Notes sur la création : Pierre Dhainaut

Que serions-nous sans les mots ? S’ils nous paraissent abstraits ou arbitraires, n’accusons que notre comportement à leur égard. Certains poèmes en témoignent, certains textes qui ne demandent pas que nous les qualifions de poèmes : les mots ne sont jamais de trop lorsque nous renonçons à les soumettre. 
Ils se présentent, ils nous surprennent dès que s’atténue le poids des occupations qui nous tendent, que s’éloigne enfin le souci d’imprimer notre marque sur une page comme sur une pierre. Seraient-ils ceux de l’usage quotidien, nous les reconnaissons à peine, leur langue, une langue étrangère… Ce qu’ils signifient, ces mots, il est trop tôt pour le deviner. Que veulent-ils ? Ce sont eux qui interrogent, n’en doutons pas si nous doutons de nos réponses. 
Ce qu’ils nous laissent, qu’ils intensifient, notre attention, en effet. Sans réticence, écoutons-les lorsqu’ils respirent, nous parviendrons à respirer mieux. Ils s’affranchissent des contraintes. Quand ils s’animent, n’essayons pas de les gouverner selon l’idée qui est la nôtre, étroite, de ce que doit être un poème… Gardons-nous de combler le vide par une formule autoritaire, l’élan ne reviendrait pas, nous continuerions de peser… De syllabe en syllabe, que leurs sons demeurent libres de se répéter et de s’opposer, de se compléter, de s’unir, et l’espace s’accroît, où ils se fraient un passage, l’espace intérieur s’accroît également. Les souvenirs et les désirs auxquels nous tenons tant que nous y voyons notre identité, cette clôture, les mots nous interdisent de nous y complaire, ils puisent là leur substance, ils les allègent. Tout participe au poème en train de s’accomplir. 
 
 
Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse, Ed. La Dame d’Onze Heures, 2011, in « Un travail d’écoute », p. 79

[Choix de Sylvie Fabre G]