Il y a de beaux hasards de calendrier.
Il y a trente ans, Bruce Springsteen enregistrait Nebraska chez lui, sur un 4-pistes.
Il y a vingt ans, Dominique A enregistrait La fossette chez lui, sur un 4-pistes.
Aujourd’hui, en janvier 2012, tous les albums studios de Dominique A ressortent agrémentés chacun d’un CD bonus constitué de morceaux plus ou moins inédits, de versions rares, etc.
Demain, le 6 mars 2012, Bruce Springsteen sortira son dix-septième album studio, disque dont on sait déjà qu’il n’aura pas été enregistré sur un 4-pistes et dont on espère quand même qu’il relèvera un tant soit peu le niveau après l’indigne Working on a Dream de 2009 (ceci dit, le single diffusé ce jour-même inquiète un peu : voir ici).
Dominique A fait chaque disque contre le précédent, expliquait-il dans sa très belle discographie commentée pour Libération il y a quelques jours (lire ici). On aimerait bien que Springsteen fasse de même plus souvent, que le rocker des stades se fasse plus souvent storyteller, qu'il rechante à notre oreille, qu’il revienne encore une fois à l’os, à l’essentiel : c’est-à-dire à Nebraska, à The Ghost of Tom Joad ou, pour remonter plus loin dans le temps et pour rebrancher les guitares, à Darkness on the Edge of Town. Des albums sombres, en colère, peu fédérateurs.
Comme Remué de Dominique A, celui que je préfère et au sujet duquel le chanteur écrit – c’est très beau – qu’il a l’impression quand on lui en parle qu’on évoque le disque d’un autre (« Depuis, avec le temps, beaucoup de gens m'ont fait part de l'impact de ce disque sur eux, en raison du son qu'il a, de sa cohérence. À chaque fois, je dis "merci", mais avec l'impression qu'on me parle du disque d'un autre, de quelqu'un dont je ne voudrais plus entendre parler »).
Il y a vingt ans aussi, P.J. Harvey enregistrait chez elle, sur un 4-pistes également, la matière d’un album produit ensuite « professionnellement » par Steve Albini (Rid of Me), mais dont elle publierait, avec des inédits, des versions épurées, en 1993, sur le mythique 4-Tracks Demo.
D’un côté, donc, un artiste confirmé qui, avec Nebraska, se paye le luxe – comme plus tard avec les Seeger Sessions – de faire ce qu’il veut, d'aller contre les attentes, d’enregistrer seul un album de blues et de folk au propos âpre, ample et ambitieux.
De l’autre, le 4-pistes comme ancêtre du home-studio, l'outil parfait pour coucher sur bandes les premiers morceaux de ceux qui, vingt ans plus tard, comptent toujours parmi nos héros.
Au final, trois chef-d'œuvres tout simplement.
« à l'époque, il faut bien le dire, j'étais têtu : obsédé par l'idée de dépouillement sonore, j'enregistrais mes chansons chez moi, sur un quatre pistes à cassette, un des premiers home studio à prix démocratique. Et je refusais par principe l'idée de mettre les pieds dans un studio professionnel, par conviction que trop de vernis sonore ne pouvait que nuire à la beauté nue des chansons. J'aimais le Velvet Underground, Polyphonic Size, Jean-Louis Murat, Suicide, les 45 tours du label pop anglais Sarah, et le son des Young Marble Giants. J'essayais à ma façon de faire la jonction entre tout ça. Le soir de l'émission de Lenoir, je reçus un blanc-seing: oui, c'était, au-delà de toute attente, recevable tel quel ; oui, j'avais eu raison de m'accrocher à mes romances synthético cheap. » (Dominique A)