Lui, le narrateur, c’est un homme particulièrement désabusé. Il a connu deux divorces, deux échecs cuisants, qu’il ne comprend pas. Et voilà qu’à 50 ans, il a enfin reconstruit sa vie avec Charlotte, tout son futur, son espoir. Une femme de son âge qui n’a pas vu les années passer, se comporte comme une adolescente. Une blonde décolorée et sophistiquée. Elle fait le tour du monde sans lui, s’engage dans des relations intéressées, avec des notoriétés, des stars… Tout ceci sans se soucier de lui.
Mais voilà qu’un jour, un texto met le feu aux poudres… Le message qui apparaît sur le téléphone qu’elle a laissé traîner négligemment est sans ambiguïté. Au début, elle nie farouchement, mais ses assertions ne tiennent pas longtemps, elle finit par avouer, d’une manière désinvolte. Entre eux plus rien ne va, la méfiance s’installe, il la voit partout aux bras d’un autre, même son odeur n’est plus pareille.
« C’est la vieille odeur de l’adultère. Elle vous prend à la gorge. Il ne s’agit plus du parfum paisible, anodin, de la confiance. C’est une odeur tenace, violente, chafouine, une odeur qui n’ose pas dire son nom. »
Cet homme trompé nous emmène dans un tourbillon rageur… C’est lui qui écrit, une voix unique qui est celle de la colère…
« Quelle conne. De son écriture ronde et penchée, cette midinette avait recopié dans son carnet tous les textos qu’elle avait échangés avec le Vénitien. »
Le style est vif et direct, une sorte d’écriture automatique, qui passe parfois du je au il…
« La nostalgie l’étranglait. Il s’épuiserait à se souvenir. »
Et puis la colère passe doucement, amèrement …
« Elle était difficile à remplacer. Elle prenait du volume. Charlotte était un pluriel à elle toute seule. »
C’est toute l’histoire de l’infidélité dont, pour une fois, un homme est la victime. Le sujet peut paraître convenu a priori. Cette Charlotte est l’archétype de la femme frivole, la nymphette qui se joue des hommes, sans aucun état d’âme. C’est presque du cliché. Mais l’auteur parvient à tirer cette relation des sentiers battus, par une écriture qui décoche comme des poignards à chaque ligne. En cent pages à peine, il nous dresse un portrait vitriolé de cette relation bancale.
Ce roman fut pour moi la révélation que j’attendais. À contretemps de la hargne médiatique généralisée à l’égard des hommes, dopée par un féminisme d’arrière-garde, qui en devient ridicule à force de s’offusquer de tout, sauf des vraies causes. Après avoir enduré des pamphlets incessants sur les hommes, présentés comme fourbes et manipulateurs, après des litanies d’aigreurs à notre sujet, voici enfin un livre qui met en lumière la situation inverse, très courante. Cette femme rappellera de mauvais souvenirs à plus d’un homme. Que de blondes écervelées, parfois méchantes. J’ai longtemps cru que les gènes de la blondeur et de l’idiotie étaient conjoints. Mais j’ai aussi remarqué ceci : prenez une brune, décolorez-la, et du jour au lendemain, elle devient idiote. C’est un phénomène étrange…
Alors, ce livre, on l’adorera ou le détestera. La vision donnée est à sens unique, c’est celle de l’homme brimé, que tout lecteur ne partagera pas forcément. Tout dépend du camp où l’on se trouve. Homme de cinquante ans aigri. Ou jeune blonde revancharde. Je suis un quinqua amer, je lui mets donc
. Eussé-je été une femme, je lui aurais, peut-être, attribué un ou zéro… Ou un nombre négatif… J’ai épousé de bout en bout la douleur de cet homme, qui me rappelait en tout point la mienne. L’écriture au scalpel d’Eric Neuhoff est efficace.Mufle – Eric Neuhoff. Éditions Albin Michel
Date de parution : 04/01/2012