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Portrait de femme : L’oiseau, Sandrine Kiberlain

Par Memoiredeurope @echternach

Portrait de femme : L’oiseau, Sandrine Kiberlain

Ce n’est pas un portrait d’actrice. C’est d’abord un portrait de femme. Etonnement émouvant. Etonnement quotidien. Etonnement pudique. Une anonyme en souffrance. On s’en échappe, on en réchappe, après un moment de silence, quand la petite musique du film cesse dans nos coeurs. Un silence qui fait encore partie d’une histoire dont les personnages parlent peu, mais dont tous les bruits comptent. Des bruits qui pourraient être seulement dans les têtes. Qui y sont sans doute, un peu inventés, déformés, amplifiés.

Ce n’est pas une performance d’actrice. Ce serait réducteur de le dire. C’est un vrai miracle. Une femme, un personnage, une actrice. Indissociables. A tel point que, à la fin, lorsque Sandrine a rejoint la salle, en compagnie du metteur en scène de « L’oiseau », Yves Caumon, lors de cette avant-première strasbourgeoise, on pouvait avoir l’impression qu’elle était en fait sortie de l’écran, comme un acteur de « La rose pourpre du Caire ».

Suivre cette femme pudique, son visage, toujours en mouvement, mais un mouvement imperceptible, flottant entre un peu de joie, un peu d'espoir de vie et une insondable douleur, la suivre dans ses gestes de machine, chez elle, entre ménage et sommeil, puis dans le restaurant d'entreprise où elle travaille, charriant les boîtes de conserve et les paquets de viandes surgelées, suivre et découvrir peu à peu le drame qui l'a fait dérailler... la mort d'un enfant et la dislocation d'un couple. Simplement la suivre et épouser sa souffrance et son accès de larmes devant un film japonais en noir et blanc où une prostituée est bannie, dans le peu de gestes des acteurs japonais qui épousent sa propre lenteur, dans le peu de gestes de tous ceux qui l’entourent et la connivence vaguement réticente d’un homme fruste, son voisin dans le noir, qu’elle voudra suivre.

Le metteur en scène dit combien il a laissé de liberté à l’actrice. On sent en effet à les écouter l’un à côté de l’autre, complices, comme un peu surpris d’être encore ensemble devant le regard des autres, après ce travail commun, qu’il y a eu un pacte, En partie tacite. Elle n’avait que peu de paroles sur lesquelles s’appuyer. Elle dit que ce sont les objets qui l’ont guidée. Elle précise qu’une table ou une chaise, cette table et cette chaise là, choisis par le cinéaste et qu’elle découvrait quasiment au dernier moment, l’ont guidée pour savoir instinctivement ce que devenait son corps et son émotion, à ce moment là.

Et c’est son corps, élégant et un peu lointain quand il passe devant les yeux des autres – les autres qui la regardent comme un être singulier, comme s’ils voyaient sa différence, sa nudité à vif, malgré l’enveloppe de tissu qui la couvre et sa couronne de cheveux blonds– qui doit devenir parole muette.

Et c’est son corps, recouvert d’étoffe blanche, ou d’un manteau quasi stérile et d’une coiffe d’hôpital, quand elle se déplace dans les chambres blanches, les chambres froides, où s’élaborent les repas collectifs, qui prend valeur mortuaire, comme si elle travaillait dans une morgue, son corps qui extériorise la lassitude.

Sandrine tient par sa seule silhouette le va et vient dans un espace urbain bordelais où les maisons à deux étages enferment, où le tram, depuis quelques années, régule les circulations quotidiennes, mais où la Garonne, heureusement, apporte la fluidité du dimanche, conduit parfois vers les vignobles, parfois vers un cimetière et parfois vers la mer, vers le large.

D’un côté les chambres encombrées d’objets, les cuisines instrumentalisées où l'ont vient peler les légumes, où les gestes servent peu, juste pour remplir une fonction, pour devenir des repères. De l’autre un sentiment idyllique de campagne, quand la vie se ressentait pieds nus dans l’herbe, dans l’odeur des saules et des aulnes, quand on se baignait là où ce pouvait être dangereux, où le danger a sans doute emporté l’enfant.

Portrait de femme : L’oiseau, Sandrine Kiberlain

Et puis, lancinants, des bruits de pas, des bruits d’ailes, un fantôme, une âme peut-être qui demande un pardon pour ce qu’elle a brisé et qui doit, comme dans le roman de Sorj Chalandon, tenir une promesse jusqu’à ce que la vie revienne. Un oiseau qui sort du mur, d’une cheminée cachée, qui s’apprivoise, éprouve le besoin  de liberté, d’envol et de tendresse. Une âme qui meurt en se fracassant sur la fenêtre de sa prison, une seconde mort d’où viendra la part de l’espoir, la part des anges, cette vapeur d’alcool qui s’est dissipée dans les gestes quotidiens jusqu’à ce que le meilleur se soit concentré.

Paradoxe d’un film, ou plutôt d’un cinéaste qui, un peu comme les Frères Dardenne, filme au plus près de la peau ou des cheveux, et souvent de dos, s’appuie sur la nudité des visages et des objets, « sans poésie » dit-il et il a raison, mais qui suit les cendres d’un oiseau mort, incinéré comme un être cher, dans les remous du fleuve, et qui terminent leur coulée en regardant le ciel.

Il n’y a peut-être rien d’autre que nos souvenirs pour inventer l’éternité, mais il y a peut-être aussi, quelque part, les forces de l’esprit.

Ce film est musical. Il est en fait construit comme une composition en sept mouvements, avec ses lentos, ses moderatos tristes, ses accents de requiem, mais aussi ses leitmotivs. Peu de duos, mais intenses. La voix de Sandrine Kiberlain, rare, marque le tempo, comme un chef d’orchestre. Mais, à un moment de concentration, quand la vie reprend le dessus, elle amène soudain, par un poème qu’elle apprend par cœur, en consultant un dictionnaire pour traduire les mots, une musique interne qui la définit comme soliste. C'est fugace. C'est donc très étrange, comme un acte manqué.

« Pe urma ne vedeam din ce în ce mai des.

Eu stateam la o margine-a orei,

tu - la cealalta,

ca doua toarte de amfora. »

 Et puis encore :

« Cuvintele se roteau, se roteau intre noi,
inainte si inapoi,
si cu cât te iubeam mai mult, cu atât
repetau, intr-un virtej aproape văzut,
structura materiei, de la-nceput. »

Des mots de Nichita Stănescu.

Yves Caumon me répond qu’il voulait que les premières paroles un peu amples, un peu longues que Sandrine prononce, soient étrangères, dans une langue qui ne serait pas une évidence pour tous les spectateurs. Et que ce ne soit pas Saint-John Perse car on lui aurait demandé pourquoi avoir choisi une poésie difficile, obscure.

Il y a certainement d’autres clefs qui ne sont plus dans le film, qui expliquaient que la langue roumaine apparaisse, comme un exil et comme un espoir, mais je prends ce hasard d’un « Poveste sentimentală » pour moi.

Le film sort le 25 janvier en France. Précipitez-vous, c’est un chef-d’œuvre.


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