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Putain d’usine (Levaray & Efix)

Par Mo

Putain d'Usine

Levaray - Efix © Petit à Petit - 2007

« Tous les jours pareils. J’arrive au boulot (même pas le travail, le boulot) et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons – et des collègues que, certains jours, on n’a pas envie de retrouver.

Même pas le courage de chercher un autre emploi. Trop tard. J’ai tenté jadis… et puis non, manque de courage pour changer de vie. Ce travail ne m’a jamais satisfait, pourtant je ne me vois plus apprendre à faire autre chose, d’autres gestes. On fait avec, mais on ne s’habitue pas. Je dit on et pas je parce que je ne suis pas seul à avoir cet état d’esprit : on en est tous là… » (Putain d’usine).

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Le quotidien à l’usine vous connaissez ? Pour ma part, je ne connais pas même si j’ai des amis qui y travaillent. Un quotidien écrasant, des perspectives d’avenir incertaines voire inexistantes, une vie à la petite semaine.

C’est ce qu’a décrit Jean-Pierre Levaray dans son roman Putain d’usine (paru aux Éditions Agone en 2005). L’ouvrage a depuis été l’objet d’un documentaire et d’une pièce de théâtre. C’est donc tout à fait naturellement que l’auteur accepte le projet d’adaptation BD de son ouvrage, d’autant qu’il est amateur de bandes dessinées. Olivier Petit le met donc en lien avec Efix, le courant passe entre les deux hommes, le projet démarre rapidement. Une partie « bonus » insérée en fin d’album est l’occasion de lire les auteurs sur leur collaboration.

Ce n’est pas la première fois que j’ai cet album en main mais c’est la première fois que je parviens à dépasser les dix premières pages. En cause, un graphisme que je trouve écrasant, sombre… aussi morose que le quotidien qu’il illustre. Pour l’occasion, Efix a dû adapter son trait pour coller à univers beaucoup plus sombre que ceux qu’il dessine habituellement. Le noir et blanc s’est imposé comme une évidence, comme quand il a réalisé K une jolie comète :

Et puis rien à faire ! Il fallait travailler en noir et blanc. Pour la nuit, pour les lumières, pour les visages, pour le manichéisme si classique des situations décrites. J’ai donc commencé à brosser au crayon, à l’encre, avec de la craie ou du fusain… tout ce avec quoi je pouvais « broyer du noir ».

Le résultat est percutant, déconcertant parfois. On passe de planches très lumineuses, très soignées à des planches plus brutes où les contrastes sont forts et les silhouettes noires se détachent du décor. On a parfois l’impression de voir des fantômes déambuler dans les immenses hangars de l’usine.

La voix-off de l’auteur-narrateur (Jean-Pierre Levaray) claque par son coté désabusé et désillusionné. C’est presque comme un cri de désespoir dépourvu de tout esprit revanchard ou bagarreur. Un quotidien face auquel on ne lutte pas. Sans tabous mais sans étendards, il parle des trois-huit, des conditions de travail, des licenciements, des suicides, des accidents de travail, des grèves, des manifestations, de l’alcool, des syndicats, du ras-le-bol… Étonnamment, la présence des proches (des ouvriers) ne fait que de furtives apparitions bien qu’on en ressente l’importance. Jean-Pierre Levaray ne s’étale simplement pas sur sa vie privée.

Cet album se lit comme on regarderait un documentaire. Le témoignage est nécessaire pourtant, je n’en suis pas sortie indignée mais plutôt avec cet état d’esprit défaitiste des personnages qu’on a côtoyé durant ces 135 pages.


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