folie, sans doute.

En plus, on les paye. Eh bien oui, pourquoi un usager de la psychiatrie ne devrait-il être apte qu’à du travail bénévole? Parce qu’il serait forcément inapte à un travail digne de ce nom? Que le travail n’est là que pour l’occuper, mais n’a en aucun cas la même valeur que le travail de quelqu’un d’autre?

La formation dure huit semaines. Est-ce tellement moins que les semaines consacrées à la psychiatrie dans les études d’infirmières? Quant à dire que les soignants n’apprennent pas de théorie, un j’espère que c’est faux, deux est-ce quelque chose à revendiquer? Je trouve ça plutôt grave. Et puis si on part sur ce terrain-là, c’est bien justement ce que revendiquent les pairs-aidants, avoir un vécu commun avec les patients, connaître la souffrance psychique et la psychiatrie de l’intérieur. Vécu qu’ils vont complèter avec une formation. Au-delà de ces questions, je trouve cette vision des usagers totalement réductrice et stigmatisante. Les usagers ne seraient que des fous, incapables de comprendre les autres, incapables de se former et arrivant comme des coquilles vides à ces formations. Mais les usagers ne sont pas qu’une maladie! Certains ont des diplômes, des expériences professionnelles qui peuvent leur servir dans leur fonction de pair-aidant, une capacité à réfléchir, à se remettre en question  et beaucoup connaissent déjà pas mal de choses sur la psychopathologie et la psychiatrie, parce que, tout au long de leur parcours, ils ont échangé, lu, appris. Ils ont donc une connaissance empirique mais aussi théorique, même si celle-ci est différente des soignants, qu’ils ne prétendent d’ailleurs pas remplacer.

Un soignant  en psychiatrie dit: “Après le pompier pyromane, le prêtre pédophile, le flic ripou, voici le fou guéri qui soigne.
Quel pays de m… !” Comme si, parce qu’on a été malade à un moment donné, on ne pouvait jamais retrouver la raison.  On ne pourrait que faire du mal en étant présent au sein d’une équipe soignante, être contre-productif. Un fou reste un fou à vie, c’est dit! Pas de rédemption pour les usagers en psychiatrie!

“En psy vous ne guérissez pas mais vous vous stabilisez”

Ce n’est pas le cas pour toutes les maladies psychiatriques, et ça reste à prouver pour les autres. Mais quand bien même, le fait d’être “seulement” stabilisés nous empêcherait donc toute notre vie d’être digne de confiance? Alors que bien souvent cette stabilisation s’est faite au prix de longues thérapies, de remises en question, de souffrances, de changements de point de vue sur la vie, etc. dont bien des gens n’ont pas fait l’expérience.

“ On se moque des soignants. Je suppose qu’il va y avoir des démissions en masse à l’hôpital.”

Pourquoi, pour les soignants, est-ce si dévalorisant de reconnaître l’expérience d’un usager? En quoi est-ce une menace? Il ne s’agit pas de les remplacer, mais de prendre en compte un autre point de vue que le leur. Pourquoi vouloir maintenir à tout prix une barrière soignant/patient? Qui a peur d’être assimilé à l’autre? Qui a peur de perdre son pouvoir? Encore une fois, il y a ceux qui savent, les soignants et plus généralement les gens “normaux”, et de l’autre ceux qui ne savent pas et n’ont pas droit à la parole, les fous. Alors, qui veut faire taire les fous? La société? La psychiatrie? Les deux apparemment!

“Malheureusement le mot ‘aidant’ établit une hiérarchie entre une personne aidante donc supérieure et une personne aidée donc inférieure”. Oui, dans la vie on est successivement en position haute ou basse (même si je n’aime pas ces termes), mais pourquoi seuls les soignants auraient-ils le privilège d’aider et donc d’être supérieurs? En quoi est-ce plus grave si la personne qui aide a un vécu similaire à la personne aidée?

On nous dit aussi que le pair-aidant ne connaît que sa propre pathologie et rien d’autre, qu’il ne pourra que la projeter sur les autres. Encore une fois, nous ne sommes pas incapables d’apprendre, ni en théorie ni en pratique. On peut, comme tout un chacun, remettre ses pratiques en cause, s’interroger sur ses relations aux autres. Les soignants ne sont pas nés avec ce statut particulier dans leurs gènes, et j’aimerais bien croire qu’aucun d’eux n’a jamais fait de projection ni souffert d’aucune pathologie mentale, mais ça fait un bail que j’ai perdu mes illusions d’enfant!

Quant à dire que les personnes souffrant de psychose n’ont pas conscience de leurs troubles, c’est plus que réducteur. Les personnes qui deviennent pairs-aidants ne sont évidemment pas des malades en crise, mais des personnes ayant de nombreuses années d’expérience de la maladie derrière eux, et cette maladie, ils la connaissent, ils ont en conscience, ils y ont réfléchi, ils ont des choses à en dire.

“Le-père-est-dent, mon ami; quand va-t-il te dévorer?”: là, je suis carrément sans voix! Surtout que, comme chacun sait, l’institution psychiatrique est dénuée de toute violence! Le plus grand danger pour les patients serait les pair-aidants? En ces temps de politique sécuritaire? Enfin, ce n’est pas la première fois que les jeux de mots psychanalytiques me renvoient à un silence abasourdi!

Pour finir, cette accusation gratuite à propos des formations proposées par Psytoyens: “ça rapporte beaucoup toutes ces formations comme vous le savez”. Alors que Psytoyens est une association sans but lucratif!!

Bref, qu’on se demande ce qu’un usager peut apporter dans une équipe soignante, quels sont les avantages et les désavantages pour tout le monde, oui. Mais rejeter la fonction de pair-aidant parce qu’un fou ne serait qu’un fou à vie, incapable d’apprendre, dénué de tout autre expérience que sa folie, ne resterait pas à sa place d’ignorant face à ceux qui savent et ne mériterait pas d’être payé pour son travail, c’est de la stigmatisation, malheureusement égale chez les professionnels qui tiennent ces propos à celle qu’on voit dans la société tous les jours.

“Cette histoire me paraît complètement folle !“, lançait abasourdi et scandalisé hier Pierre Tribouillard (FO Santé).

A moi aussi! Mais ce qui me paraît fou, c’est ce dénigrément, ce mépris voire cette haine chez des gens censés connaître les gens souffrant de maladies mentales.

Les réactions dont je parle proviennent de ces deux articles:

http://www.laprovence.com/article/a-la-une/psychiatrie-des-malades-font-partie-de-lequipe-soignante?page=1

http://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/060211/les-pairs-aidants-pseudo-generosite-et-deri

Le site de Psytoyens:

www.psytoyens.be


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