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Les âmes petites, de Véronique Joyaux (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

JoyauxLe titre est explicité par l’exergue : Hugo, après la mort de Gavroche, « une petite grande âme venait de s’envoler ». Mais on notera la réduction de l’oxymore : aucune grande âme, pas plus que de bons sentiments, ici. On retiendra aussi le passage du singulier au pluriel : ce qui est visé est moins le particulier que le commun, d’où l’omniprésence du « on ». Même si chaque vie est singulière, elle se fond aussi dans une condition, celle du petit peuple, des petites gens. Et l’auteure ne s’exclut pas de cette humanité humble ; aucune position surplombante ; elle est avec, parmi. 
Je ne sais pas s’il faut pour autant parler d’une « poésie sociale » ; le préfacier, Jean-Pierre Brèthes, s’interroge justement à ce propos. Aucune dénonciation explicitement politique, ce jugement est laissé à l’appréciation du lecteur. Véronique Joyaux en reste à l’évocation du quotidien des humiliés et offensés en silence. Les deux premier poèmes donnent d’entrée le ton du live : « S’entrouvre la porte sur le palier / On aperçoit une table deux chaises un buffet / Juste ce qu’il faut / la plage blonde du plancher / On sent une odeur de cire fraîche / de propre / On devine des gestes simples / attentifs / des êtres dignes / dans la rectitude. » « Sur l’écran des images du monde / si loin / si proches / Et puis / des paroles sans fin comme on déroule un fil / Lui dans le fauteuil / Elle devant l’évier le repassage / Une longue patience. » On peut penser, dans cette évocation sans pathétique de l’étroitesse d’une vie, à certains portraits d’ouvriers par Follain, ou à certains habitants de l’immeuble HLM évoqués par Albane Gellé dans Quelques
Dans ce quotidien gris, la « couleur puce » de Flaubert, ce qui domine n’est pas la souffrance brutale mais la répétition indéfinie du même et sa conséquence, la lassitude jusqu’à l’épuisement. « Un jour est passé comme un autre / aussi terne et prévisible », « On avance un peu vers le soir / On s’éloigne de soi seulement d’un jour / un espace petit / On est fatigué d’on ne sait quoi. » Mais ces vies toutes pareilles, à la fois dans leur quotidien et entre elles, de même que les passagers d’une rame de métro à 18h00 se ressemblent tous dans leur fatigue, ne provoquent pas de révolte collective. C’est bien davantage la solitude, l’émiettement en mal-être personnel qui dominent, muets, comme dans cette « salle d’attente » page 37. Et il en va de même dans le milieu du travail : « Parfois on voudrait fuir / mais l’on reste là / Il le faut / Il y a le travail / l’usine / les autres / la famille / Mais aussi tout ce bruit qui coupe le souffle / une sorte d’oppression / qui rend plus seul que l’on est avec soi-même. » 
Cependant, malgré la dominante grisaille de ce qu’il faut bien appeler l’aliénation contemporaine, on peut remarquer, rares mais d’autant plus sensibles, quelques « sursaut(s) de vivre » : ces moments où l’on peut avoir « le sentiment d’être partie intégrante / d’une humanité en marche », les irruptions d’enfance (p38, p61…), l’amitié (p59), la nature (p44, p49)… «  Alors on ouvre la fenêtre. » 
Ce livre a le mérite de donner voix à une détresse ordinaire, normale, si banale qu’on ne la voit plus guère, alors que les « petites âmes » sont bien plus nombreuses que les grandes. A chacun d’en tirer une conclusion politique : résignation ou indignation ? 
 
[Antoine Emaz] 
 
Véronique Joyaux,  Les âmes petites, Editions Les carnets du dessert de lune,  64 pages, 11€ 


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