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"Le choc de l'histoire" de Dominique Venner

Par Francisrichard @francisrichard

choc l'histoireLe dernier livre de Dominique Venner, Le choc de l'histoire, édité chez Via Romana ici, se présente sous la forme d'entretiens avec Pauline Lecomte

Dominique Venner dirige la Nouvelle Revue d'Histoire ici. Dans cette revue bimestrielle, qui fêtera son dixième anniversaire l'été prochain, Pauline Lecomte , journaliste "spécialisée dans le domaine de l'histoire et de la philosophie", recueille les propos d'historiens contemporains sur leur vie et leurs oeuvres.

Quel est ce choc de l'histoire qui donne son titre au livre ? Le dernier des bouleversements historiques qui se sont produits au cours des siècles "modernes", choc qui est au coeur des travaux et des réflexions de Venner, "depuis presque toujours" :

"Depuis l'effrayant recul européen qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la disparition des anciennes souverainetés, la fin de l'action jus publicum europaeum en tant que limitation de la guerre entre les Etats, remplacé par le droit américain de la guerre et la criminalisation de l'ennemi, les Européens sont confrontés à un nouveau choc de l'histoire."

Il précise :

"Aux conséquences de l'hégémonie américaine, impliquant le mondialisme économique au profit des requins de la finance et au détriment des peuples, on doit ajouter les effets incalculables de l'immigration-invasion de l'Europe par des masses inassimilables d'origines exotiques. On doit compter aussi avec la renaissance d'anciennes civilisations et d'anciennes puissances que l'on croyait mortes."

Dominique Venner oppose vocation universelle, "croyance fausse et dangereuse" à tradition qui "se survit dans notre inconscient" et qui nous permettra de résister et de renaître "au-delà des variables politiques ou confessionnelles" :

" [Cette croyance en l'universalité] nous interdit de comprendre que les autres hommes ne sentent pas, ne pensent pas, ne vivent pas comme nous. Elle est dangereuse parce qu'elle détruit notre propre identité."

L'itinéraire de Dominique Venner l'a conduit de l'action à la réflexion. Au début de sa vie d'homme il est militant radical - c'est un ancien soldat perdu de l'Algérie. Par la suite il devient "historien méditatif", abandonnant des engagements politiques qui ne lui correspondaient plus, au profit du combat des idées que nourrit une connaissance de l'histoire sur la longue durée, sans négliger pour autant celle de l'histoire événementielle "qui montre que l'imprévu est roi et l'avenir imprévisible".

Au bout de ses travaux et réflexions, Dominique Venner s'en prend à la part prométhéenne de la civilisation européenne, qui aurait laissé peu de place à sa part appolinienne. Il s'en prend ainsi à "la prédation économique du gaspillage et de la spéculation financière", à l'universalisme américain - c'est-à-dire selon lui au "mondialisme libéral", expression contradictoire - qui n'a pas triomphé après la défaite de l'universalisme communiste :

"La modernisation technique s'accompagne souvent d'un refus de l'américanisme, sauf, provisoirement, en Europe."

Le réveil des Européens se produira, même si Dominique Venner ignore quand :

"Je crois aux qualités spécifiques des Européens qui sont provisoirement en dormition. Je crois à leur individualité agissante, à leur inventivité et au réveil de leur énergie."

Au cours de sa vie, un écrivain a marqué Dominique Venner : Ernst Jünger, auquel il a consacré en 2009 un livre dont j'ai rendu compte ici. Il y a une sorte de parallèle entre les deux voies que ces deux hommes ont prise, puisque dans ses écrits de jeunesse l'écrivain allemand manifestait "une vigueur guerrière" et dans ses écrits de maturité la répudiation "de tout engagement au profit d'une sorte de nouvelle sagesse goethienne" :

"Jünger était un écrivain qui avait des idées. Des idées très libres et très personnelles, exprimées sans souci de cohérence, dans un style magique, libre de tout cliché. Et ses idées n'ont pas cessé d'évoluer, épousant les changements de son siècle. Parlant de lui-même, il s'est parfois comparé à un sismographe qui enregistre les variations. Cette image me semble juste. Mais en dépit de toutes les variations, sa pensée et son comportement personnel sont toujours marqués par une noblesse jamais démentie."

Pour Dominique Venner, Ernst Jünger reste donc un modèle, dont certains des écrits l'"ont aidé à comprendre que ce que vivent les Européens de notre temps n'est pas une crise politique, mais un séisme spirituel et civilisationnel, qui réclame bien autre chose que des solutions politiques".

Plus loin il évoque des initiatives d'ordre culturel telles que la revue historique qu'il dirige... 

Dominique Venner avec Pauline Lecomte évoque d'autres hommes du siècle passé qui l'ont également marqué, par leur noblesse, notamment face à la mort, parmi lesquels le colonel Claus von Stauffenberg, qui organisa l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler et qui fut exécuté, et les écrivains, qui se sont magnifiés en se donnant la mort, tels Yukio MishimaPierre Drieu la Rochelle ou Henry de Montherlant, ou en disparaissant, sans doute volontairement, tel Antoine de Saint-Exupéry, lors d'un ultime vol autorisé.

Dominique Venner fait l'éloge de la noblesse, qui "n'était pas seulement liée à la naissance, mais au mérite" :

"La fonction de la noblesse, quand elle est digne de ce nom, est de commander et de protéger, mais aussi d'offrir à toute la société un modèle vivant d'humanité supérieure, à la façon des héros d'Homère pour la Grèce antique."

Et de l'aventure :

"[Elle] n'est le produit ni d'un calcul ni d'une idéologie. Elle est gratuite, inutile, i-nu-ti-le ! Elle se passe de justification. Elle est sa propre justification. [...] Le coeur aventureux [...] sait de science sûre que le risque, le mystère, l'inattendu, l'irrationnel constitue l'ordre véritable de la vie, la vraie raison."

Selon Dominique Venner, l'ancien ordre européen, corrompu déjà au cours du XIXe siècle par la démocratisation de la vie publique, qui excite les haines nationales, a été détruit par la guerre de 1914, par l'industrialisation de la guerre, qui est apparue dans cette époque-là. Sur ces ruines vont s'affronter le capitalisme et le communisme, sans qu'aucune troisième voie, qu'auraient pu représenter le fascisme et le national-socialisme à leurs débuts, ne parvienne à le rétablir. 

Après 1945 et le partage de Yalta, se sont imposés le communisme et l'américanisme, certes opposés entre eux, mais unis contre la vieille Europe, avec pour but l'avènement d'"un homo oeconomicus, rationnel et uniforme". Seules les méthodes changent :

"Planification et terreur chez les communistes, persuasion clandestine et "laisser faire" du marché chez les Américains."

Toujours selon Dominique Venner, maintenant qu'il n'existe plus qu'un des deux systèmes, il ne reste qu'une opposition possible :

"La seule contestation que le système ne peut absorber est celle qui récuse la religion de l'Humanité, et campe sur le respect de la diversité identitaire. Ne sont pas solubles dans le "doux marché" les irréductibles qui sont attachés à leur cité, à leur tribu, leur culture ou leur nation, et honorent aussi celle des autres. On les appelle "protestataires" ou "populistes"."

Comment définit-il le système auquel il faudrait s'opposer ?

"Le système "cosmocratique" (autre nom pour le pouvoir des mondialistes) d'origine américaine est parfaitement "totalitaire". Pas de distinction pour lui, sinon en paroles, entre le public et le privé. [...] Le système intervient jusque dans la vie privée."

Dominique Venner considère en effet que l'origine du mondialisme se trouve dans le rêve messianique d'expansion mondiale des Américains. Mais il garde espoir :

"La parole commence à se libérer et tout peut devenir possible. C'est pourquoi il faut croire aux mérites de la démocratie authentique, quand le peuple a vraiment la possibilité de s'exprimer, ce qui se fait par exemple en Suisse."

Il faut aussi que les Européens retrouvent leur mémoire rompue, les permanences secrètes qui les habitent :

"Nous n'existons que par ce qui nous distingue, ce que nous avons de singulier, clan, lignée, histoire, culture, tradition."

Mais la tradition dont il s'agit :

"Ce n'est pas le passé. C'est même ce qui ne passe pas. Elle nous vient du plus loin, mais elle est toujours actuelle. Elle est notre boussole intérieure, l'étalon des normes qui nous conviennent et qui ont survécu à tout ce qui a été fait pour nous changer."

Il regrette que l'intellectuel occidental dénie la réalité et soit prétentieux :

"[Il] sait ou croit savoir ce que les autres ne savent pas. Il pense rarement le réel en tant que tel, par l'observation des faits, par l'expérience et l'induction, ce qui serait à ses yeux méprisable. Il le pense en référence à des concepts et à des modèles abstraits."

Il ferait mieux d'étudier l'histoire :

"Elle incite à une réflexion sur les événements d'hier ou d'autrefois afin d'éclairer le présent."

Dominique Venner distingue l'histoire de la mémoire :

"L'histoire est factuelle et philosophique, alors que la mémoire est mythique et fondatrice."

A défaut de religion identitaire, l'Europe a une mémoire identitaire, la mémoire hellène, qui s'enracine dans les poèmes homériques, poèmes qui nous lèguent "cette triade où arrimer nos âmes et nos conduites" :

"La nature comme socle, l'excellence comme but, la beauté comme horizon."

Le rejet de traditions, entendues comme de mauvaises habitudes, héritées du passé et passées elles-mêmes, éphémères, au profit de permanences oubliées, est justifié. Mais que Dominique Venner mette dans le même panier capitalisme et communisme ne l'est pas.

En effet si le communisme est une idéologie, le capitalisme n'en est pas une. Il ne l'est devenu, dans le langage courant, que par confusion sémantique, quand il a revêtu les oripeaux des Etats-providence et de l'interventionnisme, intérieur et extérieur, et quand il s'est fait totalitaire, ce qui n'est pas spécialement libéral ni d'origine américaine, les Européens ayant leur part de responsabilité dans le concept.

La description que fait Dominique Venner du capitalisme américain participe ainsi de cette confusion caricaturale :

"Le but du capitalisme américain (le "doux commerce" d'Adam Smith) est le profit maximum de ses bénéficiaires, quel que soit le prix. Etant devenu dominant dans nos sociétés, cet objectif a été promu au rang de valeur suprême, ce qui a été favorisé, bien entendu, par un accroissement général de richesses consommables accessibles au grand nombre."

L'accroissement de richesses matérielles n'est pas incompatible avec les quêtes spirituelles et les singularités humaines.

Francis Richard  


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