Dans le jardin d’une petite maison rose de Lausanne, quand les vents nostalgient la ramure d’un grand cèdre, valsent alors un père et sa fille.
Marie-Jo se tire une balle en plein coeur, le 16 mai 1978. Elle a 25 ans.
Dix jours plus tard, Simenon sème les cendres de sa fille sous le grand cèdre de son jardin.
Dans la nuit du 7 septembre 1989, Teresa Sburelin, la compagne vénitienne, disperse les restes de l’écrivain sous le grand cèdre de la petite maison rose de Lausanne.
"Quant à toi, Marie-jo chérie, tu fais une découverte importante dont tu te souviendras toujours. Chaque après-midi, sur la terrasse du Lido, six ou sept musiciens forment un petit orchestre aux sons duquel les couples dansent sur la piste.
Tu as choisi ton coin, près des musiciens, avec qui tu deviens vite amie et comme complice. Tu as un peu plus de sept ans mais, depuis longtemps déjà tu possèdes dans ta chambre … ton phono et tes disques. Tu les connais bien, car tu les joue beaucoup, et tu as tes préférés. L’un d’eux est Tennessee Waltz, une valse nostalgique du Sud, aux Etats –Unis, que tu as entendue tout enfant et au rythme de laquelle tu te balances.
Tu veux me faire danser, Dad ?
Et voilà que nous valsons tous les deux sur l’air de Tennesssee Waltz, que tu as demandé à tes amis de l’orchestre de jouer… ta jolie robe de coton rayé de blanc et de bleu qui flotte autour de toi.
Tous les soirs, désormais nous avons un rendez-vous presque secret, à la première table près des musiciens qui, dès qu’ils t’aperçoivent, se mettent à jouer ton morceau favori.
Ce sera, ma petite fille, un des meilleurs souvenirs, nos danses dans le soleil tamisé par une tente couleur ocre qui te colore les joues."
Mémoires intimes, Georges SimenonGeorges Simenon et Teresa Sburelin