L'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement par lequel un tribunal administratif a annulé un refus de permis de construire éolien s'oppose à ce que, ultérieurement, un recours tende à l'annulation du permis finalement délivré pour le même motif que le refus initial. Sauf lorsque le nouveau permis procède d'une demande différente de celle qui avait suscité le refus illégal.
Le contentieux du permis de construire des éoliennes, par sa densité lié au nombre des recours, a au moins ceci d'intéressant qu'il contribue fortement au progrés du droit de l'urbanisme. Le Conseil d'Etat, par arrêt du 30 décembre 2011 vient d'appporter des précisions intéressantes à l'application de la théorie de l'autorité de la chose jugée.
Les acteurs de la filière éolienne le savent bien : même lorsqu'un refus - tacite ou explicite - de permis de construire a été annulé par le Juge administratif de manière définitive : l'administration réitère parfois son refus, en en modifiant simplement le motif. Un nouveau contentieux s'engage alors.
Une variante existe : dans certains cas, lorsque le refus de permis de construire est annulé, l'administration délivre le permis de construire mais ce dernier est immédiatement attaqué par les opposants.
C'est ce qui s'est produit dans cette affaire dont a eu à connaître le Conseil d'Etat. La question de droit était alors de savoir si le recours des opposants pouvait se fonder sur le même motif retenu par le l'administration pour refuser initialement - et de manière illégale - le permis.
Le Conseil d'Etat rappelle que le moyen d'annulation, fondé sur le même motif que le refus illégal ne peut être écarté comme étant contraire à l'autorité de la chose jugée par le Juge administratif que dans l'hypothèse où le motif est, dans les deux cas, identique.
Tel n'était pas le cas en l'espèce, la première demande de permis (refusé) étant sensiblement différente de la seconde demande de permis (accordé mais entrepris).
A contrario, les porteurs de projet doivent toujours se prévaloir, à la suite d'un refus de permis de construire définitivement annulé, de l'autorité de la chose jugée, lorsque la confirmation de leur demande de permis de construire porte sur un projet identique.
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Conseil d'État
N° 331822
Inédit au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
(...)
lecture du vendredi 30 décembre 2011
(...)Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un jugement du 25 novembre 2004, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé, sur la demande de la société P et T Technologie, une décision de refus opposée le 22 janvier 2004 à la demande de permis de construire qu'elle avait formée pour la construction de trois éoliennes et de deux locaux techniques au lieudit Kergleuziou , sur le territoire de la commune de Melgven, au motif que le préfet du Finistère avait commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme ; que par un arrêté du 24 novembre 2005, le préfet a délivré à la société P et T Technologie le permis de construire qu'elle avait sollicité ; que le 9 novembre 2007, il a accordé à la société un permis de construire modificatif ; que par un jugement du 11 septembre 2008, confirmé par la cour administrative d'appel de Nantes par l'arrêt attaqué du 23 juin 2009, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes présentées par l'association cadre de vie et environnement et autres et par la commune de Rosporden, tendant à l'annulation de ces permis ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier de la demande de permis de construire modificatif déposée par la société P et T Technologie le 17 octobre 2007, que le permis de construire qui lui avait été délivré portait, pour l'une des éoliennes, sur un projet d'une puissance plus importante que celle en cause dans la demande ayant fait l'objet de la décision de refus du 22 janvier 2004 et dont l'impact visuel n'était, pour cette raison, pas identique à celui du projet initial ; que, par suite, alors même que lui était soumis, à l'appui des conclusions dont elle était saisie en appel, un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, relatives à la prise en compte de l'impact du projet pour lequel le permis est demandé sur son environnement, identique à celui sur lequel le tribunal administratif de Rennes s'était précédemment fondé pour annuler le refus de permis de construire opposé le 22 janvier 2004 à cette société, la cour administrative d'appel ne pouvait, sans entacher son arrêt d'erreur de droit, juger que l'autorité absolue de la chose jugée par le jugement du 25 novembre 2004, devenu définitif, faisait obstacle à ce que le moyen en question fût invoqué devant elle pour contester la légalité du permis de construire délivré le 24 novembre 2005 et du permis modificatif du 9 novembre 2007, portant sur des projets différents ; que, dès lors, M. C et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société P et T Technologie le versement, chacun, à M. C et autres d'une somme globale de 1400 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que réclame au même titre la société P et T Technologie ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 23 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : La société P et T Technologie et l'Etat verseront chacun une somme de 1 400 euros à M. C, à M. et Mme F, à M. C, à M. et Mme A, à M. et Mme D, à Mme B et à M. et Mme E.
Article 4: La présente décision sera notifiée à M. Albert C, premier requérant dénommé, à la société P et T Technologie et à la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Bore et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.