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Le zazou, le swing et le da dou da dou.

Par Richard Le Menn

zazouquellefolleimprudencerecadre300lm1.gif Photographie 1 : lezazouneurastheniquetraparent300lm2.gif Carte postale (14 x 9 cm) de vers 1945 représentant un zazou se baignant avec deux jeunes femmes zazous le prévenant : « - Quelle folle imprudence, Mr Zazou ! » Les baigneuses, bien qu'en maillot de bain, ont le visage très maquillé ce qui est caractéristique de cette mode, et le baigneur porte des lunettes noires rondes, la veste à carreaux et de grosses chaussures. Le caricaturiste se moque de la frilosité et du caractère peureux du zazou. Les petits-maîtres sont souvent considérés comme craintifs voir lâches. En vérité c'est tout le contraire. Ils ont un sens de l'honneur très développé et malgré leur apparence frêle sont souvent très courageux. C'est le cas des incroyables durant la Révolution et des zazous pendant la seconde guerre mondiale ou même des petits crevés. Leur aspect délicat et leur côté insouciant leur permettent de continuer à afficher leur liberté même dans les moments les plus terribles de notre histoire. © LM.
Photographie 2 : Voir photographie 7.
Photographie 3 : Couverture du Marie-Claire de février 1940 (n°155) avec une photographie de femme dans un style très zazou. Elle est élégante ; son chapeau a des couleurs fraîches, et elle est maquillée d'une façon caractéristique : rouge profond sur les lèvres, visage pâle rehaussé d'un léger pourpre sur les joues, yeux soulignés. © LM.
Le zazou, le swing et le da dou da dou da sont la même personne. Le terme de 'zazou' viendrait d’une onomatopée ; celui de dadoudadouda se retrouve dans de nombreuses chansons zazous ; et le 'swing' est la musique à la mode chez ces personnes. Les habits du zazou rappellent ceux du gommeux dont certaines images le montrent avec une veste longue et quadrillée (voir les articles intitulés : Le Gommeux & Les carreaux à la mode). Le zazou, dont l’origine remonte juste un peu avant la seconde guerre mondiale (qui a vers les 20 ans pendant cette guerre), est par contre en décalage avec la génération précédente. Le type même de cette dernière porte un chapeau de paille de canotier à la Maurice chevalier (1888-1972), les cheveux courts, un costume serré trois pièces élégant, zazoumarieclaire16fevrier1940300lm boutonné assez haut et plutôt sombre (bleu marine …), des guêtres blanches sur des chaussures noires, une canne … Charles Trenet (1913-2001) est dans ce style bien qu'il s'adapte vite au style zazou.
Depuis quelques dizaines d'années, de nombreuses modes musicales viennent d'Amérique : rumba, blues, tango, jazz, slow-fox, shimmy, charleston, swing, boogie woogie etc. Beaucoup d'entre elles sont afro-américaines et la plupart sont associées à des danses. Pendant la seconde guerre mondiale ces musiques sont interdites. On les joue donc dans des surprise-parties et dans des caves. Celles de Saint-Germain-des-Prés deviennent célèbres après la guerre. Des musiciens des États-Unis s'y produisent et y apprécient une certaine liberté. Même la Beat Generation se retrouve à Paris.
Le zazou a les cheveux longs et huilés, porte une longue « veste quadrillée » (à grands carreaux) ample qui lui tombe sur les cuisses avec de nombreuses poches à revers et souvent plusieurs martingales ce qui est assez provoquant à une époque où le tissu est rationné et en complet décalage avec le costume fasciste. Son chapeau est à rebords étroits. Il porte une chemise à col haut qui prend le cou tenu par une épingle, une cravate étroite faite de toile ou de grosse laine, un costume croisé à quatre boutons et à grande encolure, serré au niveau du bassin. Le gilet peut être de couleur, le plus souvent dans un ton en harmonie avec le costume. Le pantalon est étroit et froncé. Le parapluie remplace la canne mais reste fermé. Les carreaux qui sont à la mode au moins depuis le XIXe siècle dans la jeunesse parent non seulement les vestes mais aussi les jupes, les parapluies et jusqu’aux voitures de certains zazous. La chanson Ils sont zazou que je retranscris un peu plus loin dépeint cet accoutrement. Évidemment toutes les fantaisies sont possibles mais c’est le type récurrent. Les femmes zazous ont de longs cheveux souvent blonds, bouclés ou tressés. Elles sont fardées avec un rouge à lèvre voyant et portent des lunettes noires. La veste est carrée au niveau des épaulettes. La jupe est courte (au dessous es genoux) et plissée. Leurs bas sont rayés ou même à résille et les chaussures avec des semelles de bois colorées et épaisses. Lors de l'exposition du 27 novembre, une paire de ces souliers était présentée dans un sac : avec une semelle et un talon entièrement en bois peint en rouge et le reste dans un tissu épais.
Depuis l’arrivée du jazz en France, et l’époque swing de l’entre-deux-guerres, le jeune français à la mode s’extasie devant les nouveaux airs venus d’Amérique (du nord et d’Amérique latine). Le débarquement des alliés ne fait qu’accentuer cela. Le rock’n’roll prend progressivement la relève. Pendant l’occupation, la vie du zazou parisien n’est pas de tout repos. Surtout à partir de 1942 où semble-t-il on assiste aux premières rafles et rossées de ces élégants dans les rues. Cependant ce mouvement perdure. Pour faire passer les chansons américaines, on les réécrit en Français … et ça marche ! On ne 'fauche plus le persil' ; mais on continue à « faire » la place une telle, les Champs-Élysées (à la terrasse du Pam Pam) ... enfin tous les lieux parisiens de grande promenade. On se réunit pour danser et écouter de la musique parfois dans des caves ; mais le plus souvent dans des surprise-parties, dont le style ne change pas beaucoup de celui du film La Boom de Claude Pinoteau (1980), quand on a à faire à des adolescents de 14-17 ans, ou beaucoup plus encanaillées si on se réfère aux exemples relatés par Boris Vian dans son livre intitulé Vercoquin et le Plancton. Il n’est pas nécessaire de projeter des idées libertaires, révolutionnaires, politiques ou autres sur des jeunes qui sont simplement de leur âge, parfois dans un contexte difficile. Pendant l'occupation il n'y a pas beaucoup d'occupations : on ne peut voyager par manque d'essence ; les voitures sont peu nombreuses et restent au garage sur des cales du fait du manque de pneus ; les plages sont interdites ; les radios sont celles de la propagande ; les journaux sont réduits à une feuille recto-verso ... On va beaucoup au théâtre, au cinéma ; on lit énormément, et la vie intellectuelle reste riche. Nombre des jeunes d'alors sont des 'zazous'. Le chanteur Léo Ferré (1916-1993) lui-même se considère comme en étant un. Dans une interview il oppose sa génération zazou à la yéyé qui annonce les débuts de la musique purement commerciale.
vercoquinetleplanctonreliure300lm Photographie 4 : Vercoquin et le Plancton de Boris Vian, Paris, Gallimard : La plume au vent (collection dirigée par Raymond Queneau), cinquième édition, octobre 1946. La première édition semble être elle aussi chez Gallimard et dater de la même année. © LM.
Boris Vian (1920-1959) est lui aussi zazou. C'est un passionné de jazz. Dans son roman publié en 1946 Vercoquin et le Plancton il relate l'organisation de surprises parties pendant l'occupation par et pour des zazous. Voici une description des habits et de la façon de danser d'un couple swing : « Le mâle portait une tignasse frisée et un complet bleu ciel dont la veste lui tombait aux mollets. Trois fentes par derrière, sept soufflets, deux martingales superposées et un seul bouton pour la fermer. Le pantalon, qui dépassait à peine la veste, était si étroit que le mollet saillait avec obscénité sous cette sorte d'étrange fourreau. Le col montait jusqu'à la partie supérieure des oreilles. Une petite échancrure de chaque côté permettait à ces dernières de passer. Il avait une cravate faite d'un seul fil de rayonne savamment noué et une pochette orange et mauve. Ses chaussettes moutarde, de la même couleur que celles du Major, mais portées avec infiniment moins d'élégance, se perdaient dans des chaussures de daim beige ravagées par un bon millier de piqûres diverses. Il était swing. La femelle avait aussi une veste dont dépassait d'un millimètre au moins une ample jupe plissée en tarlatatane de l'île Maurice. Elle était merveilleusement bâtie, portant en arrière des fesses remuantes sur des petites jambes courtes et épaisses. Elle suait des dessous de bras. Sa tenue moins excentrique que celle de son compagnon, passait presque inaperçue : chemisier rouge vif, bas de soie tête de nègre, souliers plats de cuir de porc jaune clair, neuf bracelets dorés au poignet gauche et un anneau dans le nez. Il s'appelait Alexandre, et on le surnommait Coco. Elle se nommait Jacqueline. Son surnom, c'était Coco. Coco saisissait Coco par la cheville gauche et, la faisant habilement pivoter en l'air, la recevait à cheval sur son genou gauche, puis, passant la jambe droite par-dessus la tête de sa partenaire, il la lâchait brusquement et elle se retrouvait debout, la figure tournée vers le dos du garçon. Il tombait soudain en arrière, faisait le pont et insinuait sa tête entre les cuisses de la fille, se relevant très vite en l'enlevant de terre et la faisant repasser, la tête la première, entre ses jambes, pour se retrouver dans la même position, le dos contre la poitrine de sa compagne. Se retournant alors pour lui faire face, il poussait un « Yeah ! » strident, agitait l'index, reculait de trois pas pour avancer aussitôt de quatre, puis onze sur le côté, six en tournant, deux à plat ventre, et le cycle recommençait. Les deux transpiraient à grosses gouttes, concentrés, un peu émus de l'attention nuancée de respect que l'on pouvait lire sur le visage des spectateurs admiratifs. Ils étaient très, très swing. » » Dans son Manuel de Saint-Germain-des-Prés publié en 1951, Boris Vian critique le zazou au profit de l'existentialiste dans lequel il se reconnaît plus alors.
Voici les paroles de Je suis Swing (78T de 1939) de Johnny Hess : « La musique nègre et le jazz hot / Sont déjà de vieilles machines / Maintenant pour être dans la note / Il faut être swing / Le swing n'est pas une mélodie / Le swing n'est pas une maladie / Mais aussitôt qu'il vous a plu / Il vous prend et n'vous lâch'plus / Oh! je suis swing / Oh! je suis swing / Zazou, zazou, je m'amuse comme un fou. »
ilssontzazoustitre300lm Photographie 5 : Page de titre d'une partition datée de 1942 : Ils sont zazous. Les paroles sont de Maurice Martelier et la musique de Johnny Hess avec un tempo swing. Cette chanson a été interprétée  notamment par Charles Trenet. « Les cheveux tout frisottés / Le col haut de dix huit pieds / Ah ! Ils sont zazous ! / Le doigt comme ça en l’air / Le veston qui traine par terre / Ah ! Ils sont zazous ! / Ils ont des pantalons d’une coupe inouïe / Qui arrive un peu au dessous des genoux / Et qu’il pleuve ou qu’il vente ils ont un parapluie / Des grosses lunettes noires et puis surtout / Ils ont l’air dégouté / Tous ces petits agités / Ah ! Ils sont zazous ! / Un jour un brave notaire / De son pays débarquant / Venait pour de grosses affaires / De legs et de testaments / Il avait l’allure très digne / Mais comme les modes de maintenant / Ont à peu près la même ligne / Que celle de dix neuf cent / Deux jeunes zazous s’écrièrent en l’apercevant : / Ce qu’il fait distingué / Son col haut de dix huit pieds / Ah ! Ce qu’il est zazou ! / Il a ce brave notaire / Le veston qui traine par terre / Ah ! Ce qu’il est zazou ! / Il ne se doutait pas ce très digne notaire / Qu’il pouvait être à ce point zazou / Car tous ses vêtements lui venaient de son grand-père / Le col, le veston, et tout et tout / Il fut tout étonné / De se voir ainsi remarqué / Par tous les zazous ! / De retour chez lui le notaire / Sidérait tous ses amis / Y ne marchait que le petit doigt en l’air / Mais bientôt ce fut bien pis / Cette maladie pris sa fille / Sa femme, son clerc, son toutou / Enfin toute la famille / Tout le monde devint zazou / Dans le pays quand y se promenaient on les croyait fous / En les voyant passer / Les braves gens s’écriaient / Tiens ! Voilà les zazous ! / Après mûres réflexions / Le docteur en consultation / Dit : Ils sont zazous ! / C’est une maladie un peu particulière / Bientôt il n’y paraitra plus rien / Avec une bonne cure de polka de nos grands-mères / Puis se regardant il dit : Tiens ! Tiens ! / Mes cheveux tout frisottés / Mon col haut de dix huit pieds / Mais je suis zazou ! / Tout comme le notaire / Mon veston traine par terre / Donc je suis zazou ! / Et si ce n’est qu’une question vestimentaire / Je suis le plus zazou d’entre nous / Car ma redingote traine jusque par terre / Je ne vois qu’un remède faisons couper tout / Le docteur avait compris / Que là se tenait l’esprit de tous les zazous ! » [retrouver ces paroles sur paroles.voila.fr] © LM. Cette chanson s'écoute sur la vidéo ci-dessous de Camille 885

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Photographie 6 : Partition de Quand je danse le boogie (1943). Le swing n'est pas la seule musique à la mode chez les zazous, il y a aussi par exemple le boogie-woogie. © LM.
Photographies 7 et 2 : Dans Le Zazou neurasthénique (paroles d'André Mile, musique de Paule Muray, joué sur un swing mou) celui-ci est décrit dans sa posture de 'petit dégouté' que l'on retrouve souvent chez les petits maîtres ; surtout après la Révolution. Cette mollesse est décriée et ces gandins en rajoutent. On retrouve dans cette chanson d'autres thèmes appartenant aux jeunes à la mode : le chahut, la simulation de la folie, la distinction, le bon ton ; les manières de danser, de s'habiller et de se tenir très particulières. Voici le texte de cette chanson : « COUPLET C'est un vrai swing, Un tout joli un classique Dans les dancings C'est un des plus frénétiques Et ses grands vestons Ses cheveux en festons Indiquent le bon ton Mais il n'est pas gai. Sous son air distingué
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On le sent fatigué Le swing lentement froidement sûrement Le swing l'a tué l'a vidé possédé Mais sur les genoux rendu fou rendu mou Le Zazou Di es i rae di es i la ah ! Il a l'air flemmard son regard est hagard Il se sent mourir dépérir et maigrir Car le cerveau flou par à coups se dissout Du zazou  Di es i rae di es i la ah ! Le chahut éperdu Des saxophones Le vaincu la tordu Il déraisonne Il a les cheveux douloureux c'est affreux. Le jazz le terrasse et fracasse sa carcasse Et dans ses yeux fous Ya surtout le dégout Du zazou  Di es i rae di es i la. II COUPLET Tous les docteurs, On dit que c'était chronique. Le swing rageur, L'a rendu neurasthénique. Il se ramollit On le sent abruti C'est un garçon fini On a essayé D'un peu le soulager Mais il est condamné. III COUPLET Je l'ai vu hier Ça m'a fait bien de la peine L'index en l'air Et le veston à la traîne Et lorsqu'il me vit L'air affable il me dit : C'est moi Tchaikowsky j'ai compris de suit' Qu'sa cervell' décrépit' Etait bouffée' des mit's. » Ces paroles sont publiées pour la première fois sur Internet ; comme nombre des documents textuels et iconographiques de ce blog. Du reste presque tout le corpus iconographique concernant la mode provient de photographies prises à partir de documents d'époque de ma collection. © LM.
Photographie 8 : « Mon heure de Swing : La chanson des vrais Da Dou Da Dou Da ». Paroles de Georgius et musique de H. Rawson. Indication de « Copyright 1941 ». La partition commence par une « Annonce : On dit que les êtres humains ont une heure de folie par jour. Moi j'ai ça … mais comme je suis plus moderne … c'est mon heure de swing. » Ensuite vient la chanson : « C'est mon heure de swing Oui, mon heure de swing Doudadou dadou dadou dadou dadou L'index en avant Secoué d'un tremblement C'est charmant ! Quand Cela me prend C'est mon heure de swing J' fais des boum, des bing Doudadou dadou dadou dadou dadou Je me sens tellement gamin Soudain En sortant de mon bain L'œil perdu au lointain Zut pour les voisins ! J'ai mon heure de swing
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L'heure où je trépigne J'en fiche un coup Doudadou dadou ! Dou ! L'autre jour, rue Bleue On faisait la queue Était-ce pour du lait, du beurre ou des choux ? Un vieux sergent d' ville Me fait prendre la file Tout l' monde était renfrogné quand tout à coup J'ai mon heure de swing Je fais « Boum » et « Bing » Doudadou dadou dadou dadou dadou À côté de moi Une vieille, prise d'effroi S'écrie « Quoi ! Quoi ? » Et m' mord le doigt. C'est mon heure de swing, Mais l'agent, très digne Doudadou dadou dadou dadou dadou Lui a dit « C'est un pauvre d'esprit » Doucement il m'a souri - « Suivez-moi mon ami. » Mais je lui ai dit : C'est mon heure de swing Et lui a fait « Bing » Son pied dans mon Doudadou dadou ! Le bon vieux notaire De la rue Daguerre Est mort l'autre jour. Quel bel enterrement, À la sacristie Fin d' cérémonie, On s'inclinait devant la famille ... quand … J'ai mon heure de swing Je fais « Boum » et « Bing » Doudadou dadou dadou dadou dadou Le brave bedeau Me casse sur le dos, Aussitôt, Oh ! Canne et pommeau. J' suis sorti, en swing, Et fier comme un cygne, Doudadou dadou dadou dadou dadou. Dehors les badauds faisaient la haie, Tous les chiens aboyaient, Les vieilles se signaient, L' croque-mort en claquait, Mais … J'étais très swing En plein « Boum » et « Bing » J'ai tout du fou Doudadou dadou ! C'est mon heure de swing, Faut qu'on s'y résigne. Doudadou … L'épidémie s'étend partout. Avec son cabas, Plein de rutabagas, Un pauvre gars Ah! Là-bas s'en va En faisant le swing Son doigt fait des signes, Doudadou … Il traverse entre les clous, Il va s'engouffrer dans le métro, On n'y est jamais trop Départs, virages, cahots, Pauvres asticots, Tout l' monde fait du swing Des « Boum » et « Bing » On travaille du … Doudadou dadou. Ah ! Pitié pour nous, Ah ! Guérissez-nous Du dadou dadou dadou da douda … Dou ! » Les paroles sont sur fr.lyrics.wikia.com. © LM.
Photographies 9 et 10 : Article pleine page de L'Illustration n° 5168 du 28 mars 1942 intitulé 'Nouveaux dandys'.  Dimensions : 38 x 28,5 cm. Les zazous tels que représentés sur ces illustrations sont dans le pur style des États-Unis à l'époque : cheveux mi-longs et bouclés, épaules carrées, jupe courte au dessous des genoux et mocassins pour la fille ; coiffure 'banane', cravate étroite, une veste dite 'canadienne', pantalon large et chaussures épaisses pour le garçon. Voici l'article : « Un grand café du Quartier Latin vers 5 heures du soir. Les facultés se sont vidées ; les bars bien chauffés se remplissent ; la traditionnelle jeunesse universitaire change de cadre et après l'amphithéâtre, vient, pour se détendre, palabrer dans le brouhaha des brasseries. Rien ne semble changé depuis des années, si ce n'est que moins de pipes fument au creux des mains et que les garçons et les filles accoudés devant des demis ou des boissons de remplacement représentent la France nouvelle, dont tous les discours officiels vantent le juvénile élan et le bon sens. Et, en fait, l'enthousiasme anime bien des regards car les jeunes auxquels on confie une grande tâche se dérobent rarement. Il existe cependant une catégorie d'étudiants qui, d'allure et de langage nettement différents,
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constituent en quelque sorte une tribu à part, ayant ses moeurs, ses coutumes et jusqu'à sa morale … Autour des tables, on les reconnaît aisément ; les hommes portent un ample veston qui leur bat les cuisses, des pantalons étroits froncés sur de gros souliers non cirés et une cravate de toile ou de laine grossière ; mais comme cela ne suffirait pas à les distinguer de tant d'autres Parisiens, ils lustrent à l'huile de salade, faute de matières grasses, leurs cheveux un peu trop longs, qui descendent  à la rencontre d'un col souple maintenu sur le devant par une épingle transversale. Cette tenue est presque toujours complétée par une canadienne dont ils ne se séparent qu'à regret et qu'ils gardent volontiers mouillée. Car ils ne sont vraiment eux-mêmes que sous la pluie : obéissant en cela à l'un des rites qui leur sont chers, ils traînent avec délices leurs pieds dans l'eau, crottent leur pantalon, exposent aux averses leurs cheveux touffus et gras. Quant aux femmes, elles cachent sous des peaux de bêtes un chandail à col roulé et une jupe plissée fort courte ; leurs épaules, exagérément carrées, contrastent avec celles des hommes, qui les « portent » tombantes ; de longs cheveux descendent en volutes dans leur cou ; leurs bas sont rayés, leurs chaussures, plates et lourdes ; elles sont armées d'un grand parapluie qui, quelque temps qu'il fasse, reste obstinément fermé. Tel est l'uniforme que ces jeunes gens ont tenu à arborer pour coopérer à la reconstruction de la France, pour parler de l'avenir entre deux danses épileptiques et clandestines … entre deux swings … Successeurs des Muscadins, des Merveilleuses, des Charleston et de tous les insouciants nés des grands troubles, ils imitent des personnages traditionnels en parlant avec emphase et en faisant des effets de bars ; ce qui ne les empêche pas de prendre leur rôle au sérieux et d'exposer leur profession de foi dans un refrain dont les notes aigües font vibrer les pianos et les haut-parleurs : « Je suis swing, da dou, da dou, dadoudé ... » Swing ! Un mot que le public accueille avec un haussement d'épaules indulgent comme une mode inoffensive ou une invention de chansonnier en quête de cible nouvelle ; un mot étranger dont il connaît d'ailleurs mal le sens et dont il fait, par ignorance, le synonyme de « chic » ou l'équivalent d' « agité » ; un mot cependant qui résume tout un programme, car, traduit en français, il signifie « direct », désigne le coup de poing du boxeur et semble évoquer la ligne droite, le dynamisme, la franchise poussée jusqu'à la brutalité. Le terme, reconnaissons-le, serait assez bien choisi et aurait peut-être fait fortune sans sa parure d'enfantillages, que blâment les non-initiés et les speakers des deux zones. « Nous poursuivons cependant une politique de redressement » clament les adeptes. Et, après avoir écrasé de leur mépris ceux qui ont fait et manqué la guerre, ils arborent en toutes circonstances un air soucieux dont rien ne les fait se départir. Conscients d'avoir le monde à remuer, ils poussent leurs idées dans la conversation avec des gestes las et affectés. Et il n'est de domaine qui ne les attire ; leur activité s'étend jusqu'à l'art, dont ils ont la prétention d'orienter les tendances : en musique ils recherchent la succession des sons graves et aigus qui coupent, en haut, la respiration pour ne la rendre que dans l'abîme insondable des basses : les montagnes russes en harmonie … Ils ont leurs jazz spécialisés, conduits par des chefs d'orchestre qui ne battent plus la mesure avec les jambes et les hanches comme au temps du shimmy, mais avec les épaules ; et de ces conducteurs d'orchestre ils font pour ainsi dire les grands-prêtres du swing chargés de communiquer au public leur fièvre croissante, leur agitation rythmée afin de créer une sorte d'hallucination collective ; des concerts sont régulièrement organisés dans les grandes salles de Paris, où se bousculent les amateurs enthousiastes. En peinture, ils dédaignent le dessein pour n'accorder d'intérêt qu'à la « pâte », dont ils décrivent les épaisseurs d'un geste professionnel du pouce dressé en spatule. Tels sont les vrais gens swings du Quartier Latin, ceux que l'on appelle par dérision les « zazou » et qui sont à l'origine de « mouvement » dont le style fut par la suite déformé. Car il existe maintenant une autre variété de ces dandys nouveaux ; une imitation superficielle, beaucoup plus élégante et moins « pure », qui siège aux Champs-Elysées ; ces swings-là vont encore chez le coiffeur, portent des pantalons bien coupés, mais se contentent d'un rôle de figurants sans en rechercher l'esprit. D'autres enfin, qui ne sont plus de première jeunesse, croient donner l'illusion de l'éternel printemps en imitant les étudiants ; mais à ces hommes mûrs, qui n'ont pas l'excuse de la puérilité, il faut l'atmosphère un peu frelatée des boîtes de nuit et un quartier général dans un établissement de Montmartre … … Et nous allions oublier le signe de ralliement, qui n'est point un blanc panache, mais, pour les filles, une curieuse touffe de cheveux frisés dressée vers le ciel et, pour les garçons, une mèche ondulée … Souhaitons que cette carapace de petits snobismes se dégage en temps voulu la volonté d'agir. Robert Baschet. Dessins de Marcel Chamard. » Cet article (publié pour la première fois sur Internet) est courageux à une époque où Paris est occupée. Il nous donne aussi de nombreux renseignements sur les zazous. © LM.

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© Article LM


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