Magazine Culture

Ménippées, de Jude Stéfan (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

StefanHelléniste et latiniste, Jude Stéfan n’a pas choisi de référer aux célèbres Satyres Ménippées qui parurent à la fin du 16e siècle, sévère libelle collectif fait de satires « pleines de brocards salez et de gausseries saulpoudrées de bons mots, pour rire et pour mettre aux champs les hommes vitieux de son temps », selon l’éditeur d’alors, visant la manière dont la Ligue voulait faire élire au trône de France un roi catholique, Jude Stéfan sans doute et plutôt réfère aux Saturae Menippeae du philosophe Varron (Marcus Terrentius Varro, 116-27 av. J.C.), composées de 150 livres et dont il ne subsiste que des fragments, satires qui, mêlant vers et prose, traitaient sur le mode comique de sujets relevant de la science, de la morale, de la philosophie ; lequel Varron reprit l’idée d’un philosophe grec cynique, Ménippe de Gadara (4e ou 3e siècle av. J.C.) auteur de satires au ton comique sur des sujets de son temps. Les sources sont par ici, probablement. Jude Stéfan n’adopte point le ton comique, mais celui mordant du chien cynique, si on peut se permettre une tautologie étymologique, en abordant toutes sortes de sujets, littéraires, moraux, autobiographiques, politiques, mêlant également vers et prose (mélange que signale le sous-titre), approchant maintes fois l’aphorisme pointu (« Relation. Dit-on à quelqu’un qu’il est “comme tout le monde”, on le blesse. Et pourtant c’est ce qu’il prétend, en toute modestie »), voire éminemment, et souvent, cynique (« Il n’est de plaisir pur que dans l’égoïsme »). Le rythme de l’ouvrage repose sur la variété, car on y lit aussi bien des définitions stéfaniennes, des litanies, des anti-poèmes, des épigrammes, des citations, comme il le fait souvent, et fort élégamment dans le pessimisme fondamental qui arde son écriture : Jude Stéfan cultive la joie suprême de l’inconvénient d’être né (« Si le mieux est de n’être pas né, c’est donc que nous sommes dans le Pire »), c’est un penseur macabre (« Se réveiller mort ») au (dé)goût raffiné de soi : un dandy cynique, dandy de la Vanité (littéraire) portant en lui et sur le faix du sublime désespoir une haute idée de la beauté, un dandy qui aime à prendre à contrepied les pensées convenues du temps : « Sur ce beau mot de burka. En quoi le port de la burka porte-t-il atteinte à la dignité de la femme ? […] “ Toute la dignité de l’homme est dans la pensée”, nulle part ailleurs, non dans un fictif apparat, ni les oripeaux dont il cache diversement sa nudité de naissance » (nous laissons au lecteur le soin d’aller lire le développement de l’argument au cœur du livre). On jugerait Jude Stefan atrabilaire quand il faut le considérer comme un Jouisseur Sombre giclant dans ses livres non pas de la bile noire mais de la sève noire, « Pecca fortiter, “jouis à fond” »1, écrit-il. Son goût pour l’acmé l’amènera à clore l’ouvrage avec cette élégance des désespérés : « Le dégoût d’avoir écrit l’aura emporté sur le plaisir d’écrire. » 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
1. « Pecca fortiter, sed crede fermius », Jude Stéfan détourne Luther, en subtil mécréant
 
 
Jude Stéfan, Ménippées, P(r)o(so)ésies, Argol, 94 p., 16 € 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines