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Philippe Pollet-Villard : « Je ne fais que traverser le cinéma et la littérature »

Par Christophe Greuet

8f5bf70571f7b1649232ea407d6d5d41.jpgUn sixième étage dans le neuvième arrondissement. Installé face à la Basilique du Sacré Cœur de Montmartre, le réalisateur, acteur et écrivain Philippe Pollet-Villard a accepté de répondre aux questions de Culture Café, non pas autour d’un petit noir, mais d’un thé à la menthe fait maison. Confessions d’un cancre césarisé et oscarisé la semaine dernière pour son dernier court métrage, Le Mozart des pickpockets, et dont le deuxième roman largement autobiographique, La fabrique des sentiments, vient de paraître aux Editions Flammarion.

Dans votre roman, La Fabrique des sentiments, vous racontez une partie de la vie de votre famille, à quel point est-ce autobiographique ?
Mon roman l’est totalement. J’ai même un peu limité les choses, en coupant des branches. Ma famille est très étonnante, et je pense qu’elle sera la matière d’autres livres. Je me suis dit que je voulais les regarder sous un angle étroit, et je me suis focalisé sur le départ de mon père et le marasme qu’il a créé.

Vous avez beaucoup travaillé le style ?
Oui, j’ai essayé d’aboutir à un ton tragi-comique, en préservant la poésie de l’enfance. Je passe mon temps à me relire, c’est presque de l’hypnotisme, et puis à un moment cela me plaît. Dans l’écriture, contrairement au cinéma, on ne sait pas pourquoi c’est bon. On ne peut pas vraiment l’expliquer techniquement, ni grammaticalement, soudain la musicalité de la phrase nous plaît, on le sent et c’est ça que j’adore !

Avec le recul, avez-vous l’impression d’avoir écrit une ode à votre père ou un cahier à charge ?
Au début, je n’avais pas l’impression que mon père était le sujet de mon bouquin, je n’aurais su dire si c’était de l’amour ou de la haine, ce n’est pas classée comme tel en moi. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de revanche dans ce livre. C’est un point de vue amusé sur ma famille qui m’a aidé à la regarder autrement. Pour la première, j’y vois une histoire digne d’être racontée, alors que pendant des années, j’avais un sentiment très confus vis-à-vis de mon père. On ne peut pas en vouloir à un homme d’avoir vécu sa vie, surtout à mon âge ; mais même à 15 ans, je partageais déjà ce point de vue.

Vous savez dédramatiser des scènes lourdes, comme le jour où vous voyez votre mère et votre sœur pleurer, vous craignez que votre petit frère ne soit mort, or ce n’est que votre père qui est parti ! Votre enfance fut-elle triste ?
Non, j’ai adoré mon enfance ! Je me suis beaucoup amusé, au sens où je n’ai fait que ce qui me plaisait. Je n’avais pas envie de faire ce que les autres voulaient que je fasse, je savais où était mon bonheur, j’y allais indépendamment des paires de claques. J’ai eu une enfance pleine de liberté, en dépit d’une certaine dureté, mais la violence fait partie de la vie. Provoquer le chaos donne un sentiment de puissance à un enfant. Les enfants nés à la campagne connaissent sûrement plus cela que les autres.

Y a-t-il un âge pour se retourner sur la vie de son père afin de devenir un homme soi-même ?
En ce qui me concerne, je me rappelle une période, après sa mort, c’était au moment de la grande tempête en 1999, où j’aurais rêvé d’avoir quelqu’un qui me dise : « Voilà Philippe, il faut que tu fasses comme ça ! » Et je l’aurais fait. C’est à ce moment précis que j’ai réalisé le vide qu’il y avait à la place du père. Avant, je n’avais pas eu l’impression d’avoir souffert de sa disparition, le fait qu’il soit parti, qu’il nous ait « abandonnés ».

D’ordinaire, les écrivains commencent par un livre autobiographique, et ensuite, ils peuvent passer à autre chose. Vous avez fait l’inverse.
Pour moi, ce livre est un entre deux. Je suis déjà dans l’écriture du troisième et du quatrième qui seront des romans plus charpentés ; celui-ci est comme une récréation.

Votre personnage de petit garçon n’est pas anodin : il est atteint de trois « divinités maléfiques », prognatie, phimosis et Genus Valgum et il ne suit pas en classe. Ce sont les confessions d’un cancre, sur les traces de Pennac…
Moi j’étais un vrai cancre ! Pendant longtemps, je n’ai pas pu écrire une lettre, même aux PTT et j’ai arrêté l’école en 4eme. En revanche, j’ai toujours dessiné. Ma mère m’a permis de rentrer dans une école préparatoire pour les beaux-arts d’Annecy et là j’ai rencontré un professeur extraordinaire qui m’a complètement changé : il a transformé mon énergie autodestructrice en une énergie constructrice. À partir de 16 ans, je suis tout à coup devenu une brute épaisse de travail, une espèce de Stakhanoviste et je ne me suis jamais arrêté. Après les Beaux-arts de Lyon et de Saint-Étienne, je me suis retrouvé à 18 ans dans une agence de pub à Paris comme stagiaire, puis graphiste et directeur artistique (de l'agence de publicité BDDP, ndlr)

Aujourd’hui, vous considérez-vous comme écrivain ? Quel est votre métier ?
Je passe mon temps à écrire ! J’ai plusieurs carnets avec moi et où que j’aille, dans le train, dans le bus, j’écris. J’ai découvert le plaisir d’écrire finalement très tardivement. Ce n’est pas un rêve de gosse, ce qui m’enlève sûrement les appréhensions d’un jeune auteur qui a trop lu et se sent bridé. N’ ayant pas été bercé par des références littéraires pendant mon adolescence, je ne me compare à personne.

Quelle est la différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un livre ?
Dans un livre, on peut dériver, c’est très curieux, on raconte des choses qui nous échappent,. Puis en le relisant le lendemain, on est surpris de ce que l’on a pu soi-même écrire, on navigue dans l’irrationnel. En outre, on peut se mettre dans la tête d’un personnage, d’un décor, d’un objet, alors qu’un scénario, c’est rationnel, tout doit se traduire en image.
Le cinéma, puisque je suis à la fois réalisateur et acteur, est très physique. Il faut sans cesse passer d’un côté et de l’autre de la caméra, sortir de son rôle pour entrer dans la peau du celui du metteur en scène, c’est épuisant, presque un combat, savoir gérer son propre trac et celui des autres, et l’utiliser comme une matière dans une scène.

Est-ce plus facile de toucher un public avec des mots ou avec des images ?
La question pour moi serait plutôt : qu’est-ce qui est le plus agréable ? J’adore l’idée du livre qui arrive entre les mains de quelqu’un et qui va mettre un temps fou à être lu. Parfois, les livres que l’on offre, ne sont pas ouverts, et puis un jour, la personne revient vers vous et on sent dans ses yeux, qu’elle a fait un voyage avec « nous », les écrivains. Cette intimité partagée entre le lecteur et l’auteur, qui est assez longue en fait, est magique ! Le film est plus bref dans le ressenti. En ce qui me concerne, c’est un peu différent car je joue aussi, donc je peux m’accorder le plaisir de m’installer en anonyme dans une salle de projection, de voir une personne sur l’écran qui est moi, et d’entendre les spectateurs rire autour de moi. C’est extraordinaire, c’est un sentiment bénéfique, de faire plaisir aux gens.

Est-ce difficile d’écrire ?
Si cela l’était, je ne le ferais pas ! Je suis venu tardivement à l’écriture, personne ne m’y obligeait, même pas moi-même ! Et puis, en outre, je n’y crois pas à cette idée de souffrance dans l’écriture. Je pense que si les gens souffraient vraiment, ils n’écriraient pas. On aime peut-être l’idée de souffrir, mais la véritable souffrance empêche de réitérer l’expérience. Ce week-end, par exemple, je me suis écrasé le doigt en voulant casser un arbre, et bien, si on me proposait de le refaire, je dirais non ! Ça c’est de la souffrance. J’accepte le trouble qui existe dans l’écriture, l’inconnue, l’idée de me perdre, de ne pas savoir où je vais. Quand on écrit, on est un peu aveugle, on ne contrôle pas tout.

Avant d’écrire, étiez-vous quelqu’un de torturé ?
Totalement. J’étais dans un rapport assez brutal avec les gens, qui s’explique par le fait que la pub n’est pas un milieu facile : il y a très peu de courage, beaucoup de lâcheté ordinaire, comme à la télévision d’ailleurs. Je me suis battu et j’ai hérité d’une image de type très colérique qui s’énerve facilement. Avec le recul, je sais que c’était une réaction non pas déplacée, mais juste dans cet environnement. Auparavant, je subissais, aujourd’hui, je choisis les gens que je vois et qui m’entourent.

Un César et un Oscar, ça change quoi ?
C’est important pour le financement. Cela me fait plaisir également pour les producteurs qui m’ont soutenu. Pour moi, la plus grande satisfaction reste néanmoins celle du travail accompli, du travail bien fait ; aucun prix ne peut apporter cette sa satisfaction-là. Quand on réussit à dépasser ses propres peurs, c’est un sentiment formidable, la reconnaissance vient après.

Et les inconvénients d’un prix, littéraire ou cinématographique ?
Je me méfie de tous les « milieux », avec leurs codes que l’on essaie de vous faire adopter de gré ou de force. J’ai eu la chance d’avoir plusieurs vies et d’exercer divers métiers, par conséquent, je ne fais que traverser le milieu du cinéma, de la littérature. Il faut accepter l’idée de passer, on apprend beaucoup en rencontrant des gens nouveaux, mais chaque milieu génère aussi une pollution, une intoxication mentale. C’est parfois mortifère.

Propos recueillis par Nathalie Six

« La fabrique de souvenirs » de Philippe Pollet-Villard, Ed. Flammarion, 240 pages, 18 euros.


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