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"No longing for the moonlight, no longing for the sun" : ma musique 2011

Publié le 27 janvier 2012 par Petistspavs

Il y a une certaine indécence à s'exhiber sur le net, par exemple dans un blog, sous couvert d'imprégnation culturelle et au motif forcément fallacieux du choc tectonique entre deux années, l'année passée, l'année nouvelle. Comme c'est toujours l'année nouvelle qui gagne (l'autre, qu'on l'ait aimée ou pas peut retourner se faire foutre dans les fontaines à oubli du temps passé), j'aime bien consacrer quelques heures, en janvier, à l'évocation des douze mois pour qui les douze coups de minuit ont pu sonner comme douze balles dans la peau.
Pour parler clair, je reviens, une semaine après avoir palmaréïsé le cinéma, édifier mon Panthéon musical annuel, même si c'est un peu indécent, cette façon de s'étaler dans les blogs avec des airs de donneur de leçon, voire de juge de touche décontracté. Mais non, je ne donne pas de leçon, je ne juge rien ni personne, je me fais plaisir, c'est tout.

Il y a un an, j'avouais avoir peu écouté récemment de rock étranger et je voulais dire merci à quelques artistes français plus formatés chanson que rock, ainsi qu'à quelques musiciens de jazz (VOIR, si ça vous tente, mon bilan 2010). En 2011, changement de braquet, on monte le son, c'est dans un déhanchement rock (de préférence anglo-saxon) que j'ai chevauché les douze derniers mois.

Sans classement et sans plus de bla bla, voici mes plus beaux souvenirs musicaux de l'an passé, livrés ici avec le désir de vous faire partager, voire découvrir, quelques beautés parfois encore un peu cachées.

La belle surprise de décembre, qui nourrit mon plaisir de ce début d'année, les 50 words for snow de Kate Bush.

Après un agréable mais un peu prévisible Director's cut livré en début d'année (et revisitant en punchy, mais était-ce nécessaire, les titres de deux des premiers albums de la Dame), Kate Bush, habituellement moins productiviste, revient avec 50 mots pour dire la neige. Et se livre à un exercice qui lui était habituel il y a quelques années : nous surprendre. L'univers très poétique de cet album inattendu tient à une matière cotonneuse, légère et lente, mais à saisir dans l'instant, comme la neige évanescente, sujet unique de l'album.
Musicalement recherché, sophistiqué, saupoudré de tonalités jazzy, mais reposant sur une nappe sereine, des à plats de piano voluptueux, 50 words for snow ne se dévore pas dans l'urgence, mais se déguste  avec lenteur, comme ces créatures atténuées déjà par les effets d'un songe naissant, croisées à Orsay cet hiver entre beauté, morale et volupté.

Un clip exprime bien les noces entre rêve et fantaisie qui envoûtent le nouvel univers sonore et poétique de Kate Bush :

Visitez la page de Kate Bush, très excitante.

Mais incontestablement, 2011 a été pour moi l'année des Kills. Ratés à Rock en Seine, poursuivis en vain à l'Olympia (c'est fou, la

vitesse à laquelle les places de concert disparaissent, non ?), il fallut faire le voyage d'Amiens pour les découvrir enfin en scène, là où ce couple improbable (la glace et le feu, le dandysme et le corps en mouvement, l'Angleterre et l'Amérique), formé de la chanteuse américaine Alison Mosshart et du guitariste anglais Jamie Hince, trouve un espace à sa démesure pour inventer le rock d'aujourd'hui. Avec infiniment plus d'intelligence musicale que les punks en leur temps, les Kills ringardisent  au pas de charge ce que nous avons  si longtemps adoré, à coup de riffs sanglants et de rythmes faussement tribaux, se réclamant autant de Stravinsky que de Charlie Watts.
Blood pressures, sorti en avril, est mon album de l'année. The Kills en est ma grande découverte et il ne se passe pas une semaine sans que je me refasse le film intégral de leur carrière discographique (en 4 albums parmi lesquels je ne sais choisir ce qui me touche le plus). Cette musique est en outre si intimement liée à mon histoire qu'elle m'est devenue peu à peu indispensable.
Future starts slow (et qu'il prenne donc son temps) est même, dans mon imaginaire intime, LE titre de l'année, celui que j'écoute toujours avec un bonheur renouvelé.

J'ai choisi ce clip, plutôt qu'un extrait de concert (j'en avais mis un bien saignant ICI, version live du même Future starts slow) car j'en aime vraiment les premières secondes qui en disent tant sur la rébellion la plus authentique, avec les gestes les plus radicaux que je puisse imaginer et  reproduire aujourd'hui.

Une autre découverte saisissante de 2011, dont les concerts (Rock en Seine, puis le Festival des Inrocks) ont largement confirmé la très forte impression laissée par le premier disque, la belle et glaciale (au sens où une héroïne d'Hitchcock peut être glaciale) Anna Calvi.
L'écoute de son premier album, simplement baptisé Anna Calvi, nous avait séduits au sens fort de ce mot et la perspective de l'entendre et la voir évoluer en concert se faisait pressante et surexcitante. Un nouvel album, en 2012 (dont un titre, Wolf like me, est en écoute sur iTunes et Deezer) sera l'occasion de mettre à l'épreuve l'éventuelle viabilité de cette potentielle "Grande Dame" du rock. En effet, si son espace musical manque encore un peu d'ampleur (défaut de jeunesse ?), elle en exploite avec un talent évident et un sérieux qui fait plaisir, toutes les ressources et je ne doute pas que la suite de l'aventure sera passionnante.
A ce sujet, je voudrais revenir sur un phénomène qui a un peu gâché mon plaisir ces derniers temps et qui se manifeste notamment dans les blogs à vocation consumériste et à prétention "culturelle". Calvi a été propulsée, trop vite, trop violemment, au premier plan, comme une star, ce qui pouvait se révéler extrèmement casse-gueule pour la jeune artiste qu'il aurait été pertinent de voir comme une débutante douée d'un réel potentiel à confirmer (comme toute débutante). Or il s'est passé peu de mois pour que les adorateurs d'un jour se transforment en juges implacables des convenances. Le fond de l'affaire : la belle anglaise, un peu froide, ne serait pas assez sympathique en scène, elle ne parlerait pas, elle se contenterait de faire son numéro de musicienne. Et l'expression "tête de Troll" (si si) dont un plaisant commentateur de blog l'a affublée, pris dans une mise à l'encan en forme de défouloir collectif, m'est salement restée dans l'esprit.
J'en profite pour exprimer ici mon ras-le-bol définitif devant une partie (grandissante) du public à qui tout serait dû (le client est roi) et en particulier l'expression par l'artiste testé d'un lien de proximité, de connivence, vraie ou fausse mais sonore. Certains artistes maîtrisent parfaitement l'exercice, jusqu'au malaise s'agissant, par exemple, de Fabrice Luchini qui sait jouer de cette tendance du public pour mieux le mettre dans sa poche, mais avec un mouchoir par dessus (le coup de l'étouffoir, tu connais ?). Il faudrait que les artistes pondent des mélodies plaisantes, les interprètent avec entrain et fournissent en plus du service prêt à consommer, le sourire de rigueur, la touche de décontraction sans complexe et la blague facile à digérer, entre faux amis. Sinon, ils ne seraient "pas sympas", pas proches du public, pas à la portée du premier cochon payant venu, même un peu par hasard, en concert.
Ben non, la vie c'est pas comme ça. Si un artiste vient vendre son talent, ça devrait suffire. S'il a le don de la communication, c'est encore mieux, mais ce don ne peut être une obligation et, surtout, le réflexe de la blague pourrave ne doit pas devenir un tic.
Et Anna Calvi montre sur scène un talent naissant mais très original, avec ou sans sourire forcé et c'est très bien ainsi, n'en déplaise à celles et ceux qui se déplacent en concert pour exercer leur droit au toujours plus en packaging cadeau. Fin de ma minute de mauvaise humeur.

Voici Anna Calvi en Black session (France inter) invitée par l'indispensable Bernard Lenoir, indispensable sauf pour notre station de radio favorite qui l'a viré, après de nombreux autres, il est vrai.

Pour visiter le site d'Anna Calvi, c'est ICI.

Autre révélation qui a bouleversé les moeurs de l'année écoulée, au moins mes moeurs domestiques, (à revoir en juin au Trabendo), Austra, avec un album  électro pop obsédant, Feel it break dont voici un extrait en clip.
La vidéo vient de Dailymotion et non de Youtube qui l'a, apparemment, censurée (remplacée par une version dite "clean", ce qui pourrait signifier que celle proposée ici est sale...). Au fait, Austra est un groupe basé à Toronto, pas à Sydney.

En concert, Austra s'est révélée musicalement à la hauteur des attentes, avec un beat rappelant curieusement celui des Kills et une ambiance générale très "cathédrale", sa leadeuse, Katie Stelmanis, semblant constamment, par le mouvement de ses bras en élévation vers le ciel (de La Maroquinerie, en l'occurence), évoquer certains esprits connus d'elle seule. Toute plaisanterie mise à part, la voix de la chanteuse s'élève constamment vers les cieux et élargit notre espace mental et sensuel dans une sorte de fête spirituelle et voluptueuse dont on a le plus grand mal à redescendre, le concert fini.

Vers la fin de l'année 2011, comme souvent, ce fut Noël et le retour des chansons qui vont avec, pleines de sucres gras et de couleurs pompeusement niaises, accourues à l'aide d'un peuple uni dans la ferveur dindinesque avide de se débarrasser au plus vite et le plus connement possible de son treizème mois. C'est l'heure où les enfants poètes n'auront pas de guitare en cadeau, mais des machins électroniques qui marchent tout seul (et qui n'ont donc pas besoin des enfants).
Cette année là, il y a quelques semaines donc, un ange est tombé du Ciel pour déniaiser Noël, ses chants et son fameux esprit  à deux euros : Florent Marchet sortait ses Noëls's songs, allait les défendre au Café de la Danse, puis sur les ondes publiques (Le Pont des Artistes, le samedi soir sur Inter).
Depuis, ces chansons ne me quittent pas et je peux avoir l'impression, certaines nuits, lorsque les Anges veillent sur moi, que l'Esprit de Noël m'accompagne, me tient la main comme dans les couloirs du métro, voire plus car affinités. Une très belle surprise, un très joli disque dans lequel le doux et cynique Florent réinvestit la Maison du Père Noël à coups d'harmonies subtiles ne craignant pas d'entraîner certaines mélodies rabachées vers des accords mineurs où elles retrouvent leur ingénuité d'Antan.

Voici un extrait du Pont des Artistes, piqué sur le site de Florent.

Sans vidéo, sans musique, deux autres découvertes capitales de 2011, en disque et en concert. EMA, la blonde léthale au rock aiguisé et Metronomy à la pop élégante et fruitée. Deux mondes, de quoi écouter, se parler. j'y reviendrai à la première occasion.

J'attendais les concerts pour évoquer Camille, mais tout s'est mélangé dans ce papier musical qui ne suit pas la portée.
Donc Camille (Hé, Léo, c'est pour toi que j'écris) a réalisé un des plus beaux disques de l'année, Ilo veyou. Ce disque est une sorte de chose parfaite, ronde et carrée, triste et gaie et enjouée et poétique et, en fait, magique, optimiste, énergique, intelligente, sensuelle mais suffisamment naïve pour accéder à l'Esprit de Noël jusqu'à atteindre par endroits l'Esprit d'Enfance.
Le disque et bien d'autres titres a été présenté lors d'une série de concerts au Café de la Danse d'une générosité, d'une gentillesse, d'une poésie (poésie lunaire, poésie de Pierrot lunaire, poésie hallucinée) presque old fashion, tant et tant qu'on n'en attend plus autant.
Pas de vidéo de Camille, ni du Café de la Danse, ça reposera un peu les oreilles et les yeux du lecteur curieux, mais voici une adresse où on peut visionner plein de vidéos de Camille, notamment celles du Café : C'est le L. Rico blog, très cher à mon coeur, allez-y et laissez un commentaire, son auteur adore ça. J'espère d'ailleurs revoir Camille avec lui, en mai, au Trianon (j'ai les places).

 2011 fut une année très riche en concerts et en découvertes live. Camille,  donc, mais aussi The Kills et Jean-Louis Murat et EMA et Metronomy et bien d'autres (Austra, L). Mais il y eut UN "concert de l'année". Celui dont on rêve, enfant ou presque, mais qui tarde trop à venir, celui de la sympathie évidente, de l'énergie rock intègre, celui de la décontraction, de la coolitude, de la sérénité, de la poésie qui convoque Rimbaud, Genet, Ginsberg, des guitares qui déchirent et des sourires qui apaisent, le concert de la plénitude, du bonheur d'être là et pas ailleurs, avec la personne idéale pour partager ce moment très rare, partager les bières et les émotions, le besoin de bouger les hanches, même si on est un peu cul serré en public, de dire Merci Madame, de dire Encore, Encore, de dire et répéter qu'on sera là à chaque fois que tu y seras, Patti, que tu n'as qu'à siffler ou chantonner que tu danses pieds nus, que tu pisses dans la rivière, que tu écrives la suite de tes mémoires de jeunesse avec Robert.

Pas de vidéo non plus, celles en ligne ne rendent compte de rien, ne peuvent dire l'événement, le beat, l'amitié, l'intelligence ou la sensibilité. Pour finir ce papier en beauté, une simple photo du bon vieux temps qui ne disparaîtra jamais tant qu'il y aura un soupçon de mémoire, la page d'un livre, un riff, un poème, la chevelure ou les pieds ailés d'Arthur Rimbaud. Une sorte de message posté du Paradis, un paradis qui n'existe pas, mais qui, dans nos rêves, existerait.

 

Le titre de ce billet, "No longing for the moonlight, no longing for the sun" est piqué à Future starts slow des kills. Merci à eux et à tous les autres pour cette année musicale merveilleuse, expression en modes majeur-mineur d'une année par ailleurs exceptionnelle. Merci à toi pour l'avoir partagée avec moi.


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