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Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Publié le 18 janvier 2012 par Marc Lenot
Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Marinus van Reymerswaele, Les Usuriers, c 1540, huile sur toile, Museo Stibbert, Florence

Sujet à la mode que l'art et l'argent ? Peut-être, mais aussi sujet éternel. L’exposition sur l’argent, la beauté et le bûcher des vanités (à Florence au Palais Strozzi, jusqu’au 22 janvier) explore ce thème de manière remarquable à propos de la Florence des Médicis. L’art et l’argent sont-ils indissociablement liés ? Comment l’art se nourrit-il d’argent ? Comment l’argent se purifie-t-il au contact de l’art ? L’art peut-il être pur, sans contamination par l’argent (comme un texte d’Ezra Pound à l’entrée de l’exposition le propose) ? L’exposition montre non seulement, ce que chacun sait, à quel point l’art de la Renaissance italienne fut financé par les banquiers, mais aussi comment bien des thèmes artistiques de l’époque furent influencés par les angoisses et les désirs de ces mêmes banquiers. Les banquiers sont à la fois des usuriers (dont l’âme est en danger de damnation), des bourgeois gouvernant la ville, et des mécènes artistiques et religieux ; l’art est une valeur, mais qui transcende l’argent. Un des plaisirs de cette exposition est qu’à côté des textes explicatifs de l’historienne d’art Ludovica Sebregondi se trouvent d’autres textes, plus socio-économiques et souvent critiques du co-commissaire Tim Parks (auteur du livre Medici Money).

Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Marinus van Reymerswaele, Le changeur et sa femme, 1540, huile sur toile, Museo Nazionale del Bargello, Florence

Si tout commence avec l’invention, en 1252, du florin d’or – orné de l’image de Saint Jean Baptiste, pauvre parmi les pauvres, mais patron de Florence – ce florin est non seulement une pièce de monnaie, mais aussi une unité de compte immatérielle ; ainsi l’argent n’est plus ‘réel’, mais devient virtuel, une mesure de toutes choses, qui abolit les distances entre le saint et le profane, qui permet une fluidité sociale. L’exposition décrit les lois somptuaires, les tentatives de limiter le luxe trop ostensible ; la figure de Francesco Datini, marchand de Prato, permet d’exposer ce qu’est richesse et piété. Le banquier vend du temps (la durée du prêt, entre l’emprunt et son remboursement), or le temps est l’apanage de Dieu, d’où la condamnation des usuriers à l’Enfer. Si le premier tableau (tout en haut) de Marinus van Reymerswaele de 1540 les dépeint pleins d’avidité (mais d'autres ont titré ce tableau 'Les collecteurs d'impôts"), il peint au même moment Le Changeur et son épouse (ci-dessus), qui, bien que tout aussi concentrés sur leurs pièces, semblent plus sereins, plus acceptables en somme, peut-être parce que la lettre de change permit aux banquiers de feindre et de contourner l’interdit ecclésial.

Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Jan Provoost, L'avare et la mort, 1505-1510, huile sur toile, Groeningemuseum, Bruges

Et, pour souligner toute cette ambiguïté, ce doute qui devait envahir l’esprit des usuriers quand ils songeaient au salut de leur âme et à leur éventuelle damnation éternelle, il faut noter que, dans ce tableau de Jan Provoost, c’est le commissionnaire du tableau qui est représenté à gauche comme l’usurier rencontrant sa mort.

Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Ludwig von Langenmantel, Savonarola preaching against luxury and preparing the bonfire of the vanities, 1881, détail, huile sur toile, St Bonaventure University, St Bonaventure, NY

Florence hésite sans cesse entre la splendeur aristocratique et la vertu austère monastique ; dans cette société ambiguë, Savonarole demande la clarté et la pauvreté : pour cela, il sera déchu, pendu, puis brûlé. Ci-contre un détail d’un tableau du XIXème siècle le montrant en train de prêcher et de préparer un bûcher des vanités. Dans la foule, on reconnaît, entre autres, Botticelli qui ne fut pas insensible à ses idées. On peut aussi voir ici plusieurs Botticelli.

Au nom de Dieu et du profit : l’art et l’argent

Lo Scheggia, Lotta di due bambini, c 1450, tempera sur bois, Museo di Palzzo Davanzatti, Florence

Mais j’aimerai conclure sur cette étrange scène peinte par Lo Scheggia (frère de Masaccio) au dos d’un ‘plat de relevailles’, luxueux objet offert à une jeune accouchée : au recto, de jeunes Florentins jouant au ‘civettino’ ; au verso, ces deux putti s’arrachant les cheveux et se tenant par le zizi. Je ne sais trop qu’en penser…


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