5/ L'Apollonide (souvenirs de la maison close)
Quand la caméra flottante de Bertrand Bonello navigue dans l’ivresse d’une soirée au bordel, le puissant parfum des Fleurs de Shanghai nous revient en mémoire. Mais ici, point de torpeur opiacée : le sordide le dispute à la sensualité ; dans les salons et dans les chambres de la maison dirigée par Madame, l’excellente Noémie Lvovsky, le commerce du plaisir mène à l’éternel recommencement, au flétrissement, à la maladie – et à la mort. Et si le ballet des putains dans les décors magnifiques de l’Apollonide est, à lui-seul, assez fascinant, c’est avec les séquences du rêve (fantasme ? prémonition ?) de Madeleine, puis de sa mutilation, que le film atteint sa pleine dimension : défigurée au couteau – évident substitut phallique –, celle qu’on appelle désormais « la femme qui rit » (la prostituée n’a pas de nom, réduite à sa fonction : la juive, la petite, l’Algérienne, Belles cuisses, la Poilue et même Caca, ainsi surnommée pour sa spécialité…) finit par pleurer des larmes de sperme. Et nous pardonnerons volontiers l’inutile incursion finale sur nos bruyants trottoirs parisiens, trop heureux, encore, d'avoir été émus par le slow pathétique – et d’une hallucinante anachronie – des putains, sur le Night in White Satin de Moody Blues.