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Le projet Ludlow, une légende typographique

Par Dezzig @Zigouiman



Pour mon affiche Laetita Sheriff + Nouvelle Vague, j’ai utilisé et redessinée quelques lettres d’une typographie vintage assez rare : la Record Gothic Extra Condensed créée pour la Ludlow Typograph & Co. C’est sûr, on ne risque pas de la trouver sur ordinateur car ce sont des caractères d’imprimerie utilisés en presse typographique pour les titres de journaux des années 50 !

Ça tombe bien, le projet Ludlow consiste aujourd’hui à restaurer l’héritage d’un des plus grand fondeur typographique américain pour offrir aux graphistes et imprimeurs la possibilité d’utiliser une des plus belles collections de caractères.

La typo Record Gothic sur l'affiche Laetitia Sheriff + Nouvelle Vague ©Dezzig

Aux Etats-Unis, l’imprimerie est un patrimoine national que les musées et passionnés ont fait revivre… (En France le déclin et la déshérence de l’imprimerie nationale ne fait qu’aviver le contraste). Depuis le retour de l’impression haut de gamme en presse typo, les collections de casses typographiques ne font que grandir jusqu’à sauver les machines qui permettent de les créer… Des inventions exceptionnelles, chef-d’œuvres de mécaniques qui ont disparu avec la photocomposition et l’informatisation.

La collection typo de la Ludlow ©Trip-Print-Press

Le International Printing Museum (à Carson près de Los Angeles) s’est donc donné pour mission de retrouver et sauver la collection complète des fontes typographiques de la Ludlow typograph jusqu’à les récréer à partir des catalogues originaux. Cela représente tout de même près de 100 familles de typographies originales ! La réussite du projet permettant de constituer la plus grande collection de matrices typographiques dans le monde à la disposition du public. Ces matrices seront disponibles pour les graphistes et imprimeurs pour toutes sortes de projets (notamment d’affiches de typographie). Le but étant également de former pour assurer l’héritage et sauver les machines.
En s’aidant de la plateforme web Kickstarter, le musée a atteint son but le 19 novembre dernier en récoltant la somme de 11 000 $. Les généreux donateurs se verront offrir des cartes, des affiches, des t-shirts sérigraphiées à l’effigie de Ludlow et même de véritables specimen de matrices de caractère en laiton !

La Ludlow Typograph, c’est qui, c’est quoi ?

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, un retour dans le temps s’impose.

Au début il y a avait les fondeurs (d’où le terme « fonte » utilisé pour désigner une police de caractère). Jusqu’aux année 30, la typographie était un art important en France, ses fonderies étaient reconnues de tous : la célèbre Cochin créée par Charles Peignot était utilisée partout dans le monde (1912). A cette époque, pour créer un caractère, il fallait le dessiner, le graver dans le cuivre ou laiton (un véritable travail d’orfèvre réservé à des spécialistes) puis le fondre avec le plomb. Mais le plomb s’abîmait et s’usait très vite. Le travail des fonderies consistait donc aussi à refondre et remplacer constamment les tonnes de caractères mobiles en plomb utilisée dans les imprimeries. Une véritable industrie !

L’invention de la gravure mécanique permit enfin de produire facilement des matrices nécessaires à la fonte des caractères typographiques. Le travail des graveurs était terminé… et la typographie à la française allait tomber dans l’oubli. Ce principe permit de voir apparaître les composeuses-fondeuses mécaniques. On assemblait des matrices de caractères en laiton et on y faisait fondre du plomb pour composer une ligne de texte complète (Linotype) ou des caractères mobiles (Monotype). On avait plus besoin de fonderie ! Les caractères étaient toujours disponible et neufs.

La composeuse-fondeuse Ludlow © Josh Korwin

La Ludlow Typograph est donc une composeuse-fondeuse créée par la compagnie du même nom en 1906 grâce à l’inventeur William I. Ludlow et le machiniste William A. Reade. Cette machine était drôlement simple, économique et astucieuse ! Face à son concurrent, la Linotype (une machine très complexe utilisée massivement par les imprimeries), la Ludlow fut très employée dans les entreprises de presse pour la confection des titres des journaux car elle permettait de fondre de grands caractères (on utilisait encore des caractères en bois pour certains). Les matrices étaient assemblées manuellement, on les disposait devant la fondeuse qui coulait la ligne-bloc (titres et textes d’affiches en gros corps).

La composeuse-fondeuse Ludlow ©Trip-Print-Press

Le Chicago Evening Post fut le premier journal à utiliser une Ludlow dès 1913, cette machine fonctionnait au gaz avant d’être électrifiée dès 1929. En 1965, sort le modèle M, plus rapide et fiable, et en 1982 le modèle N utilise l’air comprimé pour injecter le plomb dans le moule. Le dernier modèle « L » comporte un système de refroidissement par eau et un contrôle de température numérique. L’entreprise est toujours en activité à Chicago et à Londres !

La Record Gothic Extra Condensed

La Record Gothic Extra Condensed

Cette typographie fut créée de 1951 à 1961 par Robert Hunter Middleton. Elle est assez proche de la News Gothic (un standard américain) dont elle s’inspire. Elle n’a été fabriqué qu’en taille 144 pt et majuscule pour les grandes manchettes des journaux.

Robert Hunter Middleton (1898 – 1985) était un designer americain, peintre et typographe. Né à Glasgow, Scotland, il a étudié à Chicago dès 1908 à la School of the Art Institute. Il a alors rejoint le service design de la Ludlow Typograph Company en 1923. Il en deviendra le directeur de 1933 à 1971. En 1945 il fonda Le Cherryburn Press. Middleton ajoutera une vingtaine de variantes à la famille Record Gothic entre 1956 and 1961.

La collection typo de la Ludlow ©Trip-Print-Press

Certaines de ces typographies (comme la Radiant) ont même (très) influencé le travail de Susan Kare lors de la création de la police Chicago introduite avec le premier Macintosh !! Un bel hommage…

L'assemblage des matrices typographiques sur la Ludlow  © Josh Korwin

Récemment, le graphiste Josh Korwin a imprimé ses cartes « Hello, my name is… » en composant et fondant chaque ligne de texte sur la Ludlow à l’aide de la Record Gothic Extra Condensed. Les cartes ont ensuite été imprimé à l’aide d’une toute petite presse typographique manuelle : Golding Pearl à clapet. C’est à découvrir ici.

Le bloc typographique fondu en plomb sur la Ludlow  © Josh Korwin

Si vous voulez continuer l’aventure Ludlow, quelques exemplaire de cette machine sont visibles au Musée de l’Imprimerie à Nantes.

Film du projet Ludlow par Josh Korwin & Alyssa Zukas pour le International Printing Museum.


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