Nous sommes le 22 septembre 2011, Mark Zuckerberg, fondateur et CEO de Facebook vient de clôturer sa keynote inaugural du « F8 », la conférence annuelle des développeurs Facebook. Le plus jeune milliardaire du monde avait pour défi de moderniser Facebook face à la montée en puissance de Google+. L’une des principales innovations est l’arrivée d’un nouveau profil : « timeline ». Plus qu’un simple changement cosmétique, la « timeline » Facebook est l’un des premiers piliers d’un changement radical dans les réseaux sociaux : la notion de vitesse liée aux temps (speedtime).
Votre vie se résume en une histoire
Mark Zuckerberg a dévoilé la refonte tant attendue des pages de profil, la transformation du profil de l’utilisateur dans un album virtuel qui montre tout le chemin de votre passé. Ce nouveau profil, nommé « timeline », rassemble l’ensemble des éléments marquants de votre vie que vous voulez faire apparaitre : photos de naissance, mariage, premier enfant…
Le fondateur de Facebook affirme qu’aujourd’hui Facebook est un bon indicateur de ce que vous faites dans le moment présent, mais qu’il manque la notion du temps qui passe. « Nous sommes plus que ce que nous avons fait récemment, “Zuckerberg a expliqué à l’auditoire. Dans ce nouveau profil, Facebook veut montrer qui vous êtes, ce que vous faites et qui vous avez été. Il s’agit d’une refonte complète de conception. On passe d’un flux d’informations chronologiques textuelles (les statuts) à une version ‘romancée’ bien plus visuelle retraçant votre vie.
Facebook ajoute automatiquement des photos, des mises à jour et événements de la vie de votre histoire Facebook pour votre calendrier, mais vous pouvez également ajouter des photos et le contenu de votre passé pour remplir votre ‘Timeline’. L’objectif est de refaire surface tout le contenu que vous avez créé sur Facebook. Le problème est simple: une fois les mises à jour du statut laissent votre profil, vous n’êtes probablement jamais allé les revoir. Internet et son réseau atteignent aujourd’hui un âge de la maturité.
Du présent au passé…
Bien plus qu’afficher l’instant présent, Facebook a pour objectif de permettre aux individus de revenir sur des événements passés, une partie de leur vie qu’ils ont choisi de mettre en ligne à un moment précis. À l’image de l’onglet introduit il y a quelques mois sur la gauche indiquant ce que vous faisiez l’année passée, Facebook va plus loin en remontant dans le passé et dans votre vie. Ce phénomène est bien plus réfléchi que les quelques changements cosmétiques proposés par Facebook, c’est la logique de l’instant qui est remise en cause. Enrichis par le nouveau rapport à l’histoire, les individus aussi bien que les marques cherchent à se défaire du présent pour scénariser leurs actions et éviter les effets de buzz négatifs (nous avons tous vu dernièrement la pub pour le parfum Eau sauvage mettant en scène Alain Delon dans ses plus jeunes années…).
Aujourd’hui, les notions d’identités numériques se construisent grâce aux ‘traces’ laissées sur internet. Facebook, comme les autres acteurs, s’inscrit dans cette logique d’empreinte. Outre le fait de parler de traces virtuelles, il s’agit avant tout de moments de vie. Prenons l’exemple des nouveaux profils : dorénavant, une carte géographique vous permet de localiser les endroits où vous êtes allés, grâce aux ‘tags’ de vos photos ou vos ‘checks’ sur Facebook Places. Cette carte retrace subtilement vos déplacements et permet à vos amis de voir en un instant les différentes villes que vous avez fréquentées et ce que vous y avez fait à un moment précis. Aussi, si vous avez indiqué votre lieu de naissance, il apparaîtra naturellement sur la carte…
Vous devez commencer à vous poser des questions sur cette volonté de Facebook à toujours avoir plus d’informations personnelles, mais aussi à un effet Big Brother qui passe du mythe à la réalité. Mettons-nous quelques instants à la place de Facebook : quel est son objectif ? Avoir une audience de plus en plus importante? Inciter l’internaute à passer plus de temps sur le réseau social ? Parallèlement, de nombreux concurrents arrivent sur le marché, en prenant le ‘temps de cerveau disponible’ (Noam Chomsky et Edward Herman, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone, coll. « Contre-Feux », 2008, p. 53.) chez l’utilisateur. La meilleure façon d’opérer étant d’offrir à chacun le maximum d’informations sur la vie des uns et des autres. En toute logique, grâce aux photos mises lignes, Facebook gagne la curiosité de ses adhérents et, par conséquent, une très grande partie de leur temps !
Cette stratégie n’est pas sans danger pour l’utilisateur comme pour Facebook. En changeant la page personnelle, Facebook prend le risque de ne plus satisfaire ses utilisateurs actuels. Le refrain ‘c’était mieux avant’ gronde dans les oreilles de nombreux utilisateurs. La question qui peut se poser : Facebook ne ferait-il pas ses modifications pour faire parler de lui ? En d’autres termes, générer de la critique ne serait-elle pas la stratégie de communication utilisée par Facebook pour faire parler de sa plateforme ? Avec beaucoup de services technologiques, on voit arriver une nouvelle forme de communication qui consiste à ne pas faire l’unanimité et à susciter les désaccords et les ‘polémiques douces’ pour faire parler de soi.
Pour l’utilisateur, ces changements font rejaillir des entrailles de Facebook, d’anciens statuts, souvent oubliés, parfois même peu glorieux ou simplement sortis de leurs contextes de l’époque. Nous vous conseillons donc de bien vérifier vos informations avant de publier votre timeline si vous ne souhaitez pas être désagréablement surpris…
Qu’en est-il pour les marques ?
Au-delà de l’aspect purement graphique qui prend une nouvelle orientation (il était tant diront les mauvaises langues…), Timeline va également modifier en profondeur le rapport aux marques présentes sur Facebook.
Y aura-t-il une évolution graphique sur les pages Fans ? Nous en sommes à peu près sûrs aujourd’hui. Pour uniformiser les changements, Facebook va utiliser le même système que sur les profils personnels : la Timeline et son encart photo en haut de la page. Les entreprises pourront alors raconter leur histoire sur le réseau social : des premiers pas de l’entreprise, à sa situation actuelle, les marques seront obligées de parler plus d’elles-mêmes et ainsi de créer du contenu sur Facebook. Cette volonté de rapprocher les marques de l’histoire est une suite logique des méthodes de communication actuelles, le storytelling. Salmon disait que ‘nous assistons bien à l’émergence d’un nouvel ordre narratif.’
Avec 800 millions de membres à travers le monde, Facebook est en train de construire une nouvelle ère des réseaux sociaux, plus narrative, plus intrusive et centrée sur le contenu et sa mise en scène. Bienvenue en 2012 !