Il y a un temps pour tout. Un temps pour déflorer un disque, un temps pour le faire partager, un temps pour le décortiquer. Et dans un monde où la musique est aussi abondante que la grégarité est répandue, la première écoute – se confondant souvent avec la dernière – s’avère primordiale. Quelques semaines déjà qu’Heterotopias, premier LP du duo Chevalier Avant Garde – assimilé canadien et engendré par Dimitri Giannoulakis et Filip Minuta -, trônait dans ma shortlist, sans que pour autant je n’aille plus loin qu’un souvenir béat des deux précédents 7″ – Young et Haircut – originellement dispensés via leur blog, en plus d’un single digital hébergé par la structure brestoise Beko.
Huit du mat’, ciel laiteux, regard brumeux, je claudique dans la rue, m’enfonçant bientôt dans les couloirs du métro. Je regarde mes pieds dans la cohue cafardeuse quand la lecture aléatoire de mon baladeur m’intime New Face, revigorante incartade synthétique rinçant d’une traite toute commotion matinale. C’est ainsi que je me décide à entreprendre Heterotopias de ceux qui, il n’y a pas si longtemps œuvraient sous les patronymes d’Ototo ou Postcards, égrenant notamment une cassette éponyme sur Fixture Records (2008) fleurant bon ce désenchantement urbain cher à Robert Smith ou encore Eugene Kelly. Et bien que le substrat mélancolique de ses préalables pérégrinations demeure, celui-ci s’adjuge sur ce LP, à paraitre via l’exigent label danois Skrot Up, de nouveaux oripeaux, abandonnant sans coups férir le dénuement mélodique d’antan, froid et savamment référencé, au profit d’odes mutantes et protéiformes, ayant toutes comme dénominateur commun l’implacable centralité de claviers, à la fois oniriques et méandreux. Over The Mountain catapulte d’entrée de jeu Heterotopias à quelques encablures des célestes ballades d’un John Maus crooner (Hey Moon) tandis qu’Axion approfondit l’antique et délectable facette interstellaire des Australiens de Cut Copy (Future notamment). C’est dire si le gouffre est large, béant, résumant à lui seul presque trente années de pop analogique. Mes pas se font chancelant, je déambule alors sans but dans les interstices de la ville, arnaché que je suis à l’intrépide rythme d’un disque recyclant à bon escient les précités singles Young et Haircut, s’octroyant ici une patine autrement plus atemporelle, définitive.
Si le triptyque conclusif s’éloigne quelque peu de tels standards synth-pop frôlant la grâce, du fait notamment d’une approche plus expérimentale et répétitive de sonorités alambiquées – la boucle rythmique de Red Sea, la basse obsédante de Loss ou l’onde comminatoire de What’s Your Number Girl? -, Heterotopias perd en cohérence ce qu’il gagne en promesses. En témoigne la récente split tape en bonne compagnie du trio québecois Rape Faction – sortie communément par les labels Skrot Up et Electric Voice Records – dont il fut question, il y a un peu plus d’un mois, dans ces pages (lire). Can’t Tell, morceau dévoilé par une vidéo à visionner plus bas, dénote déjà d’un autre parti-pris discursif – délaissant la luminosité diaphane d’Heterotopias pour une saillie plus sombre et dramatique -, prouvant, s’il le fallait, qu’un noble et valeureux chevalier se poste toujours à l’avant garde. Là où personne ne l’attend.Audio
Vidéos
Tracklist
Chevalier Avant Garde – Heterotopias (Skrot Up , 2011)
01. Over The Fountain
02. New Face
03. Axion
04. Enemy
05. Young
06. Nie Rozumiem
07. Haircut
08. Red Sea
09. Loss
10. What’s Your Number Girl?