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LESL 1 : Virgil Gheorghiu et la 25e Heure

Publié le 31 décembre 2011 par Tudry

« La 25e heure » est, avec « L'Archipel du Goulag », l'un des majeurs outres-textes du début du XXe siècle..., disons plutôt de la pénétration agonique et mécanique industrielle du XIXe dans le XXe. Ces textes sont de témoignage... de martyr ! Ils reprennent pour l'inverser le schème négatif de la « littérature », ce concept qui semble le seul à même « d'informer » l'homme de ces temps, le néo-homme qui se forme...

« ... nous adoptons le style de vie de nos esclaves techniques. » (V. Gheorghiu, La 25e Heure)

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Les années 1920 à 1940 sont à la fois les incarnations et les incarnatives prémonitions des romans « d'anticipations »... De Kafka à Zamiatine néanmoins il manque souvent (aporie consubstantielle) une lumière inextinguible, une issue. Ou, pour le dire autrement, cette issue de lumière (christique) est, forcément, ou espérance ou scandale...

La doctrine-technique nazie en acte était bien une thérapeutique ! (de bout-en-bout le nazisme -comme acmé de l'occident moderne- est une « techno-logie », un discours qui « in-forme » sur « l'art-et-la-manière », pure anti-théo-logie). Il s'agissait de « guérir » l'humanité de la juiverie, du communisme et, ainsi que l'écrivait le pourtant « faussaire » Malaparte, ce n'était, en définitive, au bout du bout, qu'une immense « chasse au Christ » !

La 25e heure, cette heure inexistante qui révèle l'inexistence « moderne » des autres « heures », est le titre d'un roman fictif qui n'advient pas, le titre du roman de Traïan Koruga le littérateur devenu témoin, c'est-à-dire « martyr » et qui voit, dans la lumière crue de l'espérance (qui est la lumière de la Croix, du « scandale ») et dans sa chair, advenir ce qu'il croyait pouvoir « prophétiser » en une « fiction », fusse-t-elle l'ultime (or, il n'y aura pas « d'ultime » roman-fiction, sinon celui de « ce monde » très vrai qui gît « aux mains du démon »)...

Dans le roman éponyme dé-romantisé autant que re-membré exulte l'outre-texte... En sa première partie il s'achève sur un ensemble de gestes d'une suressentielle charité active, en pleine contradiction avec l'exposé romanesque prophétique de Traïan sur le monde technique, sur la technique-monde... Ensuite, vient la vérité de la « prise en charge » de tous par cette technique-monde... L'espace-temps du citoyen, « nés du croisement de l'homme avec les machines » ce met en place et déferle sur toute vie, même et surtout la moins « attentive » aux signes de sa venue. Toute vie sera mise en « note », résumée, rincée jusqu'à sa « plus simple expression », toute vie sera rendu « fictive » et, si « indigne » soit-elle, rendue à sa part inepte, digne, dès lors, d'être fondue dans toute inclusive fiction...

Dans le monde dit « réel » Ioann Moritz est traité comme un pur personnage de roman, de fiction... Sa « personne » est, sans cesse, remise en cause... Il est « l'éternel coupable ». Indubitable ! Son innocence est la meilleure preuve de sa culpabilité !

Cette instabilité du « caractère » est fondatrice du littéraire et c'est, précisément, ce qui empoisonne très concrètement notre très romanesque existence « contemporaine ».

Allemands, américains, russes... les camps sont un seul réseau infini. La gestion de l'homme par le « citoyen » n'a pas d'identité propre, c'est une des révélations du « témoin » de cet outre-texte, de ce texte hors-du-camp (car le texte, même intérieur, devient la seule réalité « hors-camps » envisageable lorsque tous les corps-et-esprits sont inclus en lui, et non le « livre », corps également soumis à la gestion marchandifère...) ! Et nous en sommes, nous, à la phase de confusion entière de l'homme et du « citoyen », se débattre devient exponentiellement la « meilleure » manière de devenir un « citoyen »...

*

Gheorghiu insiste beaucoup , par l'entremise du « Témoin », sur l'importance de la « mise en fiche » des vies et des hommes par la technique-monde, par le monde devenu un camp-géré. Ceci renvoi immanquablement à ce texte (qui est presque un outre-texte) de renversement que fut « La vie des hommes infâmes » de Michel Foucault... texte de rupture avec la littérature qu'il considérait jusques alors comme « informant » fondamental...

Ce « presque-outre-texte » de Foucault s'intéresse aux courtes notes rédigées aux fins de « basses polices » aux alentours du XVIIe siècle, très courtes « biographies » dont le style généralement très « châtié » et « classique » (ampoulé) tranche généralement avec « l'infamie » des sujets dont elles traitent...

Fin du « pouvoir de résistance » de ces textes qui ne se nommait pas encore littérature ! Le « pouvoir » pénètre ici de façon décisive et luciférienne l'allégorique pour le tourner en fictionnel ! Ces notules de polices signent de façon « lumineuse » la pénétration du « sujet-pénal », du « soi-coupable » dans l'écriture... en pouvant devenir « vies infâmes et infamantes » les vies infimes deviennent « sujet » d'histoire-fiction. La littérature se saisit véritablement des « hommes vivants » lorsque par les « écritures », le pouvoir « central » se saisit de l'entièreté des hommes « réels »... lorsque par « les écritures » il assouvit son entier pouvoir : « écrire » les hommes, les « ré-duire » !!

Le « pouvoir » capte les « vies nues », celles qui n'avaient pas vocation à laisser de « traces », il les soumet, les canalise, les réduit... La littérature les rattrape dans l'effacement, les exalte, les frictionne de fiction afin d'en faire de « fausses allégories » faussement normatives... tenailles inflexives et inflexibles !! L'actuelle littérature n'en démord pas, et, par exemple, un Houellebecq ou un Auffret ne font qu'infiniment confirmer cela...

C'est le « pouvoir d'étonnement » des textes courts que le pouvoir, nouveau Prométhée, dérobe ! Foucault souligne bien l'étrange fascination que peuvent exercer ces notes judiciaires, « haïkus » modernes, presque sans précédent... Le pouvoir policier en dérobant l'énergie verbifique de la poésie s'accaparent le pouvoir de « personnaliser », il l'inverse à son profit (peu de temps après, apparaîtra la grande vogue du « citoyen »...) et ses scories formeront la littérature naissante (autre cage subalterne, ou « lanterne magique » apte à canaliser les « fausses » routes « subversives »).

*

Ioann Moritz et Traïan Koruga forme un couple « délétère »... Le paysan qui ne lit pas, et le littérateur « délivré » de la littérature par son exercice rigoureux de l'écriture... L'articulation de ce « couple » n'est autre, en vérité, que le père de Traïan... le prêtre Alexandru Koruga ! La déchirure christique unifiante est présente... (celle qui manque à Kafka, par exemple – et qu'il semble, à bout de souffle toujours rechercher...). Lors d'un passage (pas assez souligné et commenté, à mon sens) le saint homme, refuse de bénir l'action des paysans roumains qui prennent le maquis et entendent défendre « la croix et la patrie ». Il bénit, néanmoins, les hommes en tant qu'hommes, en tant que « résistants » mais réaffirme que celui qui entend agir au nom du Christ se doit d'agir « comme le Christ » !! Tout « camps » agit « au nom de... » et c'est à une littérature idéologique qu'on se raccroche alors, jamais au Vivant..., on peut tout sacraliser « au nom de... », sous une bannière littéraire tout et son intime contraire peut devenir « sacré » et rien ne sort de « l'état de meurtre »  mais le Nom Saint qui sanctifie (prenez soin, lectureurs, de la différence...) rien, sinon la personne ne peut le réclamer ou le proclamer... Il est la déchirure ! Déchirure du voile de la page littéraire...

La 25e heure... Scandale et dé-voilation !! « Debout, soyons attentifs, en silence ! »


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