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Notre entretiens avec Da Silva

Publié le 20 janvier 2012 par Chroniquemusicale @chronikmusicale

Notre entretiens avec Da Silva« Je n’ai pas envie de vendre du bonheur en spray »

On se voit pour votre nouvel album « La Distance » sorti chez Pias, alors que vos précédents albums étaient avec le label Tôt ou Tard. Comment s’est fait ce changement de maison de disques ?

Da Silva : En fait, j’ai fait trois albums chez Tôt ou Tard, je devais en faire un quatrième, mais j’ai décidé de partir pour plein de raisons. Ensuite j’ai signé chez Pias pour plein de raisons (rires). Je me suis mis à chercher une maison de disques, et je me suis retrouvé dans le discours de Pias, dans leur façon de fonctionner, dans l’énergie qu’ils avaient envie de mettre dans le projet.

Energie que vous ne ressentiez plus chez Tôt ou Tard ?

Non, ce n’est pas ça. Mais quand vous avez fait trois albums dans un label, je pense que j’étais usé, ils étaient usés aussi. Pour tout dire je suis un peu parti sur un coup de tête. Je me suis dit : « Ecoute, ça ne le fait plus ». Je n’arrivais plus à communiquer, on arrivait plus à communiquer correctement, il valait mieux que je parte.

Comme une coïncidence, il y a Constance qui sort une version de votre précédent album La Tendresse Des Fous ?

En fait l’album de Constance on l’a enregistré quasiment un mois après avoir enregistrer mon album. Ils (ndlr Tôt ou Tard) ne le sortaient pas mais ça fait très longtemps qu’il a été enregistré. Constance était passée en studio et m’a dit : « Putain, j’aime bien les chansons », je lui ai répondu « mais pourquoi tu ne les ferais pas en anglais ? ». On a ré-enregistré tout l’album en anglais pour elle. C’était dans les tiroirs depuis plus d’un an. Après ils ont mis un temps infini pour le sortir, pour des raisons qui leur sont propres, j’en sais rien. Je suis assez content de ce projet d’ailleurs. Constance est quelqu’un que j’aime beaucoup.

Quand on écoute La Distance, on entend des sonorités plus électro, avec plus de claviers, de synthés, comment vous est venue cette orientation, cette envie ?

J’ai composé tous mes albums pendant mes tournées. J’ai enchainé trois albums, trois tournées. A peine sorti de tournée, je retournais en studio et j’enregistrais mon album. Donc je n’avais pas beaucoup de temps pour le composer. J’avais le temps de la tournée, 1 an, 1 an et demi. Mais surtout je le composais pendant la tournée, donc toujours dans le même esprit de ce que j’étais en train de faire sur scène, j’étais guidé par cette énergie là.
Sur cet album j’avais plutôt envie d’avoir des morceaux avec de vraies ambiances, avec des passages plus doux, avec des passages plus nerveux, enfin, avec beaucoup plus de dynamiques. Surtout j’avais fait le tour de l’acoustique. Le fait de rester un an chez soi, c’était une période assez étrange, c’était la première année depuis 6 ans où je ne faisais rien. Donc j’ai composé, chez moi, au lieu de composer en tournée. De plus le fait de changer de label, j’avais à nouveau envie de chercher.
J’étais dans un truc un peu systématique après le succès de mon premier album. J’ai enchainé sur un deuxième, avec des orchestrations qui n’étaient pas très différentes, dans les thèmes abordés non plus. Puis un troisième, où là on a fait vraiment différent, les arrangements étaient de Joseph Racaille, mais tout restait quand même très acoustique. C’était beaucoup de cordes, ou des vents, il y avait beaucoup de guitares folks.
Là, j’avais envie de vraiment qu’on bosse la matière, et bien sûr les mélodies, les soigner les arrangements.
Mais rien n’était écrit avant, on a tout créé en studio. J’ai composé, écrit les chansons, après on les a faites en studio. Une idée en a amené une autre, on a été dans la recherche. J’avais à nouveau envie d’être dans la recherche. Et puis les claviers, les sons électroniques c’est quelque chose que je connais depuis longtemps, car dans les années 2000 j’avais un projet qui s’appelait Mistu dans lequel il n’y avait que des machines. Ici ce n’est pas vraiment le cas, ce ne sont que des synthétiseurs joués, beaucoup de piano, et Rhodes, des synthétiseurs des années 70.

De quoi vous vous êtes nourris pour créer les histoires, les textes de ces chansons ?

Je me suis surtout débarrassé de certains poids que je trainais. J’avais une facilité à être toujours dans les mêmes métaphores, je passais toujours par le prisme du couple pour traiter un sujet sur la condition humaine, sur la société. Là je me suis dit : « il faut que tu changes ton champs lexical ». J’avais besoin de me réinventer dans l’écriture. J’ai abordé les thèmes de façon très différente dans l’écriture. J’ai eu beaucoup de temps, quasiment un an pour faire douze chansons, ça va. Prêt d’une chanson par mois, ça laisse du temps. Je crois que je suis plus ciselé, plus juste et cela ne raconte pas la même chose que sur les précédents albums.
Une fois tous les morceaux regroupés, ça m’a fait étrange, car j’ai travaillé chaque chanson isolément. Je ne me suis pas mis dans un chantier de travail d’écriture avec plein de bouts de textes qui partaient partout. Non, j’ai dit : « je commence une chanson, je la termine, puis j’en ferai une autre. » Il y a des chansons que j’ai écrites en 20 minutes et certaines chansons pendant deux mois, je stressais, je n’arrivais pas à la tourner, à la terminer. Lorsqu’on compose paroles et musiques, on ne fait pas tout rentrer n’importe comment. Il faut que cela ait un sens.
J’ai eu beaucoup de temps, mais cela a été pas mal de travail pour arriver à quelque chose qui puisse me satisfaire.

Avec le titre de l’album La Distance, avec le titre du morceau La Crise, est-ce que vous avez pris de la distance avec un engagement social ou politique ?

La Crise c’est une chanson clin d’œil. Vous ne pouvez pas ouvrir un poste de radio, un journal, ou un site web, ou la télévision, sans entendre « La crise, la crise ». Mais la crise est partout, ils sont tout le temps en crise de tout. Faut pas déconner, on vit dans un pays où ce sont toujours les mêmes qui ramassent. J’en avais marre qu’on nous dise : « Oui, c’est la crise, il faut rembourser la dette, il va falloir travailler plus, il va falloir encore donner plus… » C’était déjà un discours qu’on entendait il y a cinq ans, et maintenant il faut donner encore plus. On arrive à un système, et c’est un peu comme ça dans la musique, et dans tous les domaines en crise, où vous avez toujours trois chefaillons pour sortir du lot et vouloir donner des ordres à tout le monde. Là je fais un petit clin d’œil à ça, en disant « vous avez vu le bordel, ça ne date pas d’hier, ça n’a pas pu arriver en une journée, comment on peut en être responsable et pourquoi ce serait à nous de payer ». Je trouvais ça charmant de se dire qu’on a qu’à boire une bonne bouteille, rester au lit et être bien, au lieu d’aller écouter tous ces mecs qui nous disent « il faut, il faut, il faut, rien n’est jamais souhaitable et il faut toujours ». C’est une forme de résistance aussi. La résistance n’est pas que dans le fait de défiler avec des bannières dans la rue. Je trouve ça bien aussi de faire grève.

Notre entretiens avec Da Silva

J’ai lu que vous ne supportiez pas d’un monde toujours heureux que nous présentent les publicités où tout le monde sourient, quelle image du monde pensez-vous donner avec votre album ?

Je ne sais pas quelle image du monde je pense donner avec mon album, mais en tout cas je n’ai pas envie de vendre du bonheur en spray. Cela m’est assez insupportable le fait que dans n’importe quelle entreprise, dans n’importe quel secteur d’activité, et puis même en général dans la vie, même en société, il est de bon ton de sourire tout le temps, d’avoir la forme, d’être un cadre dynamique, il faut que ça « shine », et il ne faut pas qu’il y ait une fêlure. La société voudrait nous faire croire qu’on doit fonctionner qu’avec certains codes, et que ces codes doivent être : « Vous allez bien ? OUAISSS, Vous êtes en forme ? OUAISSSS, Tout ce passe bien ? OUAISSSS, et puis il n’y a pas de problème ? Non ! » Et on s’en fout, et ce n’est pas la vérité. Quand j’entends ça dans des chansons, moi ça me fout le bourdon.
Il est de bon ton d’afficher des sourires, on vous vent de la lessive avec des sourires, des voitures avec des sourires. Ce n’est pas garant de bonheur tout ça. Il y a un vieux mec au bagne qui s’était tatoué « J’ai souffert, j’ai souri ». En quoi c’est garant de sourire ? J’en peux plus de cette espèce de bonheur vendu avec des sourires partout, ça peut pas être ça le bonheur. Le bonheur c’est un truc de mec courageux, c’est un truc de mec qui se bat, le bonheur, c’est un truc douloureux, on peine à être heureux.
C’est pas vrai, on n’est pas heureux sous un bananier ! Le bonheur c’est une lutte de tous les jours. Déjà pour prendre du plaisir dans la vie c’est pas facile, mais le bonheur ça ne peut pas être « t’achètes une 205 et t’es heureux ».
De même quand on me pose la question « ce n’est pas un peu sombre ce que tu fais ? », je trouve ça tellement ridicule. Depuis quand la musique doit être joyeuse. La musique elle est ce qu’elle est, elle est ce qu’on est, elle est ce qu’on ressent. Evidemment le problème de la musique et du cinéma c’est que ce sont les deux secteurs artistiques qui ont été le plus exploités et commercialisés donc marketés. D’ailleurs si vous demandez à un journaliste de parler de danse contemporaine ou d’art contemporain voire même de littérature il y a beaucoup moins de monde au portillon. L’industrie du disque a été surexploitée au point de créer des personnages, au point d’en sortir du chapeau de la télévision, au point d’en faire des jeux, au point de créer des équipes spéciales marketing qui font des compiles de rien, de vide, etc. On a donc vendu du rien pendant tellement longtemps que maintenant la musique doit ressembler à ce que la société prône, c’est à dire le bonheur… Dès que vous faites une musique avec trois accords mineurs on vous dit « ohh mais c’est hyper sombre, tu te rends pas compte ! » On s’en fout quoi. Les chansons très joyeuses peuvent me plaire, mais une chanson extrêmement émouvante peut me plaire aussi.

Je trouve que vous arrivez à mettre en mots des ressentis, des expériences qu’on a tous finalement et qu’on entend assez rarement dans la musique…

Oui, parce qu’il y a ce truc là aussi. Les gens ont peur du trop. Aujourd’hui Gainsbourg, Ferré n’auraient pas leur place. On dirait « Il est too much, mais qu’est-ce qu’il nous raconte avec Je Viens Te Dire Que Je M’En Vais ou Je T’Aime Moi Non Plus, avec une femme au fond qui soupire ! Mais c’est carément too much ! » Parce qu’aujourd’hui il est de bon ton d’avoir une voix assez blanche, raconter des choses un peu poético-onirique, ou alors très quotidienne mais blanche. L’interprétation fait très peur, un mec qui mouille son maillot ca fait très peur. On va vite dire « Oui, c’est de la sensiblerie, ou oui c’est du sentimentalisme, ou je ne sais pas quoi ». Du coup il y a cette espèce de distance de retrait du chanteur. On voit ça même dans le cinéma où le jeu des acteurs dans les films produit aujourd’hui est assez neutre, ça ne déborde pas. On n’en voit pas beaucoup de Deweare en ce moment. Et dans les chanteurs c’est pareil. Moi j’ai envie d’investir mes chansons quand je les chante, j’ai envie de les interpréter, j’ai envie d’être là. Je m’en fous si c’est trop. Le trop ne me fait pas peur, ne m’angoisse pas. Ce que je trouve dramatique ce n’est pas quand c’est trop, c’est quand c’est blanc et que ça ne me fait rien.

Vous dites que vous n’aimez pas faire les mêmes interprétations sur scène que sur l’album, vous avez déjà des idées à quoi va ressembler vos concerts ?

Pour toutes mes tournées, je demande aux musiciens de ne pas écouter l’album. Bon là ça va être difficile car il y en a deux qui ont joué sur l’album. J’aime bien que chaque musicien trouve sa place dans une tournée, je trouve ça super important. J’aime bien donner de l’espace aux musiciens et qu’on crée ensemble la chanson qui existe, on la réinterprète, on la ré-orchestre, on la ré-arrange, on la retourne complètement. Parfois un up-tempo peut devenir un morceau hyper calme, on peut la rallonger de dix minutes avec des passages d’instrus, il n’y a pas de règle. Mais c’était aussi le principe de ce disque. Dans ce disque il n’y a pas eu de règle.
Je ne sais pas à quoi ça va ressembler, ça va ressembler aux quatre mecs qui vont être sur scène. C’est le meilleur moyen que les musiciens ne s’ennuient pas et de prendre du plaisir. Comme je suis moi-même musicien j’ai besoin qu’on soit tous impliqué et que cela fasse un groupe. J’ai pas envie d’être le chanteur qui vient chanter ses chansons sur les chansons de l’album.

Et la tournée vous avez un peu de visibilité ?

Toutes mes tournées précédentes ont fait plus de 100 dates, et sur cette tournée on a décidé, même si au début on pensait en faire moins, plutôt que de faire des grosses salles de retourner dans les clubs et d’en faire encore plein. A Paris, Café de la Danse, Nouveau Casino, Boule Noire, Divan du Monde, toutes les salles de moins de 500 personnes. Ce qui n’est pas forcément très rentable d’un point de vu économique pour mes tourneurs mais moi ça me permet de retrouver un truc, la sensation que j’avais le sentiment d’avoir perdu sur mon dernier album. Le mot c’est compact ! J’ai envie que ce soit compact. La salle, le public, le groupe, la tournée.


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