En fin de semaine dernière, le site de téléchargement de MegaUpload a été brutalement interrompu par une action musclée du FBI. Le contexte légal et politique dans lequel cette action s’inscrit apporte des éléments de réflexion intéressant sur l’antagonisme qui se met en place entre les gouvernants et les lobbyistes d’un côté, et le peuple de l’autre…
Ce jeudi 19 janvier, comme le relate Contrepoints, MegaUpload, un des principaux sites de téléchargements sur Internet ainsi que les différents services qui l’entourent ont été mis hors ligne par les autorités fédérales de Virginie.
Le FBI n’y est pas allé de main morte et a même émis des mandats d’arrêts internationaux afin de rattraper par la peau du cou plusieurs personnes hors des Etats-Unis dont le patron de la société, installé en Nouvelle-Zélande. On parle donc ici d’importants moyens mis en oeuvre pour chopper un dangereux terroriste qui permet à des gens de s’échanger des films et des musiques. On est ici, de façon absolument claire, dans la lutte plusieurs fois centenaire du bien, représenté par les autorités compétentes, contre le mal, qui permet scandaleusement à des personnes sur toute la planète d’accéder à la culture pour un prix dérisoire, ce qui est infâme quand on y réfléchit deux secondes.
La fermeture de ces sites a provoqué une catastrophe sans précédent puisque, comme chacun le sait, il n’existe aucune alternative à cette méthode de partage. Encore une fois, la police et la justice ont travaillé de concert pour arrêter une vraie menace contre la société, des gens qui volent, violent, torturent, pillent, massacrent et polluent l’atmosphère, et on peut être sûr que leur action met, bien heureusement, un point d’arrêt final à ce fléau.
Et pendant que les autorités américaines s’auto-congratulaient bruyamment devant cette réussite phénominable, la fermeture de MegaUpload aura permis de révéler plusieurs choses.
D’une part, elle aura immédiatement permis d’accrocher une petite étiquette « Imbécile » à toute une classe de politiciens qui ont applaudi l’événement des deux mains, sans en comprendre ni le contexte, ni les implications. Sarkozy, jamais dernier lorsqu’il s’agit d’exprimer une idée idiote, se sera fendu d’un communiqué de presse dans lequel n’importe quel citoyen doué d’un minimum de raison peut déceler la connivence tendre et douillette de l’État français avec les principales sociétés de distributeurs de bien culturels. Toute l’histoire pathétique et les ratés monumentaux de la HADOPI sont, pour ainsi dire, résumés dans les quelques phrases de son communiqué.
D’autre part, le timing de l’opération ne doit rien au hasard, alors qu’aux États-Unis doivent se voter deux lois (SOPA et PIPA, dont j’avais parlé ici-même) : tout indique que les Etats-Unis, comme la France, ont décidé de mettre leurs lois et son gouvernement au diapason des lobbys culturels. Ici encore, la collusion entre les gros producteurs hollywoodien de musique et de films est tellement patente, le ficelage des lois controversées tellement grossier qu’on doit absolument se poser la question de savoir qui, dans les parlementaires américains (et, par symétrie, dans les parlementaires français) a croqué de la galette pour que tant de droits fondamentaux soient ainsi violés en toute décontraction…
Ce timing montre de surcroît la nervosité de plus en plus grande tant des politiciens que des Majors culturels. Oui, leur business-model prend une sale tournure. À en juger par la réaction immédiate du public et l’apparition presque spontanée de sites de phishing en lien direct avec la fermeture de MegaUpload, on voit que, littéralement, ces Majors culturels passent à côté d’une manne financière énorme tant la demande en produits de streaming et de téléchargement rapide manque cruellement. Et plutôt qu’embrasser le changement et s’y adapter, les industries musicales et cinématographiques se font fort de se mettre à dos leur clientèle. À long terme, le marché gagne toujours, ce qui présage d’un sort funeste pour ces gros acteurs s’ils ne changent pas leur fusil d’épaule…
Pire, on comprend que le temps joue contre eux : museler internet semble déjà compliqué, pour ne pas dire impossible. D’ailleurs, la riposte ne s’est pas faite attendre : dans la journée de vendredi, le groupe Anonymous avait déjà lancé plusieurs attaques sur différents sites (dont celui de l’Élysée). Ces attaques sur les parties visibles ne sont évidemment pas très dommageables pour les entreprises commerciales (le site est indisponible pendant quelques heures, ce qui ne représente qu’un faible manque à gagner) ; elles ont cependant été suivies d’autres attaques, comme celle sur Sony qui a abouti à mettre en ligne l’intégralité de son catalogue sur internet au travers de torrent (technique de partage en peer-to-peer impossible, par nature, à enrayer). Universal et les autres majors ont, d’ores et déjà, du souci à se faire.
Parallèlement, différents groupes d’internautes se sont organisés pour organiser une protestation mondiale contre les lois SOPA et PIPA en cours d’examen aux États-Unis. Protestations concrétisées par des écrans noirs sur Wikipedia par exemple, et qui ont, au moins temporairement, porté leurs fruits puisque leur vote a été reporté.
Au vu de ces réactions, il n’est pas interdit de penser que beaucoup comprennent qu’il y a plus en jeu, ici, qu’un simple accès gratuit à une poignée de films et de tubes musicaux douteux. On peut en effet comprendre que les vieilles sociétés, qui basent leurs profits sur une rente impossible à conserver dans l’ère du tout numérique, se battent bec et ongle pour conserver le status quo.
Cependant, cette lutte ne doit pas se faire à n’importe quel prix, à commencer par celui de la libre-expression et du respect de la présomption d’innocence sur lesquels sont basés les constitutions des nations occidentales modernes. Or, les méthodes du FBI et les projets de loi présentés sont tous sauf respectueux de ces piliers naturels d’une saine démocratie.
La réaction de l’Union Européenne, dans ce cas précis, montre une plus grande subtilité des dirigeants européens. Viviane Reding, la Commissaire Européenne en charge de la Justice, a ainsi déclaré que « La protection des créateurs ne doit jamais être utilisée comme un prétexte face à la liberté de l’internet »… Si, ici, je parle de subtilité, c’est bien parce que des projets comme ACTA (en cours d’analyse au Parlement Européen) sont malgré tout dans les cartons des Institutions Européennes, quoiqu’en dise Mme Reding.
Il s’agira donc maintenant de vérifier scrupuleusement que les bonnes intentions de la Commissaire seront effectivement respectées. Mon naturel optimiste me pousse à penser qu’il n’en sera rien.
La bataille continue.