Mont-Ruflet
poème-feuilleton d’Ivar Ch’Vavar
11e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Les villageois ramassent le bois mort dans la forêt. Alix se rend compte qu’ils appartiennent à une autre époque et qu’elle est pour eux une étrangère. Les hommes se livrent du reste à une pantomime qui ne laisse pas de provoquer chez elle un début de panique.
Le droite (je la touche du menton, oui, en tournant
La tête, pour mieux la voir). Qu’est-ce qu’elle fiche
Là, je la tenais le long de ma cuisse, bon Dieu, je la
Tenais ! le poète me l’avait tendue : je la tenais par
Le poignet ! Et voilà que sur mes coudes sont pliés
Les creux poplités (JE RÊVE !) de grand-mère ! Et sa
Voix, alors (pincez-moi, merde...) la voix de grand-
Mère, éclate, haut juchée au-dessus de mes oreilles
« J’te l’avais-t-il pas dit, ma p’tiote, que c’était tous
Des obsédés sexuels ?... »
Aux matins de l’hiver, (530)
La grand-mère ne voulait pas que nos posions nos
Pieds nus sur le sol glacé des chambres, elle venait
Nous chercher au lit et nous emportait sur son dos
Jusqu’à la salle où déjà le poêle ronflait ; au-dessus
Sur un fil de fer là tendu — elle avait mis nos chau
Ssettes « à chauffer ». Debout sur le lit-cage, encore
Tout ensommeillées ; à nous frotter l’œil de l’index
Et, avec grimaces tapoter... l’épi épais sur l’occiput,
Nous attendions notre tour ; et quand c’était à moi,
Je m’accrochais à son vieux cou à Frédégonde, et h (540)
Op ! je passais mes genoux dans ses coudes, j’avais
Ma joue contre sa joue, et elle trottait ! J’avais cessé
De protester depuis belle lurette : elle aimait ça ! et
Pourquoi la contrarier? D’accord je fais vingt centi
Mètres de plus qu’elle, alors drôle ça peut paraître,
Mais si cela lui fait plaisir...et tant que personne ne
Nous voit...voilà ça va. Grand-Man me dépose sur
Une chaise, il me faut m’asseoir sans jamais jamais
Ne serait-ce qu’effleurer le sol du pied. Bientôt elle
M’enfile les chaussettes (toutes chaudes, sentant le (550)
Roussi) et mes pantoufles (de sous le poêle sorties)
et ouf ! je peux enfin toucher terre, glisser mes jam
Bes sous la nappe... Et le lait fume, coloré d’un peu
De café («Tu ne veux pas de chicorée, non?» Non !
Bien sûr) dans les grands bols peu décorés (damier
Blanc et rouge). Je déplie ma serviette, et j’avise les
Pots de myrtille ou de rhubarbe, dont, avec la poin
Te d’un couteau, on vient juste d’ôter l’opercule de
Parafine ; le beurre, mais si on préfère le saindoux,
Avec sel et poivre, et des tranches de pain longues (560)
Comme mon avant-bras. Et, par la fenêtre, le soleil
Encore tout froid – vient regarder. Il bat la semelle,
Il a enfoncé son bonnet sur ses yeux, il a fourré ses
Mains dans ses manches, il gonfle les joues et d’un
Coup de menton, nous salue ; puis, il nous gratifie
D’un clognon (un clin d’œil). Il regarde bien tout et
Tout partout, dans la pièce, le poêle et la gazinière,
Les chaussettes sèches sur leur fil de fer, la vapeur,
La buée et la fumée, la table ronde à la nappe cirée
Qui brille, et les bols, les couteaux, les cuillères, les (570)
Tartines, les pots de confiture... les allées et venues
De grand-mère trotte-menu, qui tranche le pain su
prochain épisode vendredi 23 décembre - puis courte pause jusqu'au 2 janvier