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SALLE 5 - VITRINE 4 ² : LES PEINTURES DU MASTABA DE METCHETCHI - 16. LES "PORTEUSES D'OFFRANDES" (Deuxième partie)

Publié le 24 janvier 2012 par Rl1948

 

     C'est la beauté équilibrée du décor qui plaît tant à l'oeil ; quand, de surcroît, on peut lire et comprendre ce que décrivent les parois, le cerveau cumule plaisir esthétique et intellectuel, rationnel et émotif.

Sylvie Cauville

L'offrande aux dieux dans le temple égyptien

Louvain, Ed. Peeters, 2011

p. 4

   Poursuivant de conserve notre découverte des fragments peints du mastaba de Metchetchi exposés ici, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, entamée à la mi-novembre 2011 et après avoir, samedi dernier, évoqué une première fois les "porteuses d'offrandes" qui manifestement évoluaient sur au moins deux registres superposés du mur nord de la chambre de laquelle elles ont jadis été arrachées par de cupides "visiteurs", j'escompte aujourd'hui, pour vous amis lecteurs, quelque peu décoder ce topos de l'art funéraire égyptien qu'en visite à Saqqarah notamment vous ne manquerez pas de rencontrer dans maints mastabas de l'Ancien Empire.

   Comme je l'ai laissé sous-entendre à notre précédente rencontre, ces élégantes personnes qu'à l'instar des peintres, les sculpteurs ont également magnifiées - rappelez-vous celles que nous avions admirées dans la salle 4 précédente, en novembre 2008 -, ne doivent pas être prises au pied de la lettre ! Et quand bien même elles nous donneraient à penser qu'elles sont des femmes apportant des denrées alimentaires, il ne s'agit nullement de paysannes ou, comme l'indique pourtant encore le site du Louvre, de fermières !!!

Porteuses d'offrandes - Fragments E 25527 et E 25528 (2011

   Evoluant avec toute l'élégance des formes que peuvent suggérer leurs robes de lin fin, moulantes et transparentes à souhait, les seins en apparence échappés de dessous les bretelles, parées de colliers, de bracelets et même de périscélides, elles n'arborent assurément pas la tenue vestimentaire idoine pour l'activité qu'elles sont censées représenter, à savoir : les travaux de l'élevage ou de l'agriculture !

Pas plus d'ailleurs, souvenez-vous, que celles et ceux qui s'adonnaient à la chasse ou à la pêche dans les marais nilotiques !

   Pardonnez-moi si je me répète - chassez le naturel, l'Enseignant revient illico ! -, l'image égyptienne, Roland Tefnin et, à sa suite, Dimitri Laboury, le démontrent en suffisance, fut essentiellement fonctionnelle, utilitaire et, partant, ne refléta aucune réalité quotidienne, ni pour Metchetchi ni pour aucun autre notable de l'époque. Archétypale, répétée à l'envi de tombeaux en tombeaux, elle n'existait que dans l'espoir de tout mettre en oeuvre pour assurer la survie des défunts de l'élite sociale dans cet Au-delà tant magnifié. Tant espéré, aussi.

   De sorte que, quand sur les murs de leur chapelle ou de leur caveau sépulcral, ces derniers inspectaient les travaux des champs ou l'arrivée de jeunes "porteuses d'offrandes", c'est avec l'intention d'exprimer leur désir de pouvoir toujours bénéficier de vivres aux fins d'alimenter leur ka de manière pérenne.

   Il ne vous aura sans doute pas échappé que, sur le présent éclat, par rapport à leur tête, la dimension des paniers et couffins qu'elles y maintiennent en équilibre semble franchement disproportionnée.

(Paris) 103

   Preuve manifeste d'incompétence dans le chef des artistes égyptiens ?

   Que nenni ! Il vous faut en fait considérer que ces dames ne sont pas de vraies personnes mais uniquement des métaphores, des allégories !

   En revanche, les vanneries, elles, aux yeux du propriétaire de la tombe, étaient bien "réelles" puisque grâce à la valeur performative de l'image, leur contenu devait le nourrir dans l'Au-delà. De sorte qu'avec l'intention de manifester cette différence notoire, l'artiste dessina les récipients d'osier non pas à l'aune de la taille des jeunes femmes qui les portaient mais en rapport avec le propriétaire des lieux qui, je vous le rappelle, se devait d'être d'une taille considérablement supérieure à celle des autres intevenants figurés sur les parois de la tombe.

     En outre, et je vous l'ai fait remarquer samedi, il n'était point rare que, tout comme la première des élégantes du défilé encore visible ici, l'une ou l'autre tînt de sa main libre une fleur de lotus ; fleur, souvenez-vous, qui connotait la régénération des défunts.

   En un mot comme en cent, vous vous trouvez ici à nouveau dans un contexte symbolique qu'il est relativement facile de décoder : plutôt que de simples fermières, nos attrayantes personnes constituaient en réalité l'anthropomorphisation des différentes propriétés agricoles attachées à la fondation funéraire de Metchetchi.

   Si j'entérine l'analyse de Madame Christiane Ziegler, directrice honoraire de ce département au Louvre, les noms attribués à chacun de ces domaines étaient, dans la langue de l'Ancien Empire, essentiellement considérés comme de genre féminin : ceci expliquant cela, l'on comprend mieux dès lors la raison de leur personnification en tant que femmes !

     Bien qu'à l'origine, dans certains mastabas, quelques exploitations agricoles furent symbolisées par un homme vêtu d'un simple pagne, depuis le début de la Vème dynastie, partant, à l'époque de Metchetchi, elles n'apparurent plus que sous l'aspect de "domaines-femmes". 

   Au lieu de ne posséder que des morceaux épars, si nous avions ici pu bénéficier de la scène complète, nous eussions peut-être rencontré, précédant certaines de ces sveltes beautés, un nom propre à chaque exploitation agricole, comme ce fut le cas dans la chapelle funéraire d'Akhethetep, salle 4 avec, par exemple, des toponymes tels que : Les galettes d'Akhethetep ou encore L'orge grillée d'Akhethetep, etc.   

   Peut-être également, eussions-nous lu cette précision légendant en quelque sorte la scène que l'on lit parfois, notamment dans la tombe d'un certain Seshemnefer, dit Heba, exhumée par l'égyptologue français Auguste Mariette à l'ouest de la pyramide à degrés de Djeser :

   Apporter toute bonne offrande funéraire de la part des villes et des domaines de l'établissement funéraire.    

   Restreint au point de départ, le nombre de domaines fonciers d'un particulier ainsi personnifiés varia de mastaba en mastaba. Et force est de constater qu'au fil du temps, il s'accrut jusqu'à atteindre, à la fin de l'Ancien Empire, aux Vème et VIème dynasties, dans certaines sépultures de Saqqarah et de Guizeh, une petite quarantaine, 36 étant la quantité la plus souvent rencontrée.

   Selon l'égyptologue belge Baudouin van de Walle, Professeur émérite à l'Université de Liège où, après Jean Capart et avant Michel Malaise, lui fut dévolue la chaire d'égyptologie, 36 correspondrait en fait au nombre total des provinces égyptiennes considéré comme étant mythologiquement idéal, nonobstant le fait que, selon certaines sources, à l'époque, on en dénombrait déjà géographiquement 42 !

   Cela posé, de très hauts personnages se prévalurent dans leur tombe - vérité ou pure anfaronnade ? - d'en posséder beaucoup plus mais apparemment toujours un multiple de 36 ; un exemple topique étant celui de Ty - (ou Ti, selon certains égyptologues) - qui en disposa de 108 !

   Trois listes de chacune 36 "porteuses d'offrandes" font en effet partie du répertoire iconologique de son mastaba.

Mastaba-de-Ty---Defile-des-domaines.jpg

(Grand merci à Thiery Benderitter, d'OsirisNet, de me permettre de puiser à l'envi dans ses clichés, tel que celui ci-dessus, pour illuster certains articles de mon blog.)

   Ces belles égyptiennes, vous ne devez donc plus les imaginer en chair et en os : en tant que personnalisation féminine des propriétés rurales propres à Metchetchi, elles constituaient des allégories, des symboles d'opulence que tout défunt aisé voulait clairement indiquer sur les parois de sa maison d'éternité avec l'espoir, tout au long de sa seconde vie, de pouvoir, par la magie de l'image, continuer à profiter des produits qu'ils fournissaient déjà ici-bas  !

   Mais, vous interrogez-vous certainement, comment puis-je être aussi péremptoire quant à la signification réelle de ces dames ? Et quelle peut bien être l'origine de leur présence dans le programme iconographique voulu par Metchetchi, ainsi que dans tant d'autres mastabas d'Ancien Empire ?

   Ce sont, n'en doutez pas, amis lecteurs, de nouveaux points qu'il m'agréerait d'aborder avec vous, lors de notre prochaine rencontre en salle 5, ici, dans le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, ce samedi 28 janvier.

(Delvaux/Warmembol : 1998, 57-69 ; Jacquet-Gordon : 1991, 71-8 ; Moreno Garcia : 2006, 215-42 ; Tefnin : 1979, 218-44 ; Van de Walle : 1957, 288-96 ; Ziegler : 1993, 88-90)


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