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Faut-il casser les banques en deux ?

Publié le 10 janvier 2012 par Sia Conseil

Faut-il casser les banques en deux ? Le 12 septembre 2011, la publication du rapport Vickers en Grande Bretagne relance le débat sur la séparation des activités de Banque de Détail et de Banque de Financement et d’Investissement.

Depuis, les politiques se sont emparés du sujet à travers toute l’Europe sous l’angle de la protection de l’épargnant contre la spéculation des BFI. Or, le débat semble principalement dicté par la pression politique résultant de l’inquiétude de l’opinion publique vis-à-vis du système bancaire. Cette inquiétude doit être entendue mais ne doit pas conduire à des décisions brutales voire hasardeuses.

Entre concentration et diversification extrêmes d’une part et désintégration de la chaîne de valeur d’autre part, le champ des possibles reste vaste. Le rapport Vickers – qui n’est autre qu’une version un peu édulcorée du Glass-Steagall Act (mis en œuvre aux Etats-Unis en réponse à la crise de 1929) – imposerait aux Banques anglaises des recettes d’un autre temps pour résoudre une situation bien différente. Par ailleurs, les résultats du Glass-Steagall Act sont pour le moins mitigés. Soulignons que celui-ci a été abrogé en 1999 pour mettre fin à la sous-compétitivité des banques américaines face aux banques européennes.

Le rapport Vickers préconise en effet que les deux activités soient cloisonnées dans une filiale possédant un conseil d’administration et une capitalisation distincts, afin d’isoler l’activité de détail dans un périmètre de sécurité appelé ring fence. Toutefois, les modalités de la séparation restent floues. Selon la proposition, entre un sixième et un tiers du bilan devra être isolé au sein la ring fence, soit un ratio du simple au double. Quant au calendrier de la réforme, il ne semble pas stabilisé (2019 est annoncé, au plus tôt).

Faut-il casser les banques en deux ?

La France n’échappe pas au débat et des voix se font entendre en faveur de la transposition de cette proposition de réglementation dans l’hexagone. Toutefois les politiques semblent ignorer – ou sciemment passer sous silence – plusieurs facteurs plaidant en défaveur cette séparation des activités.

Tout d’abord, le coût de la séparation sera difficilement supportable pour les Banques. Si l’on reprend les principes du rapport Vickers, la filiale Retail Banking serait soumise à un ratio de fonds propres plancher de 10%, soit trois cents points de base de plus que l’exigence minimale de l’accord international Bâle III[1] . De plus, à ce coussin devraient s’ajouter des titres hybrides facilement mobilisables.

Faut-il casser les banques en deux ?

Pour l’ensemble des grandes banques anglaises, la facture en termes de fonds propres supplémentaires sur l’activité Retail Banking pourrait atteindre 20% des actifs. D’après nos calculs la facture serait comparable pour les Banques françaises en cas de transposition de ces principes.
Au-delà du coût, les principes du rapport Vickers entrent en collision avec la réglementation Bâle III, entrant en vigueur dès l’année prochaine. Par ailleurs, la Commission Européenne a proposé la directive CRD IV[2]  pour un renforcement des fonds propres. Enfin, la Commission Européenne, qui souhaite garantir des règles homogènes en Europe, porte un projet de création d’un fonds mutuel pour la résolution des crises bancaires concernant les 27 Etats membres. La multiplication des réglementations et des exigences commence à brouiller les idées des politiques et des régulateurs, semble-t-il.

De façon structurelle ensuite, les leçons du Glass Steagall Act ne plaident pas en sa faveur. Les deux victimes les plus illustres de la crise – la banque britannique Northern Rock et l’américaine Lehman Brothers opéraient chacune sur leur activité unique (la première était une banque de détail et la seconde une pure banque d’affaires) répondant ainsi au principe de séparation des activités. A l’inverse, les Banques qui ont le mieux résisté à la crise de 2008 sont les Banques universelles, au premier rang desquelles se trouvent les banques françaises ou encore HSBC, symbole de la Banque universelle  et mondiale[3]. D’ailleurs, Lawrence Summers, fossoyeur du Glass-Steagall Act[4] , avait déjà souligné que le modèle de banque universelle permet aux différentes activités de s’équilibrer selon les cycles économiques.

D’un point de vu Business, la séparation semble encore plus difficile à comprendre. Les activités de banque d’investissement sont loin de se réduire à de la spéculation et jouent un rôle important dans les activités de financement des grandes entreprises, nécessaires au bon fonctionnement de l’économie. Les BFI sont également indispensables en support à la Banque de détail pour les couvertures des crédits à taux fixe ou en devise et les refinancements. Séparer les deux activités n’est donc pas aussi simple qu’au siècle dernier et probablement encore plus compliqué en France qu’au Royaume Uni dans la mesure où 80% des crédits immobiliers sont à taux fixe dans l’hexagone à l’inverse de nos voisins outre-manche.

Enfin, d’un point de vue conjoncturel, le rapport Vickers pourrait avoir les effets inverses que ceux escomptés en déstabilisant les Banques de Détail. Dans les périodes de crise où l’immobilier dévisse et le chômage augmente, les BDD ont déjà connu des résultats négatifs. Aujourd’hui, dans un contexte de guerre des dépôts accrue par les exigences de Bâle III et de ralentissement probable de l’activité de crédit immobilier pour les particuliers, les résultats de la Banque de Détail ne sont pas garantis, bien au contraire. A l’avenir, l’épargnant que l’on voulait protéger risque donc de payer beaucoup plus cher son crédit compte tenu du besoin de la Banque de conserver ses marges tout en étant privée des techniques et des produits de la BFI (couverture, swap, cap, floor…).

Les arguments ne manquent pas pour la défense du modèle de Banque Universelle. Encore faudrait-il que les vraies questions soient posées aux côtés des arguments grands publics.

Sia Conseil

Faut-il casser les banques en deux ?
2011-12-21_Les Echos_ Faut il casser les banques en deux


[1]Et cinquante points de base de plus concernant les « banques systémiques », dont la définition est précisée par Bâle III sous l’acronyme « SIFI » ou « Systemically Important Financial Institutions ».
[2]Directive de la Commission Européenne adressant les Fonds propres réglementaires (normes de liquidité, définition des fonds propres, risque de contrepartie, mesures contra-cycliques, établissements financiers d’importance systémique, etc.).
[3]Les banques universelles sont des conglomérats financiers regroupant les différents métiers des banques de détail, des banques de financement et d’investissement, des banques de gestion d’actifs et des banques privées. En particulier, elles mêlent les activités de détail et d’investissement.
[4]Lawrence Summers était secrétaire au Trésor de Bill Clinton en 1999 lorsqu’il pesa en faveur de l’abrogation du Glass-Steagall Act.


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