On ne l’a pas vu mourir. C’était le 2 mars.
Ces derniers temps, je ne visitais plus ses disques, mais à l’orée des années 90,
comme j’avais pu les écouter !See the Light, Hell to Pay, Feel This. Ceux qui suivirent étaient un peu moins bons. Ou alors peut-être, tout simplement, que, moi, j’étais
passé à autre chose… Comme lui, d’ailleurs, qui, ces dernières années, avait plutôt enregistré des disques de « jazz New Orleans ».
Jeff Healey, donc, est mort il y a deux jours, à l’âge de 41 ans.
Jeff qui ? Jeff Healey… Mais si, tu sais, c’est ce guitariste aveugle qui jouait si bizarrement, la guitare posée sur ses genoux. Bien avant Ben Harper. Tu ne t’en rappelles pas, mais tu
l’as peut-être vu dans une série B d’action avec Patrick Swayze. C’est là, dans Roadhouse, que, pour ma part, je l’ai découvert pour la première fois, en 1989, avec sa coupe de
douille.
Non ? Ça ne te dit rien ? Vraiment ?
Il était Canadien. Il arpentait les territoires du blues-rock cartographiés patiemment par Stevie Ray Vaughan et ZZ Top, à une époque où la guitare électrique n’était plus tant à la mode. Des
barbus texans, il avait d’ailleurs repris Blue Jean Blues sur le premier album de son power trio. Il avait une belle voix grave un peu éraflée et excellait dans les reprises :
Roadhouse Blues des Doors, While my Guitar Gently Weeps de George Harrison, et puis tout cet album, Cover to Cover – arrivant après un long silence en 1995 – où Jeff et
les indispensables Tom Stephen et Joe Rockman revisitaient les Beatles, Cream, Hendrix, Creedence Clearwater Revival et tant d’autres. Beau chant du cygne pour un groupe sans doute lassé,
conscient de son anachronisme et passant alors discrètement la main tandis que le grunge explosait, toutes saturations dehors, de sa rage électrique…
C’est
peu de dire, pourtant, que les riffs de Jeff Healey m’ont accompagné quelques années durant. Il y avait cette cassette de See the Light copiée par un pote de lycée, ce vinyle de Hell
to Pay acheté au Virgin Megastore, ce bootleg intitulé Sound Barrier, ce cd de Feel This. Tant d’ingrédients à partir desquels les solos du blondinet au visage de poupin
mirent bien souvent le feu à mes enceintes.
Je l’ai vu deux fois en concert. Au Zénith puis à l’Elysée Montmartre. Je n’en garde pas de souvenir particulier. Si ce n’est ce tee-shirt ridicule acheté au Zénith il y a quinze ans et que, je
le confesse, je porte encore parfois pour dormir.
Ce trio loyal, honnête et droit ne faisait pas de vagues. C’était bien.
J’aurais pu m’enticher d’un autre groupe. J’en écoutais tant d’autres. Tout cela tient à peu de choses. Pourtant, ce fut celui-ci. À l’heure où Jeff Healey s’en va dans un dernier larsen, cela
valait bien quelques lignes…
À voir ici une vidéo de See the Light, le morceau-phare du Jeff Healey Band, où le guitariste est
exceptionnellement accompagné par Marcus Miller à la basse et Dr John au piano.