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Vocation de l'esquisse de Pierre Dhainaut (par Sylvie Fabre G.)

Par Florence Trocmé

La poésie comme appel 
 

Dhainaut
Si la poésie est d’abord un « appel », qui vient « des mots aussi bien que de nous », comme le dit Pierre Dhainaut dans son dernier livre, Vocation de l’esquisse, paru à l’automne 2011 aux Editions de La Dame d’Onze Heures, elle nous apprend à emprunter des directions que nous n’aurions pas prises et qui nous placent devant l’inconnu. Percer les apparences, savoir entendre et voir,  trouver une forme qui puisse rendre le perpétuel « surgissement du monde » dans la langue, telle est la tâche que l’auteur assigne au poète. Pour l’accomplir, celui-ci doit d’abord être humblement à l’écoute puis prêter sa  « voix aux mots qui donnent voix », obéissant ainsi à une « vocation » qu’il est seul à pouvoir incarner mais dont la révélation habite aussi le lecteur. Véritable aventure langagière et spirituelle, la poésie nous réapprend à être « des créateurs autant que des créatures ». 
La première partie du recueil, A ce qui nous devance, dit le poème, par son titre signifiant, insiste sur cette promesse tenue du langage « … quand nous désespérions/ un vocable espérait pour nous », et sur le don auquel nous avons à consentir. « Ouvrir la porte », « ouvrir les bras » est la nécessité première du processus de vie et d’écriture car « un cœur bat au dehors ». Sa parole, lyrique,  est parole du « oui ». Elle nomme «  le nuage ténu », la mère disparue et les enfants partis, «  les prénoms » des aimés, le hêtre et son aubier, « les cris d’hirondelles », elle préserve l’élan et ressuscite l’aube du monde.  « Une force y est à l’œuvre » qui élargit le temps et l’espace, trace « une frontière » nouvelle par-delà laquelle se lèvent les visages, commence l’infini. 
 
En permanence et par surprise, la deuxième partie montre le chemin qu’emprunte le poète pour retrouver cette « heure augurale », cette  « alliance » des origines. Dans la quête des mots les plus simples et les moins « stériles », il lui faut traverser  « l’éveil au noir », affronter la tempête et l’hiver, regarder s’avancer et gagner la mort avant de reconnaître  « l’horizon [qui] s’arrondit au fond des yeux, des paumes ou de la gorge » et « le foisonnement des souffles », car c’est aussi dans la nuit que le poème prend forme, que sa lumière brille. Nul ne peut faire l’économie du doute, de la douleur et de la séparation, mais si la neige tombe et recouvre, elle fond et féconde, comme « l’écume et la rosée », pour réinventer le monde  et ses couleurs : « ce sera l’or évidemment la note primordiale/pour la sonorité qui dure jusqu’au soir/ essaime, se mêle au bleu, au vert, au rouge… », affirme Dhainaut, « et ce que la mort, aveugle, a cru prendre », retrouvera « un visage radieux ». Correspondances baudelairiennes ou rimbaldiennes, résonances avec les voix de Philippe Jaccottet ou de François Cheng, dans ce recueil la présence des éléments, la figure de l’oiseau omniprésente, les ombres portées de l’enfant et de la mère, la proximité des vivants et des morts se teintent tour à tour de mélancolie et de « ce que l’on appelle la joie », tout en réaffirmant la foi dans le langage.  
 
Les encres d’Isabelle Raviolo qui accompagnent les poèmes offrent « la vie à la vie qui ne souffre aucune fin » car « L’instant, l’éternel/vont toujours de pair ». Leurs traits, fragiles comme pattes d’oiseaux, ont l’envolée des mots qui servent à « nous affranchir ». Ils sont ces traces libres, ces signes abandonnés à la page, ces appels d’air qui laissent le lointain affluer et la voix du poème battante. Car ce dernier, nous murmure Pierre Dhainaut, « ne peut être qu’une esquisse », la saisie sublime et déchirante de la beauté. Toujours à naître, le poème reste inachevé, telle la vie. Son chant inscrit la partition de l’être dans un paysage habité, souvent celui du Nord, terre natale du poète. La dernière partie, constituée d’un seul long poème, mais dont chacune des strophes brèves pourrait s’apparenter à un haïku, est une suite de dédicaces dont l’ultime fond les limites de la vie et de l’écriture : « Aux poèmes/quand s’achève/un vers, l’envol/des mots/que l’on peut/ne pas dire. 
Vocation de l’esquisse est un recueil original par sa composition et sa postface adressée. Le «  nous » y est partout la personne dominante car « comment admettre que l’écriture nous isole ? » dit Pierre Dhainaut. Tout entier appel à la vie, à l’amour de l’autre et à la poésie, l’œuvre, véritable Art poétique, est une invite au dialogue entre le poète et lui-même, le poète et le lecteur, les poèmes et les encres de l’éditrice-artiste. Elle nous renvoie à notre solitude pour mieux nous accorder sa guérison  dans le partage «  d’un livre commun » car, « que serions-nous sans les mots  » qui font advenir la rencontre ? 
 
 
Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse, Ed. La Dame d’Onze Heures, 2011  
 
[Sylvie Fabre G.]


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