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Principe de précaution : Dominique Bourg prend à son tour position sur la résolution Gest-Tourtellier

Publié le 10 janvier 2012 par Arnaudgossement

20101216-CTR_FNH_ITW_Dominique_Bourg.jpgJ'ai récemment pris position, ici et auprés de l'agence de presse AEDD, contre la proposition de résolution de MM les députés Gest et Tourtellier qui tend à encadrer l'application du principe de précaution. Dominique Bourg, philosophe et membre du Comité de veille écologique de Nicolas Hulot prend à son tour position contre un texte qu'il juge "inutile" (merci à AEDD pour la reproduction de l'interview).


AEDD : Pour Dominique Bourg, la résolution Gest-Tourtelier n'émane pas du « lobby anti-principe de précaution »

« Il est juste de dire qu'il y a un lobby anti-principe de précaution […] mais je ne le vois pas dans la résolution Gest-Tourtelier », déclare à AEDD Dominique Bourg, philosophe à l'université de Lausanne et membre du comité de veille écologique de la FNH (Fondation pour la nature et l'homme), jeudi 22 décembre 2011, en réaction à la publication fin novembre d'une proposition de résolution par les députés Alain Gest (UMP, Somme) et Philippe Tourtelier (PS, Ille-et-Vilaine) visant à encadrer le principe de précaution. Ce texte, qui doit être examiné en séance publique par l'Assemblée nationale le 1er février prochain, est soutenu par Bernard Accoyer, président (UMP) de la Chambre basse qui veut ainsi éviter une « hémorragie » des « cerveaux scientifiques » français (L'AEDD n°12239). Dominique Bourg, qui a été membre entre 2002 et 2003 de la commission Coppens chargée de préparer la charte de l'environnement, laquelle donne une valeur constitutionnelle au principe de précaution, revient pour AEDD sur les difficultés de mise en oeuvre de ce principe juridique.

AEDD : Arnaud Gossement, avocat et ancien porte-parole de FNE (France nature environnement) estime que la proposition de résolution Gest-Tourtelier « revient à ensevelir le principe de précaution sous une montagne de conditions préalables » et qu'il s'agit d'une « nouvelle stratégie du lobby anti-principe de précaution qui n'a pas réussi à le sortir de la charte de l'environnement » (L'AEDD n°12068). Qu'en pensez-vous ?

Dominique Bourg : Je ne comprends pas du tout la réaction d'Arnaud Gossement. Le rapport Gest-Tourtelier ne va absolument pas à l'encontre du principe de précaution. Le concept est souvent mal compris. Ce n'est pas le cas ici. L'exposé des motifs de la résolution est assez juste. Et la résolution ne renvoie pas tout à une analyse coûts-bénéfices puisqu'elle est préconisée « lorsque cela est approprié et réalisable, sans préjudice d'autres méthodes d'analyse non économiques, notamment d'ordre social ou éthique, tout particulièrement pour ce qui touche à la protection de la santé ».

AEDD : À quoi servira ce texte ?

Dominique Bourg : Je ne suis pas encore sûr qu'il soit très utile. Cela dépendra de sa mise en oeuvre. Son objectif est de mieux cadrer le principe de précaution, étant donné les dérives d'interprétation constatées depuis plusieurs années.

AEDD : Ces dérives étaient-elles prévisibles lorsque la charte de l'environnement a été adoptée ?

Dominique Bourg : Oui, elles étaient déjà présentes. Certains pensaient, et pensent encore, que le principe de précaution vise à atteindre le risque zéro. Cela n'a rien à voir ! On confond ce principe avec une méthode de gestion de tous les risques. Mais le principe de précaution ne sert à gérer que les risques extrêmement rares. Et les mesures prises doivent être provisoires et proportionnées, et donc limitées. L'éradication exigerait au contraire des moyens infinis.

AEDD : Quand s'applique-t-il ?

Dominique Bourg : Il faut des conditions très particulières : une incertitude scientifique, une irréversibilité grave et une nécessité d'agir rapidement.

L'incertitude scientifique est très variable : elle peut être relative, c'est-à-dire résolue par un surcroît de connaissance ; ou radicale, c'est-à-dire que l'on ne connaît même pas les scénarios possibles, et sans espoir de pouvoir épuiser notre ignorance. Dans le cas des changements climatiques, il y a une part d'incertitude radicale, dans le sens où l'on ne peut pas prévoir toutes leurs conséquences.

AEDD : Le principe de précaution a été récemment évoqué pour les gaz de schiste, pour le volcan islandais qui a tenu les avions au sol pendant plusieurs jours, le H5N1, etc., à chaque fois à tort. Y a-t-il des exemples où le principe de précaution s'applique ?

Dominique Bourg : Oui, celui de la vache folle. Il y avait une vraie incertitude scientifique, puisqu'on ne savait pas à l'époque qu'une protéine (le prion) pouvait être infectieuse ; en outre, nous ne connaissions alors pas exactement la manière dont cette maladie pouvait se diffuser à partir des produits tirés des animaux infectés, ni le décompte mortel final. Si on n'avait pas agi préventivement, l'impuissance aurait été totale face à la diffusion d'une maladie incurable, identifiable qu'une fois déclarée. Rien à voir avec les prothèses mammaires PIP, simple cas de prévention sans ignorance scientifique.

On peut également citer l'exemple de la surmortalité des abeilles et l'utilisation des pesticides comme le Régent. C'est en effet la première fois qu'on met en évidence la dangerosité d'un cocktail de molécules et de virus.

Avant que le principe de précaution n'apparaisse, il y a eu l'épisode des pluies acides au début des années quatre-vingts pour lequel il aurait pu s'appliquer. C'est seulement cinq ou six ans après qu'on a appris quelque chose de nouveau scientifiquement, à savoir que le dépérissement forestier était causé en grande partie par le stress hydrique subi par les forêts lors de la sécheresse de 1976.

Attention, l'incertitude doit être scientifique, et non technique : si les autorités publiques ont un problème avec la dangerosité des huîtres d'une baie donnée, et qu'une méthodologie conclut à un danger, tandis qu'une autre conclut le contraire, le principe de précaution ne s'applique pas. Que telle méthodologie soit en l'occurrence plus pertinente ne nous apprend rien de nouveau sur les huîtres. C'est un problème classique de prévention.

AEDD : Dans une tribune parue dans « Les Échos », le président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer (UMP) et la secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences Catherine Bréchignac ont défendu la résolution, qui doit permettre « d'éviter qu'une interprétation trop extensive de ce principe ne bride la possibilité de sauts technologiques, et donc le progrès technique, et ne conduise progressivement à une hémorragie de nos savoir-faire et de nos 'cerveaux' scientifiques » (L'AEDD n°12239). Le principe de précaution pourrait être, selon eux, « un frein au progrès ». Comment réagissez-vous à ces propos ?

Dominique Bourg : Ce type d'article manifeste l'indigence intellectuelle de nombre de nos politiques. Ils ne s'assignent d'autre mission que de courir derrière un progrès technologique présumé bénéfique. Aujourd'hui, on sait que tout progrès technique n'est pas nécessairement un progrès pour l'homme. On le sait même depuis l'invention du gaz moutarde ! Il suffit de considérer les difficultés suscitées par la technicisation accrue de la médecine et ses conséquences en termes de coûts pour la collectivité et d'inégalités quant à l'accès aux soins.

AEDD : Arnaud Gossement évoque un « lobby anti-principe de précaution » qui, à travers cette résolution, refait son apparition. Êtes-vous d'accord avec lui?

Dominique Bourg : Il est juste de dire qu'il y a un lobby anti-principe de précaution. Je le connais, j'y ai été confronté lors de l'adoption de la charte de l'environnement. Mais je ne le vois pas dans la résolution Gest-Tourtelier. Pour les libéraux, le principe de précaution apparaît comme une régulation, et donc un frein. Que cette attitude soit absurde, voire criminelle, n'empêche toutefois pas qu'il y a un problème de compréhension chez les politiques, le grand public, certains journalistes et certains juges. Mettre sur pied une procédure pour éviter un mauvais usage du principe ne va pas à son encontre.

AEDD : Comment expliquez-vous que le principe de précaution soit aussi peu compris?

Dominique Bourg : Le mot « précaution » a plusieurs sens en français. On confond précaution avec « attitude précautionneuse ». En allemand, c'est pire puisque « Vorsorge » signifie à la fois précaution et prévention.


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