Magazine Culture

Créateurs de musique, quels sont vos droits ?

Publié le 21 décembre 2011 par Jeanne Walton

Marc-Olivier Deblanc, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle chez Barnett répond aux questions clefs concernant les droits et les rémunérations des créateurs de musique.

Certains appels d’offres récents, parfois publics, ont suscité une forme de polémique sur le traitement des droits et des rémunérations des créateurs. Beaucoup d’acteurs s’interrogent même sur la légalité de certaines demandes qui visent à ne pas payer de droits ou à forfaitiser une cession avec un paiement unique.

Que pensez-vous de ces demandes ?

A titre liminaire, il convient de rappeler que le droit d’auteur français fait bénéficier à l’auteur d’une œuvre musicale originale une rémunération en principe proportionnelle aux fruits tirés de l’exploitation de cette œuvre (reproduction de l’œuvre sur un support, diffusion de l’œuvre, vente de l’œuvre).

Il faut garder à l’esprit que la rémunération proportionnelle, c’est-à-dire calculée sur les profits tirés de l’œuvre, demeure le principe en droit français. La rémunération forfaitaire doitt rester une exception limitée aux cas strictement visés à l’article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle.

Ainsi, le législateur vient-il encadrer les cessions pour lesquelles une rémunération forfaitaire pourrait être prévue et c’est le cas notamment lorsque la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ou lorsque les moyens mis en œuvre pour déterminer et contrôler la participation proportionnelle seraient hors de proportion avec le résultat à atteindre.

C’est également le cas selon l’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle lorsque « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle lorsque notamment la contribution de l’auteur ne présente qu’un caractère accessoire au regard de l’œuvre exploitée ».

Ces cas peuvent sembler purement théoriques voire abscons ou imprécis. Ce qui nécessite le plus souvent qu’au sein des contrats lorsqu’un règlement forfaitaire est envisagé, il soit fait expressément référence à l’exception visée, c’est-à-dire concrètement à l’alinéa de l’article L.131-4 que l’on entend revendiquer pour justifier d’un règlement forfaitaire et non proportionnel.

En matière de musique à l’image, il faut également distinguer deux situations : l’œuvre de commande et l’œuvre préexistante.

Dans le premier cas, l’annonceur va commander une œuvre musicale originale à un auteur et peut ainsi se trouver investit de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à cette œuvre. Il devient à proprement parler « propriétaire de l’œuvre » sous la seule réserve du droit moral de l’auteur (c’est-à-dire le droit pour l’auteur de se voir reconnaitre la paternité de l’œuvre, d’être cité comme auteur de ladite œuvre et de voir respectée l’intégrité de son œuvre).

Dans la pratique, les contrats prévoient des modes de rémunération proportionnelle (souvent directement versées par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective qui par définition reversent une rémunération proportionnelle aux exploitations effectives de l’œuvre : par les chaines, les radios, les éditeurs de DVD, le fabriquant de supports, etc.) et concomitamment le versement d’une somme forfaitaire qui constitue selon le cas une prime d’écriture, un minimum garanti ou une avance selon les hypothèse et la nature de la prestation.

Dans le second cas, l’œuvre musicale a déjà été divulguée (juridiquement elle « existe » déjà d’où le terme d’œuvre « préexistante »).  Elle est déjà produite et/ou éditée et l’annonceur va devoir solliciter une autorisation des ayants droit de cette œuvre à des fins de synchronisation. Ces ayants droit sont au nombre de deux : le producteur des enregistrements phonographiques et l’éventuel éditeur de l’œuvre. On précisera à ce titre qu’une réinterprétation de l’œuvre (« cover ») par des musiciens de studio peut permettre de faire l’économie des droits voisins du producteur. Mais cette solution n’est pas nécessairement plus économique et par ailleurs les risques d’une action, non pas en contrefaçon mais en concurrence déloyale, est possible de la part du producteur de l’enregistrement original.

Or, le droit de synchronisation n’est pas reconnu par la loi. Il s’agit d’une création des usages visant à valoriser l’acte d’association du son à l’image (qui implique une autorisation des ayants droit, dans le mesure où ceux-ci doivent pouvoir décider à quelle(s) image(s) / marque(s) ils acceptent que les œuvres soit associées) au delà des éventuels revenus tirés de la gestion collective qui ne rémunèrent que les actes de reproduction et de diffusion.

Le droit de synchronisation est ainsi une manière de patrimonialisation (ou plus cyniquement de monétisation) d’un droit moral.

Même si le code de la propriété intellectuelle peut viser les cas d’une cession à titre gratuit (article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle : « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou onéreux »), cette disposition est en principe réservée aux libéralités, donc hors ce cas particulier les règlements forfaitaires sont en principe prohibés.

Ces demandes de paiements forfaitaires, résultent de l’idée que se font les commanditaires que les paiements proportionnés impliquent une lourdeur administrative (rééditions de comptes, relations avec les sociétés de perception et de répartition) et le sentiment d’une plus grande maitrise du budget (« on paye une fois pour toute, il n’y aura pas de mauvaise surprise »).

Cette impression est le plus souvent erronée, c’est pourquoi nous invitons à appliquer les principes légaux en la matière.

Certains annonceurs ont du mal à faire la distinction entre les honoraires d’un créateur et les droits qu’ils réclament. Comment abordez-vous cette question avec vos clients ?

C’est en effet une question récurrente des clients.

Nous devons faire œuvre de pédagogie auprès des auteurs et artistes d’une part et des commanditaires d’autre part, pour que chacun comprenne ce qu’il faut payer, comment il convient de le payer et pour quel type de prestation.

S’agissant de l’artiste / auteur, il doit savoir distinguer la nature de sa prestation.

Lorsqu’il interprète une œuvre (ou intervient en tant que chef d’orchestre) il relève du statut des artistes interprètes.

Il doit donc percevoir un salaire (en principe conforme à la Convention Collective de l’Edition Phonographique du 1er août 2008) d’une part et une rémunération proportionnelle dans l’hypothèse d’une exploitation de son interprétation notamment sous forme de phonogramme ou d’exploitation digitale. Il devra également envisager de percevoir auprès de l’ADAMI ou de la SPEDIDAM ses droits voisins (copie privée et rémunération équitable).

Lorsqu’il compose / écrit une œuvre musicale, il « change de casquette », dans ce cas ces revenus proviendront pour l’essentiel de la société de gestion collective dont il est membre (ex. SACEM-SDRM), mais pourra également percevoir une prime d’écriture ou une forme d’avance à recouper sur des revenus à venir.

Enfin lorsque que l’auteur ou l’artiste a son propre studio il devra envisager (le plus souvent par l’intermédiaire d’une société Ad’ hoc) de se faire rémunérer la prestation d’enregistrement sous forme d’honoraires dans le cadre d’un contrat de prestation de services.

Nous insistons toujours auprès des artistes pour qu’ils entretiennent une forme de schizophrénie et qu’ils sachent précisément à tel ou tel moment du processus créatif, en quelle qualité ils interviennent : en effet, les modes de rémunérations (et le traitement fiscal et social des sommes) sont dans chaque hypothèse différents.

De même le commanditaire pour pallier aux risques d’une éventuelle remise en cause de ses accords avec les créateurs devra veiller à bien distinguer la nature des prestations qu’il sollicite pour éviter une requalification de la relation voire une nullité pure et simple des contrats.

Le plus souvent des pans entiers de rémunération sont oubliés (en payant l’auteur ou croit payer la prestation de l’artiste, ou en payant une prestation de services on croit payer les droits d’auteurs).

En réalité les règles sont très simples, le maître-mot étant de segmenter et de fragmenter les activités pour éviter toute confusion.

Il convient par ailleurs de maîtriser le rôle des sociétés de gestion collective et savoir quel type d’exploitation elles rémunèrent et quelles rémunérations sont réservées par exemple à l’éditeur (droit de synchronisation, adaptations audiovisuelles).

Enfin, bien évidemment, le commanditaire pourra négocier l’édition des œuvres de commandes.

Aussi bien du côté des auteurs que des commanditaires il conviendra d’apprécier les charges et obligations qu’implique la signature d’un contrat de cession et d’édition musicale voire d’un pacte de préférence.

En matière de musique, les annonceurs payent généralement deux types de droits : les droits d’auteurs d’une part, généralement perçus par la SACEM, et les droits de producteurs, souvent gérés par des sociétés de type SCPP ou SCPA. Est-il possible que les créateurs facturent directement ces droits à leurs clients ? Si oui, à quelles conditions ces facturations sont-elles licites ?

Il convient en effet de distinguer les droits d’auteur attachés à l’auteur compositeur et à l’éditeur de l’œuvre, des droits voisins attachés à l’artiste-interprète et au producteur.

En matière de musique, il faut également distinguer parmi ces droits ceux qui sont gérés par les sociétés de gestion collective des droits qui ne le sont pas.

En effet, les auteurs et/ou artistes, tout comme les éditeurs et les producteurs ont bien souvent donné mandat à ces sociétés pour la gestion de certains droits.

La Sacem va, par exemple, collecter auprès des diffuseurs les droits afférents à la diffusion publique de l’œuvre (radio, TV, « Bar à ambiance musical », cinéma, boites de nuit, etc.).

Ce type de rémunération est à distinguer du forfait versé à l’auteur en contrepartie de la cession de ses droits sur son œuvre.

Lorsqu’un annonceur sélectionne un titre pour le synchroniser sur film publicitaire par exemple, il négocie l’utilisation d’une part de l’œuvre auprès de l’éventuel éditeur et d’autre part du support physique auprès du producteur.

L’annonceur rémunère donc directement cet éditeur et ce producteur, à charge pour eux par la suite de reverser sa part à l’auteur en vertu des contrats qui les lient.

Il est rare en pratique qu’un auteur ne soit pas affilié à la Sacem, bien que cela ne soit pas une obligation.

Il existe un grand débat doctrinal et jurisprudentiel sur la nature des apports des créateurs aux sociétés de gestion collective. Soit l’on considère, qu’il s’agit d’une forme de cession, soit d’un « apport-cession », soit d’un mandat…

Sans entrer dans ce débat il faut considérer qu’en principe l’auteur membre d’une société de gestion collective doit apporter à cette dernière ses droits et qu’en principe il ne peut les céder deux fois ; donc a priori une telle double cession est illicite.

Toutefois rien n’interdit d’ajouter aux sommes issues de la gestion collective une rémunération sous forme de prime de commande qui échappe donc à la gestion collective.

Peu de responsables de marque ont une vraie compréhension des enjeux liés aux droits dans la musique. Quel conseil donneriez-vous en matière juridique à un directeur de la Communication d’une entreprise qui a besoin de musique pour ces outils de communication ? Que doit-il demander, s’il décide de mener un appel d’offres, en matière de droits ?

Il faut comprendre qu’aujourd’hui aucune marque ne peut se développer sans une véritable identité sonore associé à l’identité visuelle.

La musique est devenue une partie intégrante de l’ADN des marques.

L’on ne peut que constater des exemples de plus en plus nombreux d’associations fructueuses de marques à de la musique et réciproquement ; soit que certains artistes accèdent à la notoriété grâce à une synchronisation avec une grande marque (on pense par exemple à l’explosion du groupe The Tings Tings après la campagne I- Pod en avril 2008) soit qu’une marque s’offre les services d’un grand artiste pour se valoriser (on pense aux associations entre Robert Palmer et Renault dans les années 80 et 90, entre les Rolling Stones et Microsoft pour la sortie de Windows 1995 ou plus récemment Marion Cotillard et Franz Ferdinand interprétant une œuvre originale pour la marque Cartier).

Un deal classique en matière de commande est en principe divisé en trois parties :

  • Signature d’un contrat de commande prévoyant une rémunération versée directement par la société de gestion collective avec le cas échéant une avance ou une prime de commande.
  • Un contrat d’artiste interprète dans l’hypothèse d’une exploitation future sous forme de phonogramme ou exploitation digitale.
  • Un contrat de prestation de services pour la prestation d’enregistrement (sur facture avec TVA)

En revanche, en matière de synchronisation, les droits sont gérés directement par les ayants-droit de l’œuvre que sont en principe l’éditeur et le producteur. Dans ce cas, il conviendra de se rapprocher de ces derniers pour solliciter leur autorisation et fixer la rémunération au titre de l’exploitation envisagée.

Dans tous les cas il est utile de solliciter les recommandations d’un conseiller pour maitriser les tenants et aboutissants des contrats à négocier.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jeanne Walton 1233 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte