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Après les historiens, Valérie Boyer s’attaquera-t-elle aussi aux artistes ?

Publié le 16 janvier 2012 par Savatier

Après les historiens, Valérie Boyer s’attaquera-t-elle aussi aux artistes ?Si certains parlementaires semblent peu participer aux travaux de l’Assemblée nationale, tel n’est pas le cas de Valérie Boyer qui multiplie fort légitimement interventions et propositions de loi. On sait que la députée des Bouches du Rhône fut à l’origine de celle « visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi », adoptée le 22 décembre 2011 par une cinquantaine de députés. Nul n’est besoin ici de revenir sur les dangers que présentent les lois mémorielles (aux fins souvent clientélistes) qui fixent des « vérités d’Etat » en matière d’Histoire, ni sur les obstacles qu’elles dressent devant les chercheurs de bonne foi ; Michel Marian le rappelait dans un article du Monde du 4 janvier dernier, « L'esprit de la démocratie est en effet de protéger la liberté de la recherche et non pas de mettre à l'abri de la loi telle vérité particulière, si admise soit-elle ».

Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que Valérie Boyer a déposé, le 15 septembre 2009, une autre proposition de loi « relative aux photographies d’images corporelles retouchées » visant à modifier l’article L 2133-2 du Code de la santé publique comme suit :

« Les photographies publicitaires de personnes dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image doivent être accompagnées de la mention : “Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne”. / Le non-respect du présent article est puni d’une amende de 37 500 €, le montant de cette amende pouvant être porté à 50 % des dépenses consacrées à la publicité. »

Ce texte n’a, semble-t-il, pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, mais il pourrait l’être dans la mesure où il vise, selon son auteure, à « combattre l’incitation à l’anorexie » et s’inscrit donc dans la lignée des lois hygiénistes et infantilisantes qui se sont multipliées depuis plusieurs années. « Fumer tue », « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé », « ne pas manger trop gras, trop salé, trop sucré » et autres recommandations moralisatrices s’affichent  ainsi dans notre quotidien comme autant de louanges au dieu « risque zéro » dissimulant une volonté de formatage des individus, dans le cadre de ce totalitarisme mou que dénonçait Philippe Muray sous le nom d’ « Empire du Bien », qui n’est qu’une illustration du néopuritanisme ambiant.

La proposition de loi de Valérie Boyer ne serait qu’un pétard supplémentaire dans l’arsenal déresponsabilisant de nos codes si un paragraphe de son « exposé des motifs » ne venait attirer l’attention. Peu en ont parlé, personne ne s’en indigne :

« En effet, ces images peuvent conduire des personnes à croire à des réalités qui, très souvent, n’existent pas. Il ne faut pas se limiter aux simples photographies à usage commercial et il convient de relever un champ plus large que les photographies "ayant pour objet d’être diffusées dans la presse écrite". Une affiche publicitaire ou une photographie figurant sur l’emballage d’un produit seraient également concernées, tout comme les photographies des affiches de campagne politique ou encore les photographies d’art. »

Pratiquer ainsi l’amalgame entre placards commerciaux et publicitaires visant parfois délibérément à duper le chaland et photos d’art est indigne. Car, si l’on suit bien le texte, les artistes seraient contraints de faire figurer la mention légale sur leurs œuvres ! Obligation grotesque s’il en est. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître l’exact champ d’application de cette obligation. En effet, nombre d’artistes utilisent aujourd'hui des photos qu’ils retouchent pour les inclure ensuite dans des toiles, des sérigraphies ; leurs travaux tomberaient-ils alors, eux aussi, sous le coup d’une loi dont la rédaction demeure trop vague pour les en exclure ?

Penser que le spectateur d’une œuvre d’art (photo, tableau, etc.) est assez imbécile pour ne pas opérer de différentiation entre une représentation artistique et la réalité, voilà qui est significatif du peu de considération intellectuelle qu’accordent nos princes à chacun d’entre nous.

Valérie Boyer précise sur son site Internet qu’elle a suivi les cours de l’Ecole du Louvre. Elle peut donc difficilement ignorer que, depuis toujours, les artistes ont retouché les corps de leurs modèles. L’exemple le plus éclairant se situe d’ailleurs au XIXe siècle. Le puritanisme, allié aux conceptions platoniciennes et conservatrices de l’art, avait imposé ses conventions du nu. Celui-ci devait être idéalisé, lissé, froid, décoratif et, partant, vidé de sa charge érotique. On obtenait des résultats édifiants, comme la Naissance de Vénus (1863) d’Alexandre Cabanel, mi-guimauve, mi-pâte d’amande, ou encore la plupart des nus de William Bouguereau… Clésinger et Courbet firent scandale parce qu’ils s’étaient affranchis de ces règles. Or, le respect de celles-ci imposait aux peintres et aux sculpteurs de gommer le moindre défaut physique, quand ils ne pratiquaient pas de retouches délibérées dans un but purement esthétique.

S’il avait existé à cette époque une loi similaire à la proposition de la députée de Marseille, Ingres aurait été condamné pour avoir ajouté trois (voire cinq) vertèbres à sa Grande odalisque et allongé le cou de l’Angélique de Roger et Angélique. Quant à Gustave Courbet, il eut été, lui aussi sanctionné, pour avoir représenté dans L’Origine du monde, des angles contraires à l’anatomie, tant du torse que de l’écartement des cuisses de son modèle, comme j’eus l’occasion de le démontrer dans la quatrième édition de mon essai consacré à cette toile. Or, que serait La Grande odalisque ou L’Origine du monde assorties du slogan légal proposé, sinon des œuvres vandalisées ? Ne parlons même pas, au XXe siècle, des sculptures d'Alberto Giacometti, véritables incitations à l'anorexie, sans doute...

L’inclusion des photos d’art dans le champ d’application de cette proposition de loi n’a aucun sens, sinon celui de renforcer une « police morale » en limitant davantage la liberté d’expression des artistes déjà victimes des plaintes arbitraires de groupuscules intégristes ou de la Gauche bien-pensante pour « pornographie » au titre de l’article 227-24 du Nouveau Code pénal. Car, comme on peut raisonnablement s’y attendre, l’initiative des poursuites contre les artistes « coupables » d’avoir retouché leurs travaux sera laissée aux groupes de pression (comme tel est désormais le cas pour la loi mémorielle que Valérie Boyer a défendue), toujours avides de pénal pour se faire de la publicité à peu de frais et imposer leur vision du monde. Théophile Gautier l'avait théorisé dès 1835, dans sa préface à Mademoiselle de Maupin, l'autonomisation de l'art est une nécessité qui soustrait toute œuvre aux règles de la morale; Baudelaire et Flaubert partageaient cet avis - ce qui les conduisit devant le tribunal correctionnel. La postérité leur donna raison.

Il faut espérer que cette proposition de loi, si elle vient à être débattue, sera amendée pour exclure explicitement les œuvres d’art de ses dispositions. Car l’expérience de l’article 227-24 a prouvé qu’un texte trop général ouvrait à tous les abus, et les artistes déjà échaudés ne sauraient se satisfaire de déclarations de bonnes intentions, en vertu d’un autre slogan qui, lui, est naturellement absent de notre corpus législatif : « croire les promesses des politiciens expose à de graves déconvenues. »

Illustrations : "Une" du Figaro reproduisant une célèbre photographie retouchée (afin de modifier l'apparence corporelle d'une personne ?)  - Jean Auguste Dominique Ingres, La Grande odalisque - Gustave Courbet, L'Origine du monde.


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