La délicatesse au cinéma, c’est quoi?
C’est parler d’amour sans tomber dans les bons sentiments sirupeux, avec humour et légèreté. Raconter, par exemple, la rencontre entre Nathalie (Audrey Tautou) et François (Pio Marmaï), dans un petit troquet parisien, esquisser leur histoire en seulement quelques séquences choisies, juste en montrant des regards complices et des sourires radieux. Cela suffit à nous faire admettre que ces deux-là sont faits l’un pour l’autre et prêts à construire leur vie ensemble, à fonder une famille…
C’est aussi passer au drame sans sombrer dans la lourdeur trop démonstrative qui plombe bien des mélos.
Un matin comme les autres, François part faire son jogging, plein de vie et de fantaisie, comme d’habitude. Nathalie, elle, reste bouquiner tranquillement à la maison et s’endort sur le canapé. Elle est réveillée par une sonnerie de téléphone.
On n’entend pas ce que dit son interlocuteur, mais on comprend, au regard affolé de la jeune femme, que quelque chose de grave s’est produit. Son mari est à l’hôpital après avoir été heurté de plein fouet par une voiture.
Dans la salle d’attente du bloc opératoire, la tension monte encore d’un cran. Puis la caméra plonge dans le regard embué de larmes et désolé des parents de Nathalie (Ariane Ascaride et Christophe Malavoy) et immédiatement on sait que François n’a pas survécu à l’accident…
La délicatesse, c’est de ne pas verser dans le pathos pour décrire le deuil de Nathalie, cette terrible douleur de la perte de l’être aimé. C’est user d’une jolie ellipse pour en arriver à un point où Nathalie refait un peu surface.
Quelque chose s’est cassé en elle. Elle n’affiche plus la même joie de vivre. Mais elle a de l’énergie à revendre qu’elle investit pleinement dans son travail. Pour le plus grand plaisir de son patron (Bruno Todeschini) qui ne désespère pas de s’attirer les faveurs de la belle… Mais Nathalie ne recherche pas vraiment ce genre de relation. Si elle parvient à surmonter son chagrin et briser le lien qui l’attache au passé, elle pourrait être séduite par l’opposé dudit patron, un homme discret, attentionné, drôle et sensible…
La délicatesse, c’est d’avoir le bon goût de ne pas faire de cet homme un prince charmant au sourire ultra-bright et aux pectoraux sculptés, mais d’en faire un homme ordinaire. Il travaille sous les ordres de Nathalie et s’appelle Markus (François Damiens). Il est suédois, mais ne correspond pas vraiment à l’image traditionnelle du beau viking blond. C’est un quadragénaire bedonnant, à la calvitie naissante et à la barbe négligée. Il n’est pas très athlétique ni très intello. C’est juste un type ordinaire sur qui les femmes ne se retournent pas d’habitude, mais qui compense son physique ingrat par beaucoup de gentillesse et une pointe d’humour.
Entre eux va naître une attirance d’abord diffuse, puis de plus en plus manifeste au fur et à mesure de leurs sorties extra-professionnelles. Mais des obstacles se dressent rapidement sur la route de leur possible idylle : les ragots de leurs collègues, la jalousie du grand patron, l’incompréhension des amis de la jeune femme face à cet homme qu’ils jugent trop “moche” pour elle…
Et surtout, ils doivent composer avec la gêne qui va s’immiscer dans leur relation : Markus ne se sent pas à la hauteur de Nathalie. Il pense qu’elle est trop bien pour lui, qu’elle le quitterait rapidement pour un autre en lui brisant le coeur… Nathalie, elle, se sent encore prisonnière de son amour pour son défunt mari. Serait-ce le trahir que d’aimer quelqu’un d’autre? Est-elle vraiment prête pour une nouvelle aventure amoureuse?
La délicatesse, c’est de rendre crédible cette rencontre improbable de deux êtres que tout semble opposer, si ce n’est une certaine mélancolie. Et c’est de raconter leur histoire en trouvant le bon équilibre entre comédie – avec quelques jolies répliques – romance et drame.
La délicatesse, c’est le visage d’Audrey Tautou, le contraste entre ses grands yeux tristes et son sourire craquant. C’est la performance de François Damiens, belge rigolo qui réussit à se glisser dans la peau d’un suédois dépressif. C’est le charme de Mélanie Bernier et celui de Pio Marmaï, décidément habitué à ce type de film tragi-comiques.
Ce sont Bruno Todeschini et Joséphine de Meaux, convaincants dans leurs rôles de personnages à doubles faces.
La délicatesse, c’est la musique d’Emilie Simon, qui accompagne le film. En 2009, l’artiste française a été frappée par le même malheur que le personnage principal du film. Elle a perdu son compagnon, François Chevalier. Son nouvel album, “Franky Knight” (1), lui rend hommage et tous les titres sont empreints de douleur, de nostalgie, mais aussi de cette force qui pousse à continuer à avancer malgré tout, même si rien ne peut plus être comme avant. David et Stéphane Foenkinos ne pouvaient pas rêver bande-originale plus adaptée pour leur long-métrage. (2)
La Délicatesse, c’est l’adaptation réussie du best-seller éponyme (3), par son propre auteur, qui a bien compris que l’on n’est jamais mieux servi que par soi même…
La Délicatesse, c’est un film drôle et émouvant, léger et grave, juste et sensible, dont le caractère universel devrait toucher bon nombre de spectateurs… C’est du moins ce qu’on lui souhaite.
(1) : “Franky Knight” d’Emilie Simon – éd. Barclay/Universal
(2) : Emilie Simon avait commencé à écrire ses chansons avant la mise en route du film, mais la conception de la bande-originale et de l’album s’est finalement confondue en un seul et même processus créatif.
(3) “La délicatesse” de David Foenkinos – coll. Blanche – éd. Gallimard
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La Délicatesse
La Délicatesse
Réalisateurs : David Foenkinos, Stéphane Foenkinos
Avec : Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini,
Joséphine de Meaux, Pio Marmaï, Mélanie Bernier
Origine : France
Genre : délicat
Durée : 1h48
Date de sortie France : 21/12/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Libération (la délicatesse, c’est de voir un film en entier, surtout quand on a la chance d’être payé pour cela…)
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