Le corridor du cinéma, si agité et surpeuplé les samedis soirs, était désert en ce mardi matin de décembre froid mais sans neige.
J'adore le froid.
J'aime encore plus fouler les lieux déserts que je sais surfréquentés en d'autres occasions. Le milieu des rues très tôt le matin quand le soleil se lève. Les piscines publiques la nuit. Le corps d'Émilie G. Les corridors de cinéplex les mardis matins de décembre.
La lumière tombe toujours différemment sur le sol.
J'aime l'intimité de la cohue passée.
C'était le visionnement de presse du film My Week With Marilyn de Simon Curtis. Réalisateur et producteur de télévision, Curtis présente ici son tout premier long métrage. Le film retrace le tournage du film de 1956 The Prince & The Showgirl, une adaptation de la pièce de théâtre de Terry Rattigan, The Sleeping Prince. Le film mettait alors en vedette Marilyn Monroe et Laurence Olivier, ce dernier étant aussi producteur et réalisateur de la comédie.
Le film de Curtis est raconté du point de vue de Colin Clark, le fils de l'historien anglais Kenneth Clark et jeune frère de celui qui deviendra premier ministre du Parti Républicain Britannique Allan Clark. Colin Clark était troisième assistant-réalisateur sur le tournage de The Prince & The Showgirl et a écrit un journal de son expérience. Journal devenu livre plus tard et intitulé The Prince, The Showgirl & Me. C'est ce livre que nous adapte à l'écran Simon Curtis.
Dès le départ il y a un hic. Tout d'abord le titre. Le sous-titre du livre était Six months on set with Marilyn Monroe. Même le néophyte sait que le tournage d'un film ne dure jamais une seule semaine.Ce fût une drôle d'idée que de choisir ce titre.
Dès le premier plan, le plan d'ouverture, on ouvre sur Michelle Williams en Marilyn, chantant un morceau.
Quand des acteurs jouent des personalités connues, il faut toujours un certain ajustement avant de faire tomber le mur du pari pris par le réalisateur. Williams est excellente dans les souliers de Marilyn. Plus le film avance plus on y croit beaucoup. Elle joue la confusion, le charme, la fragilité à merveille. Toutefois dans cette toute première scène, on a oublié de gonfler sa poitrine! Pas que ce soit atrocement grave mais Marilyn était reconnue pour être équipée pour veiller tard et plus tard, dans ce même film, la poitrine de Williams a été gonflée adéquatement, évident dans une scène de baignade dans un parc entre autre, pour rendre avec justesse le look de la tragique actrice. On ne peut alors que remarquer l'incohérence des raccords. Le montage est d'ailleurs le plus grand défaut de ce film. Il semble avoir été fait par un amateur. Autre erreur à mon avis, le casting de Julia Ormond dans le rôle de la femme de Laurence Olivier: Vivien Leigh. Ormond ne rend pas l'envergure de Leigh avec beaucoup d'impression et même une colère jalouse envers son mari ne la rend pas plus intense. Crevaison d'actrice.
Le manque d'envergure est un défaut du film qui semble ne jamais réèllement passer à autre chose que de survoler l'anecdotique. Il y a toutefois moyen, à mon avis, de filmer l'anecdotique avec grandeur et avec finesse.
Marilyn était à cette époque inséparable de sa coach de jeu Paula Strasberg. La tension était énorme entre Strasberg et Olivier, Marilyn se référant plus souvent aux indications de la première qu'à celles d'Olivier, le vrai patron du plateau. Olivier a tant souffert des multiples retards injustifiés de Monroe, des caprices et du comportement enfantin de son actrice qu'il en a été dégoûté de la réalisation pendant plus de 12 ans.
Le film a fait patate en salle. Couvrant tout juste ses frais de production. Toutefois Monroe allait faire un malheur dans son film suivant et Laurence Olivier allair triompher dans The Entertainer au théâtre, son projet suivant.
Dans le film de Curtis, on frôle tout juste la relation toute fraiche qui était celle d'Arthur Miller et de Marilyn Monroe, nouvellement mariés. L'une des portions les plus intéressantes du film nous fait voir, presqu'au travers du trou d'une serrure, Marilyn en lambeaux quand elle découvre que Miller écrit peut-être sur elle en ce moment, et de manière désobligeante. Miller quittera d'ailleurs l'Angleterre pour ne pas la troubler davantage sur le tournage. Mais Colin Clark ne pouvait tout de même pas écrire sur ce qu'il ne savait pas. Et Curtis se devait de tourner sur ce qui était issu du livre de Clark. Peut-être que le livre de Clark est beaucoup plus intéressant.
On se surprend plusieurs fois à se dire que le film aurait pu être autre chose. On aurait pu creuser davantage dans les multiples relations triangulaires existant dans la vie de la Monroe.
Williams transporte carrément le film sur ses épaules vers le dernier droit . Peut-être un peu comme Marilyn finissait par prendre le contrôle total des lieux qu'elle investissait à certaines occasions. Mais malheureusement le film manque d'élan dans la dernière demie-heure. On sentait la télé plus que le cinéma.
Williams apporte toutefois une mémorable tendresse et une crédible vulnérabilité à cette femme-enfant à l'écran. Et elle chante étonnament bien (si c'est bien sa voix qu'on entend).
Kenneth Brannagh interprête Laurence Olivier, Judi Dench incarne l'actrice Sybil Thorndike, Eddie Redmayne joue Colin Clark, Emma Watson peine à faire oublier Hermione Granger mais est radieuse en intérêt amoureux furtif de Colin Clark, Dougray Scott joue Arthur Miller, Toby Jones est Arthur Jacobs, Zoë Wanamaker incarne l'envahissante Paula Strasberg et Dominic Cooper joue Milton Greene.
Il y a tant à raconter autour de Marilyn, il me semble que cette "semaine" où elle aurait eu le temps de tourner, de se sauver pour faire une baignade nue avec Clark, de l'embrasser la nuit dans le vertige, de perdre un bébé (celui d'elle et Clark?), de visiter Londres, de faire du tourisme, me semble à la fois trivial et difficile à avaler en 7 jours.
Le doute, magnifiquement rendu par Michelle Williams en Marilyn, est devenu le mien en tant que spectateur.
Le grand film sur cette femme complexe reste à venir.
Mais j'aurai fréquenté pendant une heure et demie, l'intimité de la cohue passée.
Tel que vécue par Colin Clark et adapté par Simon Curtis.