De 1994 à 1998, j’étais un salarié de Kodak. Parmi mes attributions, les RP de la division Cinéma qui se concentraient principalement sur la médiatisation du partenariat de « Big Yellow » avec le Festival de Cannes. C’est donc en mai 1994 que j’ai découvert le Pavillon Kodak et les coulisses de l’événement le plus étourdissant auquel j’ai pu participer en 20 ans.
Dès les premiers jours, j’ai compris que, hormis les rédactions des quelques titres de la presse professionnelle quasiment acquis, intéresser un journaliste à autre chose que les films en compétition et les stars présentes sur la Croisette relevait du miracle, leur faire lever un sourcil devant l’intérêt des innovations qui permettaient l’explosion des effets spéciaux ne méritait même pas la moindre perte d’énergie. J’ai aussi réalisé que le statut de Partenaire Officiel de mon employeur ne m’apporterait aucun avantage pour bénéficier des entrées dans les lieux qui attisaient toutes les envies : les fêtes de films, les villas privées, les terrasses inaccessibles… C’était le règne de la débrouille et du Système D dans le plus grand Festival du monde.
Tout se passait loin de moi. Sans bureau fixe, j’errais dans toutes les rédactions qui ne m’attendaient pas. Mon seul plaisir de cette année là a été la découverte de la montée des marches et tout le cérémonial qui va avec : le smoking à 19h, la traversée de Cannes habillé en pingouin au milieu des badeaux, le défilé des plus grandes stars de la planète, la qualité exceptionnelle de la projection dans la gigantesque salle du Palais des Festivals. Lors de ma première montée des marches, j’étais précédé de Catherine Deneuve, ma famille doit s’en souvenir (ça s’est vu à la télé). Très vite, je me suis lassé, le plaisir de porter un smoking par 25 degrés à l’ombre m’ayant en particulier très tôt échappé. Toutes les photos de l’époque en témoignent (celle-ci date de 1996).
Mon année blanche (ou noire) passée à essayer pendant 15 jours de créer de l’intérêt auprès de journalistes du monde entier qui m’ignoraient copieusement m’a permis de comprendre le fonctionnement de l’endroit, les passages obligés pour prétendre à la moindre existence du haut de mes 25 ans. Pour les mettre à profit l’année suivante.
En 1995, je suis donc arrivé armé : j’avais négocié un bureau au coeur du Palais des Festivals, une accréditation me donnant accès aux projections, conférences de presse et photo calls, suffisamment d’appareils photo jetables pour dealer des accès quand il le fallait, un premier jour rempli de rendez-vous négociés depuis Paris et un partenariat avec la terrasse du Martinez dont le potentiel d’attractivité m’avait paru intéressant. C’est donc le soir jusque très tard que je rencontrais les contacts utiles qui passaient me voir le lendemain au Palais des Festivals et finissaient toujours par me rendre un service en me plaçant auprès de telle ou telle rédaction. La présence plus photographique de Kodak me donnait quelques avantages supplémentaires : en devenant pote avec les photographes, ils me rendaient quelques services qui consistaient à hurler le nom d’un big boss américain ou d’un grand client lors de la montée des marches, me valant une reconnaissance éternelle.
La journée débutait à 8h30 en projection presse du grand film du jour et se terminait vers 5 heures du matin à la sortie de la fête du Film du lendemain. Je tenais avec 3 heures de sommeil par jour pendant 2 semaines, ce qui me valait immanquablement un Festival Blues au retour. J’y rencontrais des gens très loin de moi, jeunes acteurs ou réalisateurs qui deviendraient plus tard des stars (certains y sont parvenus), des starlettes à la recherche de notoriété, des producteurs de films venus pour le marché qui fait la vie business du Festival, beaucoup de journalistes du monde entier, pas mal de pros ou futur pros stagiaires de la communication que j’ai souvent recroisé depuis. Chaque année, c’était un rythme incroyable qui me permettait d’arriver à mes fins, sans prendre vraiment tout le plaisir que ma condition de privilégié pourrait laisser imaginer. Mais j’y ai appris beaucoup sur la préparation nécessaire en amont d’un événement, des leçons qui me seront très utiles pour assurer d’emblée une présence efficace au CES de Las Vegas en 1995.
Plus de 15 ans plus tard, je garde de Cannes quelques souvenirs en particulier.
Je me souviens de ma rencontre avec Johnny Depp. Alors que je trônais fièrement pour la première année au coeur du Palais, un bruissement inhabituel m’avait fait lever la tête et me retrouver face à Johnny Depp qui cherchait avec son staff le trajet le plus court pour accéder au photo call. Alors que croiser des stars au Festival relevait du quotidien, Johnny Depp -dont je n’étais pas particulièrement fan- reste le type le plus charismatique qu’il m’ait été donné de croiser. Andy MacDowell m’avait fait le même effet. D’autres m’ont paru bien fades.
Je me souviens d’une soirée dans la villa de Studio Magazine pour un anniversaire (je ne sais plus lequel) avec un nombre de stars internationales au mètre carré comme je n’en ai jamais revu depuis. Mais ce soir-là, j’étais impressionné d’y croiser Marc Esposito et Jean-Pierre Lavoignat, les rédacteurs en chef d’un magazine que je lisais depuis sa création et dont je connaissais chacune des signatures.
Je me souviens de ma dernière montée des marches en 1998 : très en retard, j’avais trouvé par miracle un taxi qui, pour une raison indéterminée, m’a déposé au pied des marches, à l’endroit réservé aux voitures officielles. C’est donc assailli de caméras et photographes que je suis sorti du véhicule, au son du commentateur qui souffrait visiblement devant son incapacité à mettre un nom sur mon visage. Il a fallu quelques secondes avant que tout le monde réalise que je n’étais pas le people qu’ils attendaient et tourneles talons après m’avoir fusillé du regard.
Depuis cette époque, je suis retourné quasiment chaque année au Festival de Cannes pendant quelques jours pour n’en vivre que le meilleur. Parfois pour y croiser des clients partenaires, parfois pour une week-end prolongé, toujours avec le plaisir d’y retrouver des amis et de nouvelles têtes chaque année. Avec depuis 3 ans de plus en plus des twittos auxquels je parle toute l’année. Rendez-vous en mai.