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ICPE : le Juge des installations classées et le risque zéro

Publié le 29 décembre 2011 par Arnaudgossement

Fotolia_23341462_M.jpgLa Cour administrative d'appel de Lyon vient de rendre , ce 13 décembre 2011 (n°10LY01704) un arrêt particulièrement intéressant du point de vue tant de l'exercice par le Juge administratif de ses compétences de pleine juridiction en contentieux des installations classées (ICPE) que de l'approche du risque.


Dans cette affaire, le préfet de l'Yonne avait pris un arrêté, au titre de ses pouvoirs de police des installations classées pour imposer à une coopérative agricole, exploitant un moulin et des silos à grains, une série de mesures tendant au respect de prescriptions relatives à la formation du personnel, à la détermination de la fréquence du nettoyage des installations, au contrôle de la température dans les cellules.

Le Tribunal administratif de Dijon, par jugement du 11 mai 2010, a rejeté le recours formé par l'exploitant  tendant à l'annulation de ces mesures et, en outre, a d'une part, prescrit au préfet de saisir le Ministre compétent pour engager la procédure de cessation d'activité d'un des silos, d'autre part, ordonné la suspension immédiate de son exploitation.

En appel, la Cour administrative d'appel de Lyon va avoir recours à plusieurs des attributions de pleine juridiction dévolues au Juge administratif en matière d'installations classées.

En premier lieu, la Cour  juge que certaines des prescriptions préfectorales imposées à l'exploitant ne sont plus justifiées à la date de son arrêt et qu'il y a donc lieu de les abroger :

"En ce qui concerne la formation du personnel du moulin et la détermination de la fréquence du nettoyage des installations :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment du rapport du 26 septembre 2005 du tiers expert, qu'après l'édiction de l'arrêté susmentionné, la société a justifié, d'une part, de l'existence d'un plan de formations complet et cohérent et que l'ensemble des personnels, y compris non permanents, avait reçu la formation prévue, d'autre part, de la détermination d'une fréquence minimale de nettoyage ; que dès lors, il y a lieu pour la Cour d'abroger les dispositions susmentionnées qui ne sont plus justifiées à la date de la présente décision"

En second lieu, la Cour annule les prescriptions préfectorale relatives au contrôle de la température dans les cellules, dés lors qu'elles ne présentent plus d'utilité :

"Considérant qu'il ressort de l'instruction et, notamment, du rapport du tiers expert, que compte tenu des procédures de contrôle que subit le grain avant son ensilage, des dimensions géométriques des cellules et enfin du stockage du seul blé, le contexte de l'exploitation des cellules du Batardeau ne présente aucun facteur de nature à favoriser le phénomène d'auto-échauffement et qu'en conséquence la mise en place d'un système de silothermométrie ne se justifie pas ; que dès lors, la coopérative est fondée à soutenir que les dispositions de l'arrêté du 9 février 2005 la mettant en demeure d'installer un tel système, qui ne présente pas d'utilité, doivent être annulées".

En troisième lieu, la Cour annule le jugement frappé d'appel en ce qu'il enjoignait au Préfet de saisir le ministre pour engager la procédure de cessation d'activité d'un des silos.

Pour ce faire, la Cour d'appel va tout d'abord examiner de manière trés concrète et précise, la nature du risque qui avait amené le Tribunal administratif a solliciter une procédure de cessation d'activité :

"Considérant qu'il ressort de l'instruction et, notamment, du rapport d'un expert en bâtiment remis le 16 février 2007, que la création d'évents dans la couverture des cellules et des as de carreau n'est pas possible sans mettre en cause la solidité de la structure desdites constructions dès lors que, d'une part la surface des évents nécessaires pour parer les conséquences d'une explosion serait pour certaines cellules, supérieure à la surface de couverture et que, d'autre part, la création d'évents plus petits pour atténuer les conséquences d'une explosion serait de nature à aggraver la fissuration verticale et la corrosion des cellules"

Considérant qu'une explosion dans les cellules du silo n°4 aurait des conséquences d'une particulière gravité compte tenu de la proximité d'une habitation, de bureaux et de voies publiques longeant le site ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les mesures effectuées dans le silo n'ont pas révélé une concentration de poussières supérieure à 10 grammes par mètre cube alors que la concentration inférieure d'explosivité a été réglementairement fixée à 50 grammes par mètre cube ; que cependant, il ressort du rapport du tiers expert qu'il n'est pas exclu que dans certaines conditions et en certains points d'une cellule, cette concentration soit atteinte ; qu'ainsi alors même qu'une explosion primaire de poussières en cellule ne s'est jamais produite, la probabilité d'une telle explosion, même si elle est extrêmement faible, n'est pas nulle"

Concrètement, la Cour, au terme d'une analyse trés poussée et assez peu fréquente, écarte la théorie du risque zéro pour constater que la probabilité de l'explosion, si elle n'est pas "nulle", demeure "extrêmement faible".

Ce refus de la théorie du risque zéro est également exprimé au moyen du rappel en ces termes de l'objet de la police des installations classées, au sein de l'arrêt :

"Considérant que la législation des installations classées pour l'environnement a pour objet de minimiser dans toute la mesure du possible les dangers et nuisances résultant de telles installations"

La police des installations classées n'a donc pas pour vocation la recherche du risque zéro, soit l'effacement de tout risque. Elle a précisément pour objet de "minimiser" "dans toute la mesure du possible" le risque lié à l'activité industrielle. Le juge administratif, investi de pouvoirs de pleine juridiction qui dépassent par définition le seul contrôle de la légalité d'une décision administrative, vérifie l'équilibre opéré par l'autorité de police entre, dune part, la maîtrise du risque et, d'autre part, l'intérêt qui s'attache à la poursuite de l'exploitation de l'installation classée.

Au cas présent, la Cour administrative d'appel de Lyon juge que le risque est "prévisible" et qu'il n'y donc pas lieu d'interdire l'exploitation du silo.

que dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la prévisibilité du danger d'explosion primaire en cellule, la société coopérative est fondée à soutenir qu'il n'y a pas lieu d'interdire l'exploitation du silo n°4 du Batardeau et, par suite, à demander l'annulation du jugement en tant qu'il a enjoint au préfet de l'Yonne de saisir le ministre compétent pour engager la procédure de fermeture du silo n°"4"

La Cour relève que la prescription de mesures complémentaires de sécurité peuvent être mises en oeuvre en lieu et place d'une procédure de cessation d'activité : 

"que cependant, il ressort de l'instruction que des mesures complémentaires de sécurité peuvent être mises en oeuvre ; qu'à ce titre, il y a lieu de prescrire le contrôle du fonctionnement dégradé de l'aspiration lors de la manutention du grain en enjoignant à la coopérative d'installer un capteur de débit d'air sur les circuits d'aspiration de poussières sur la manutention"

Enfin, la Cour, non seulement annule le jugement entrepris en ce qu'il prévoyait la mise en place d'une procédure de cessation d'activité mais également en ce que le Tribunal administratif avait d'office prononcé la suspension, dans l'attente, de l'exploitation de ce silo :

"Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a prescrit la suspension du fonctionnement du silo n°4 :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et alors au surplus que le Tribunal ne pouvait ordonner d'office une telle mesure, que la coopérative est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a prescrit la suspension du fonctionnement du silo n°4".

Cet arrêt est en définitive trés intéressant car la Cour administrative d'appel de Lyon procède ici à une caractérisation précise de l'approche du risque qui doit, selon elle, être retenu par la police des ICPE. Partant, elle a sans aucun doute estimé que les Juges de première instance avaient adopté une approche trop rigoureuse, confinant à une recherche de risque zéro. La Cour lui substitue une approche de risque maîtrisé qui lui semble plus à même de réaliser l'équilibre entre protection et production.

Enfin, des décisions de ce type, faisant état de l'exercice par le Juge administratif de ses attributions de pleine juridiction ne sont pas si fréquentes. Le présent arrêt, à n'en pas douter retiendra donc d'autant plus l'attention.


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