Le tableau raconte simultanément plusieurs histoires. La première est celle de l’Annonce aux Bergers.
L’annonce aux bergers
Sur la banderole tenue par les anges du toit, on peut lire « Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis »
Voici le texte complet (Luc 2,8) :
« Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et qui veillaient la nuit sur leur troupeau. Un ange du Seigneur parut auprès d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de clarté, et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit: » Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie: il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et voici ce qui vous en sera le signe: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. » Tout à coup se joignit à l’ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant:
» Gloire à Dieu au plus haut des cieux. Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! «
Trois anges, trois bergers
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Les trois anges sur le toit représentent donc la « milice céleste » qui accompagne l’annonce aux bergers. La composition du groupe pastoral, en triangle, est très semblable à celle du groupe angélique comme si, par une sorte de mimétisme, les bergers obéissaient aux anges jusque dans leur posture :
- le berger de gauche tient sa cornemuse comme l’ange en bleu tient la banderole ;
- le berger du centre se glisse entre les autres pour mieux voir, comme l’ange du centre.
- le berger de droite serre son chapeau entre ses mains tout comme que l’ange de droite, en vert, les joint dans un geste de respect.
Tandis que les trois anges du toit proclament la gloire de Dieu, les trois bergers d’en bas, fraternellement enlacés dans l’embrasure de la porte, sont l’illustration parfaite de ces hommes de bonne volonté auxquels la paix est promise.
Le berger de gauche
C’est le plus jeune des trois bergers, le musicien, l’artiste de la bande.
Le berger du centre
Il semble d’âge mûr, et tient à main gauche une houlette. La houlette est l’instrument de travail du pâtre : un bâton terminé par une partie métallique en forme de spatule, qui permet de détacher des mottes de terre pour les lancer (houler) aux moutons qui s’éloignent. Après l’artiste, le travailleur.
Le berger de droite
C’est le plus âgé, et le plus chaudement vêtu. Il porte des moufles en peau retournée, et tient en main un chapeau de feutre à l’épreuve de la pluie, qu’il peut coiffer par dessus sa cagoule.
Comme le dit de manière savoureuse le Calendrier des Bergers :
« Il affiert au bergier qu’il soit affublé d’ung grant chapeau de feutre rond et bien large, et par davant doit estre redoublé de plaine paume ou plus. Ledict chappeau est mout profitable et ydoine au berger, tant pour obviuer à la pluye, vens et tempestes des temps, comme pour la garde de son chef » . Et ailleurs : « En yver affiert au bergier qu’il ayt moufles pour garder ses mains de la froidure »
A son équipement d’hiver complet, à sa position devant les autres bergers, à sa barbe grisonnante, on comprend que le berger de droite est le chef du groupe.
Une microsociété dans l’embrasure
Les trois bergers représentent à la fois les trois âges de la vie (la jeunesse, l’âge mur, la vieillesse) et les trois motivations qui correspondent à chaque âge : les plaisirs, le travail, le pouvoir.
Joseph
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Après les anges et les bergers, continuons à parcourir la diagonale descendante. Joseph, avec sa robe rouge, son manteau marron et sa cagoule bleue, reprend les trois couleurs des bergers, dans une sorte de continuité visuelle. On pourrait même soutenir qu’il représente une sorte de synthèse des trois pâtres :
- sa barbe répond à celle du chef ;
- la bougie dont il protège la flamme de la main droite, est une sorte d’ »instrument à lumière », tout comme la cornemuse est un « instrument à vent », clarté ou musique résultant dans les deux cas d’un contrôle du souffle ;
- enfin, la houlette du troisième berger évoque l’emblème même de Joseph, son bâton.
Sur la diagonale des hommes de bonne volonté, Joseph figure en bonne place.
Azel
En bas à droite se trouve Azel, la sage-femme qui a cru la première à la virginité de Marie (dans 4.1 Une cuisante expérience nous reviendrons en détail sur l’anecdote).
Des trois anges aux trois bergers, puis à Joseph, puis à Azel, la diagonale descendante établit une continuité entre le registre céleste et le registre terrestre, entre la gloire de dieu et la paix promise aux hommes.
Les bergers ont fait confiance aux anges, Joseph a fait confance à Marie, Azel a fait confance à Marie : tout en bas à droite du tableau, le dernier « homme de bonne volonté » est…
… une femme !