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"Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes".

Par Loulouti

Pas facile de reprendre la plume. Il fallait trouver un film événement du 7ème art pour me sortir de ma retraite d’ours rédacteur

"Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" de David Fincher est de cet acabit.

Le metteur en scène américain prouve en un peu plus de deux heures et demie qui appartient à la race des seigneurs, expression quelque peu galvaudée par certains au 20ème siècle, du cinéma mondial.

Mais petit retour en arrière.

Je suis tombé sous le charme de la saga "Millenium" de Stieg Larsson il y a quelques temps déjà. J’adore les livres. J’ai vu tous les films en salles, je possède les DVD et l’édition Blu-Ray de la série. Je suis fasciné par cet univers unique en son genre. A maintes reprises j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer avec vous le sujet en long et en large.

J’ai toujours été Franc avec vous. L’annonce de la mise en chantier d’une "relecture" engagée par le cinéma américain a soulevé chez moi une tempête d’interrogations. L’éternelle rengaine. Le cinéma d’outre-atlantique reprenant à son compte les pépites de l’art européen car le public là-bas a moult raisons de se plaindre  (une fois c’est les sous-titres qui sont durs à suivre, une fois c’est le cadre spatio-temporel ou les coutumes qui les déroutent, enfin bref, passons).

Immédiatement la production a donné des gages du sérieux de son entreprise. Le film serait tourné en suède sur les lieux mêmes de l’action (ou tout du moins pour la première équipe) avec des comédiens du cru (pour les seconds rôles en tout cas). Mais la décision majeure fut de confier le poste de metteur en scène à David Fincher. L’adhésion des plus sceptiques fut alors immédiate. Il était inconcevable qu’un tel Monsieur du cinéma s’engage simplement à transposer le long métrage suédois de Niels Arden Oplev sans y apporter son génie créateur et sa touche personnelle.

Le jour où David Fincher réalisera un film de studio dit "de commande", il perdra une bonne partie de son auditoire.

Avant de rédiger cette chronique je me suis longuement demandé si l’angle d’attaque souhaité serait de comparer ou non les deux longs métrages entre eux. Au final je pense qu'il faut s’abstenir d’un tel procédé.

Mais si vous tenez absolument à vous prêter à ce passe-temps périlleux et incertain, il faut alors vous procurer la version télévisée du film d’Oplev comportant 40 minutes de plus (également pour les volets 2 et 3). Votre approche sera alors plus juste sur le fond et la forme.

"Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" n’est pas un remake, c’est une évidence.

J’assimile cela à du théâtre. Le matériau de base est si riche, si dense que des approches nuancées et pourtant complémentaires sont compatibles.

L’écriture de Stieg Larsson est réellement d’une qualité supérieure et permet des niveaux de lecture assurément différents. Les romans fourmillent d’une multitude de détails, de précisions. Malgré deux adaptations du premier tome de la saga littéraire (et les deux séquelles cinématographiques pour le volet suédois), il n’est pas complètement idiot qu’émerge un jour une troisième production.

Ainsi je ne vais vous dire que le Oplev est "moins que" ou le Fincher "plus que", ça serait stupide de ma part. Pour avoir donc vu les deux longs métrages, je peux vous affirmer que les œuvres sont à semblables et distinctes, complémentaires et uniques.

Le mérite de l’opus suédois est d’avoir défriché le terrain et d’essuyer par la même occasion le feu de la critique. Il n’est pas nécessaire d’avoir vu l’un (et je ne vous indique pas d’ordre chronologique quand j’évoque "l’un") pour apprécier l’autre.

Le seul handicap me concernant était de connaître par cœur la trame narrative, de penser que tel passage clé allait forcément arriver. J’oubliais seulement (ou du moins je ne l’espérais pas autant) que David Fincher était derrière la caméra.

Car "Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" est un chef d’œuvre marquant à plus d’un titre. David Fincher développe un propos unique, étonnant, majestueux en s’appropriant à son compte les moments forts du livre/ film. Il fait sien le travail de Stieg Larsson en magnifiant aussi les centres d’intérêt et moments charnières de "Millenium".

Le coup de force majeur est d’ouvrir le film par une séquence déjà culte. Le cinéphile de base que je suis s’est affranchi en quelques secondes de toute crainte, idée préconçue. J’ai remisé au placard le jeu des comparaisons mentales qui consisterait à disséquer plan par plan les deux longs métrages.

Ce début génialissime, souligné par un graphisme dantesque, la spectaculaire reprise de la chanson "Immigrant Song" de Led Zeppelin orchestrée de mains de maître par Trent Reznor et Atticus Ross auquel s’attache la voix si particulière de Karen O ancre le film de David Fincher de plein pied dans la violence, le sexe, le crime et la cyberculture.  

Petite précision : au moment où je rédige ces lignes, la musique des Sieurs Reznor et Atticus tonne dans mon casque.  

Le long métrage est envoûtant, captivant, déconcertant, Prenant.

Fincher réussit son pari : passionner son monde. Fincher fait du Fincher et non pas du Oplev + Larsson revisité.

Dès les premiers instants nous faisons connaissance avec les deux figures de proue de l’œuvre : l’énigmatique Mikael Blomkvist (Daniel Craig) et la mystérieuse, dérangeante, inclassable Lisbeth Salander (Rooney Mara). La magie opère instantanément.

Fincher ordonne l’intrigue principale et les problématiques secondaires avec efficacité et savoir-faire et place ses pièces tel un maître d’échecs avec une précision diabolique. Les différents enjeux du film s’imbriquent avec une redoutable efficacité. Nous allons d’une question à l’autre (l’enquête policière, les relations Mikael-Lisbeth, le différent Blomkvist-Wennerström) sans y perdre notre latin. David Fincher équilibre les forces en présence si j’ose dire sans oublier sa mission première : nous en mettre plein la vue.

Ses personnages ont de l’épaisseur, les silhouettes secondaires ne sont pas sacrifiées sur l’autel de la facilité. En deux ou trois traits de caractères le génial réalisateur nous propose ses protagonistes sous leur meilleur jour. L’accessoire est laissé de côté et le sel de chaque être explose devant la caméra.

Le metteur en scène prend son temps pour nous mener sur le chemin de la vérité. Le scénario de Steven Zaillian, d’une précision chirurgicale, permet toutes les latitudes et libertés de mouvement.

"Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" prend son temps certes pour s’offrir à nous mais ne néglige pas pour autant l’efficacité dans l’image. A trois ou quatre reprises la tension explose littéralement à l’occasion de séquences démentes sur le fond et la forme (outre celle bien sûr du viol de Lisbeth Salander). Des instants savamment distillés précédés par une ambiance progressivement étouffante.  

Le sexe nous est présenté sans tabous ni fausse pudeur (vive les films américains où nous passons directement du premier baiser du samedi soir au petit-déjeuner du dimanche matin). Fincher se lâche sans avoir peur de choquer son monde. La scène du viol de Lisbeth Salander est emblématique à plus d’un titre : basique, crue, immonde. Je suis même surpris que les biens pensants du 7ème art américain n’ait pas censuré le film, même si au final l’œuvre a écopé d’une classification "R" aux Etats-Unis (soit interdit aux moins de 17 ans non accompagnés).

Le parti pris de filmer en Suède, plutôt qu’au Canada ou au nord des Etats-Unis, donne à l’ensemble un cachet d’authenticité et de véracité. Les noms de personnages, l’architecture, les costumes, la reconstitution de la Suède des années 60 où s’ancrent une partie des mystères de la famille Vanger, participent au phénomène de totale immersion du spectateur dans un univers qu’il fait sien. Nous nageons au beau milieu des eaux troublées d’une Suède incertaine, criminelle loin des cartes postales.

Les panoramas sont splendides. Tel un peintre impressionniste, David Fincher saisit le meilleur de chaque paysage et restitue par petites touches subtiles l’immensité glaciale et l’hostilité de certaines contrées.

Comme je l’ai déjà dit tout est une histoire de montage et de rythme. David Fincher découpe son propos comme seuls savent procéder les plus grands. L’alternance de moments faibles (en terme d’action seulement, n’oublions pas la qualité des dialogues et le charisme des protagonistes) et d’instants où tout s’échappe s’harmonise avec soin.

Les allers-retours entre le passé et le présent ne sont ni gratuits ni superficiels. L’intrigue prend sa source dans un passé lourd, chaotique même et trouve sa résolution dans un présent tout aussi calamiteux.

Je vais me parjurer ici et jouer au jeu des comparaisons entre les films pour souligner le seul défaut, ou plutôt ma seule insatisfaction, que je trouve dans la version de David Fincher et qui concerne la résolution des crimes de ces "hommes" justement "qui n’aimaient pas les femmes".

A mon sens le final est trop dense, trop rapide. La solution méritait certainement plus de didactisme. Le long métrage suédois de Niels Arden Oplev était incontestablement plus démonstratif et brillant dans ce domaine.

La maestria du metteur en scène est de rendre intéressant le moindre des aspects de son propos. Les cyber-recherches du tueur en série sont pour le moins captivantes.

La partition musicale composée par Trent Reznor et Atticus Ross est troublante. Les morceaux s’étirent en longueur ou résonnent comme de rapides uppercuts décrochés en un éclair. Les sonorités industrielles nous plongent dans une sorte de monde électro-accoustique et artificiel qui sied parfaitement aux images.

David Fincher n’est pas un idiot et a compris comme des millions de personnes que "Millenium" était Lisbeth Salander et que Lisbeth Salander était "Millenium". Sa Lisbeth est inclassable, iconoclaste, incontournable et nécessaire. Un être de pellicule qui s’approprie l’écran à chacune de ses apparitions.

Le spectateur est fasciné par ce petit bout de femme-enfant à la fois candide et profondément résigné sur la noirceur du monde qui l’entoure. Un personnage qui refuse les conventions, les règles édictées par la société. J’ai horreur du mot "rebelle" qui ne veut rien dire à mon sens (trop imparfait, trop générique car trop employé à tort et à travers). Lisbeth Salander obéit à Lisbeth Salander et c’est déjà beaucoup.

Il fallait forcément trouver une actrice avec des épaules solides. Si David Fincher s’était planté, nous pouvions passer à autre chose.

Rooney Mara est phénoménale. Elle s’approprie le personnage avec une incroyable autorité et une parfaite maîtrise. On est fasciné d'un bout à l'autre du film par sa capacité à prendre posséssion de cette fille au dragon tatoué. Un tour de force énorme.

Lisbeth Salander est décidemment un personnage qui porte chance à ses interprètes.

Noomi Rapace est sorti de l’anonymat scandinave (je sais c’est méprisant mais je vous parle du point de vue d’un cinéphile français) pour entrer dans la cour des grands d’Hollywood (et allez hop encore un lieu commun) à l’occasion de son travail sur la première trilogie cinématographique et il est clair que Rooney Mara va changer de statut.

A ses côtes il reste peu de place. Daniel Craig s’en tire avec les honneurs dans son rôle de journaliste réservé (avec son éternel regard bleu acier glacial). J’ai toujours eu de l’intérêt pour Stellan Skarsgård. Il incarne ici un salaud de la pire espèce qui se révèle parfois sympathique, un comble !!!

Yorick van Wageningen, interprétant Nils Bjurman le nouveau tuteur et violeur de Lisbeth Salander, est une révélation et une très bonne surprise. Fincher prouve par la même occasion que ses directeurs de casting sont très efficaces. "Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" est composé  d’un parterre de comédiens venus de pays et d’horizons très distincts. L’alchimie est plus que brillante.

Enfin j’ai une tendresse particulière pour Christopher Plummer dont la carrière et les rôles se bonifient avec les années.

Mon seul regret : Robin Wright manque cruellement de présence et de prestance. Sa relation très particulière avec Mikael manque de profondeur de champs. Je pense que c’est l’un des choix osés de David Fincher : sacrifier l’une des intrigues (amoureuses) secondaires pour ne pas perdre une partie des spectateurs en chemin. La trame étant déjà suffisamment arachnéenne, pas la peine d’en rajouter outre mesure.

"Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" est un long métrage majeur. Un régal pour les cinéphiles et les autres. Chacun y trouvera forcément un ou plusieurs centres d’intérêt.

Mais je me répète : voir le Fincher ne veut absolument pas dire qu’il faut rejeter tout ce qui a précédé. David Fincher a bénéficié d’un budget confortable, en adéquation avec ses ambitions et le "produit" final s’en ressent mais tourner le dos au passé serait à mon sens une pure hérésie.

Maintenant la question qui me taraude (comme des millions d’amoureux du cinéma) est la suivante : s’attaquera-t-il aux volets deux et trois de la saga livresque ? Le passé douloureux de Lisbeth Salander remontera-t-il à la surface ?

Il est vrai que "Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" donne très peu d’informations sur la jeunesse de notre héroïne, à l’exception d’une phrase sibylline qui résume à elle-seule Lisbeth Salander.

Mais tout cela n’est que conjecture. Avant cela David Fincher va s’attaquer à un Everest : "20 000 lieues sous les mers".

David Fincher est un homme qui aimait, aime et aimera le cinéma.


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