Magazine Cinéma

Au service de sa Majesté…

Par Borokoff

A propos de Les Nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat 4 out of 5 stars

Les Nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat - Borokoff - Blog de critique cinéma

En 1997, Serge Halimi (Directeur du Monde Diplomatique et ici scénariste) publiait Les Nouveaux chiens de garde, livre dans lequel il critiquait la collusion tacite entre les journalistes et les Hommes politiques. Il reprenait le titre d’un ouvrage paru en 1932 de Paul Nizan intitulé Les chiens de garde, brûlot politique dans lequel l’écrivain décédé en 1940 s’en prenait aux penseurs bien pensants de son époque et autres philosophes se targuant d’être libres et affranchis du système alors qu’ils n’étaient en réalité que des bourgeois soucieux de faire respecter le système. Les connivences plus que malsaines entre les grands patrons, le monde politique et les journalistes d’aujourd’hui et le manque total d’investissement critique, de force de contre-pensée de ces derniers ont donné l’envie à Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, tous deux journalistes de formation, de reprendre l’adage de Nizan pour lancer un cri d’alerte contre l’absence de débat voire l’indigence intellectuelle qui règnent chez les journalistes, autant sur les plateaux télé que dans les émissions politiques depuis trente ans. Leur film est une bouffée d’oxygène dans un univers cathodique devenu irrespirable pour ne pas dire nauséabond…

Il n’y aucune agressivité dans les propos de Kergoat (Acrimed) ni de Balbastre (directeur de la publication de Le plan B et collaborateur au Monde diplomatique). Seulement une enquête très étayée sur la mascarade des journalistes télé et de la presse écrite qui s’acoquinent et s’arrangent avec les Hommes politiques pour ne surtout jamais faire de vagues mais au contraire « tirer dans le même sens ». Le constat d’un « consensus mou » dans les pseudo-débats télé n’est pas nouveau mais, rarement, le fonctionnement des émissions télé n’aura été disséqué ni démonté avec une telle précision corrosive et une telle exigence. Jusqu’à donner le vertige parfois…

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Ces liens de proximité voire d’affinités entre les journalistes télé et les hommes politiques s’expliquent d’abord par le fait que les « grands » journalistes ou plutôt les « stars » du journal télé sont souvent issus du même milieu social que les hommes politiques dont ils partagent l’éducation voire le sentiment d’appartenir à une « même famille » réunie par la peur du « prolo ». Une famille qui, en souhaitant avant tout garder ses privilèges, devrait se tenir le plus éloignée possible de la « France d’en bas ». La « fait-diversification » de l’actualité est d’ailleurs au centre des critiques du film des deux journalistes et de ce que Bourdieu nommait en riant «  le fait-divers fait diversion ».

Mais l’accointance malsaine qui s’est instaurée entre les journalistes et les hommes politiques trouve une raison d’être encore plus simple dans les enjeux financiers et économiques qui sont communs aux Politiques et aux grands groupes qui possèdent désormais la plupart des  grosses chaines de télé et des grands quotidiens nationaux.

 TF1 appartient à Bouygues (et donc ne parle pas dans son journal  du défaut de construction de la centrale nucléaire de Flamanville dirigée par… Martin Bouygues), Le Figaro est édité par Dassault, Bolloré diffuse chaque jour 1 million d’exemplaires du gratuit Direct Matin, etc, etc…

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Dès lors, Alain Minc a raison de se montrer rassurant et de négliger ou de plutôt de vouloir cacher, en 2008, sur un plateau télé (et bien qu’il ait invité le plus grand spécialiste français de l’économie !) les dommages que causeraient sur l’économie française les risques d’une éventuelle crise financière mondiale, crise qui se produira à peine quelques semaines plus tard…

Christine Ockrent et Anne Sinclair se gaussaient, dans une émission télé de la fin des années 1990, en revoyant des images de l’époque « antique et soviétique » d’Alain Peyrefitte, où un Ministre de l’information, sur un plateau télévisé de l’ORTF, dictait aux journalistes et à Léon Zitrone leur ligne de conduite, en l’occurrence celle de l’Etat.

Les temps ont changé mais seulement en apparence. Les chaines de télé se sont certes multipliées (à l’époque, seules deux chaines dont l’ORTF sévissaient) mais les journalistes sont toujours au garde-à-vous et leur absence de contre argumentation est aussi totale qu’inquiétante.

Il y a certainement de bons journalistes critiques, mais ils sont soit évincés de ce système soit récupérés au jeu des chaises musicales. On pense à Demorand passé de France Inter à Europe 1 (groupe Lagardère) ou aux humoristes Didier Porte et Stéphane Guillon, remerciés d’Inter. Les journalistes d’aujourd’hui ne critiquent pas, ne contestent pas, mais pire, sont « d’accord » avec les hommes politiques avec qui ils se réunissent, en compagnie de grands patrons, pour une « bonne bouffe » chaque fin de mois Place Concorde, à Paris.

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C’est cette absence de contestation, de pouvoir de contre-pensée que dcritiquent Kergoat et Balbastre. Même les soi-disant spécialistes des émissions télé (et qui sont toujours les mêmes, de Michel Godet à Elie Cohen en passant par Alain Minc) sont des membres influents de comités directoriaux de grands groupes pétroliers, de la construction navale et aérospatiale ou de grandes banques ou de sociétés d’assurances ! Conflit d’intérêt, alors ? Penses-tu !

Les journalistes « célèbres » n’hésitent plus à faire des « ménages », ces piges très bien rémunérées et qui consistent à animer des soirées pour lancer un nouveau produit. Ces pratiques, contraires à l’éthique et à la responsabilité d’un journaliste, sont courantes mais mal vues par la profession.

Le propos du film des deux trublions Kergoat et Balbastre est agréablement étayé par deux intellectuels bannis des plateaux télé : Jean Gadrey et Frédéric Lordon. Le premier est Professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1, le second Directeur de recherche au CNRS. Tous deux sont atterrés par l’apathie qui règne dans les médias, l’apathie ou plutôt cette forme d’« indulgence » révérencieuse des journalistes recevant et copinant ouvertement avec des Hommes politiques ou des grands hommes affaires (Elkabbach avec son patron Lagardère chez Drucker sur le plateau de Vivement Dimanche).

Le montage est assez jouissif dans sa manière de relever et de réécrire sur l’écran les flagorneries des journalistes à l’encontre des politiques (celles de Joffrin avec Chirac ou Sarkozy par exemple). Enlevé, bien ficelé, construit sur un ton en apparence badin comme les musiques qui l’accompagnent, Les Nouveaux chiens de garde dresse un constat grave pour ne pas dire effrayant du journalisme moderne. Il aurait même pu faire une partie sur l’avilissement des foules (ou comment les quotidiens gratuits rendent aveugles les gens, éludant les sujets de fond et les vrais problèmes comme la faim dans le monde et les remplaçant par des faits divers et la question sécuritaire en France) mais c’eut été un autre débat tellement vaste qu’il mériterait un documentaire à lui tout seul…

On peut parfois reprocher à Les Nouveaux chiens de garde un certain manque de nuances et une chute un peu maladroite ou didactique, mais c’est un documentaire passionnant, salvateur pour la pensée et la liberté d’esprit (merci Bayrou au fait pour ce qu’il envoie à Claire Chazal en direct). Tout en remarques ironiques et en humour cinglant, il n’épargne surtout pas les anciens rebelles et autres contestataires devenus plus bourgeois que le roi (Field et Val en tête). Les Giordano, les Chabot, les Duhamel (superbe canular en forme de caméra cachée), les Plenel, les Colombani ou encore les Pujadas (on passe le cas du Jean-Pierre Pernot), comment tous ces « journalistes » au « service du pouvoir » mériteraient-ils encore une once de respect ?…

www.youtube.com/watch?v=j4uGHVh6MqM

Film documentaire français de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (01 h 44).


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