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Une métamorphose iranienne (Neyestani)

Par Mo
Une Metamorphose iranienne

Neyestani © Ca et Là - 2012

Le témoignage de Mana Neyestani débute en 2006. Il est alors dessinateur pour le compte d’un journal local iranien. Il propose chaque semaine un petit strip destiné à être publié dans le supplément jeunesse de l’Hebdomadaire. L’auteur mène jusque-là une vie sans grandes secousses, la principale difficulté est de faire face au manque d’inspiration, le fameux symptôme de la page blanche. Ce jour de 2006, une idée lui vient. Avant qu’elle ne se dissipe, il la couche sur papier. Il met en scène son personnage, un petit garçon espiègle, aux prises avec un cafard qui lui donne la réplique. Le strip est déposé à l’éditeur, validé par le rédacteur en chef. Dès le lendemain, quelques remous se font sentir. Ils ne cesseront de croitre dans les semaines suivantes.

« Le problème est que le cafard dessiné par Mana utilise un mot azéri. Les azéris, un peuple d’origine turc vivant au nord de l’Iran, sont depuis longtemps opprimés par le régime central. Pour certains, le dessin de Mana est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et un excellent prétexte pour déclencher une émeute. Le régime de Téhéran a besoin d’un bouc émissaire, ce sera Mana. Lui et l’éditeur du magazine sont emmenés dans la Prison 209, une section non-officielle de la prison d’Evin, véritable prison dans la prison sous l’administration de la VEVAK, le Ministère des Renseignements et de la Sécurité Nationale » (extrait du synopsis de l’éditeur).

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Une métamorphose iranienne (Neyestani)
Étonnant parcours auquel on accède par le biais d’Une métamorphose iranienne. L’auteur parvient parfaitement à relater les faits et leur caractère invraisemblable tout en évitant l’écueil du pathos. Le récit est construit de manière chronologique et montre l’engrenage dans lequel Mana Neyestani a été pris corps et âme. L’effet est d’autant plus frappant qu’il resitue d’emblée les conditions dans lesquelles il a réalisé le strip polémique. Les événements qui se déroulent ensuite nous permettent rapidement de prendre la mesure du décalage entre l’intention de l’auteur (sans arrière-pensées, à visée humoristique) et l’interprétation que les politiques en font. On voit l’effet pervers du système, on assiste à la construction de cette stratégie qui n’a qu’un objectif : la manipulation de l’opinion publique.

Une métamorphose iranienne (Neyestani)
Une métamorphose iranienne (Neyestani)
C’est en lisant la chronique de Jérôme que le souhait de découvrir cet album est né. Comme lui, j’ai été sensible au graphisme de Neyestani qui m’a fortement fait penser à celui de  Joe Sacco. Le trait donne vie à des personnages expressifs, les jeux de hachures importants servent aussi bien à construire les décors qu’à doser l’ambiance. Cette dernière fait appel à une palette assez importante d’émotions : impuissance des uns, perversité des autres, incompréhension, colère… La narration se développe sur la base de planches de 3 bandes. Si cette ossature sert de base à la majorité des planches de l’album, on est régulièrement face à une découpe plus agressive qui vient rompre un rythme routinier. Pas de lassitude dans cette lecture qui mêle pertinemment tant les faits et éléments “objectifs” que les projections inconscientes de l’auteur (fantasmes, peurs, extrapolations…) qui viennent renforcer le sentiment d’impuissante qu’a ressenti Mana Neyestani. Il a été pris dans un engrenage infernal.

On passe rapidement les premières inquiétudes (peur de ne plus avoir le droit de publier…) qui laissent place à la première audition qui mène à une détention provisoire d’un mois… Une situation inextricable, une détention qui s’étire dans le temps et sans que Mana puisse faire appel à une quelconque aide extérieure ; l’avocat de la défense en charge du dossier fait preuve d’une incompétence effarante…

Une métamorphose iranienne (Neyestani)
Cet album donne un regard sur les dysfonctionnements du système iranien, son sectarisme à l’égard de la liberté d’expression, son opportunisme et sa faculté à tirer profit d’un événement, même bénin.

Comment ne pas devenir fou après avoir vécu une telle expérience ?

Les chroniques de Jérôme et de David.

Extraits :

“Salaam, M. Neyestani. Je dois vous répéter combien je suis désolé de ce qui arrive. Nous pensons qu’il y a eu un malentendu, mais l’Azerbaïdjan ne l’entend pas de cette oreille. Mettez tout par écrit sans omettre aucun détail. Vous écrirez pourquoi vous avez dessiné ce cafard et utilisé un terme turc. Vous avez tout votre temps et un large stock de papier. Plus vous serez exhaustif, plus vous serez convaincant, plus vous vous rendrez service. (…) Nous poursuivrons notre conversation demain. Essayez de réfléchir à des motifs plus valides. (…) Pour nous, c’est le moment ou jamais de compléter nos registres avec ce que vous savez. Parlez-nous des dessinateurs iraniens que vous connaissez. Écrivez donc tout ce que vous savez sur eux” (Une métamorphose iranienne).

“La liberté, c’est votre frère qui vous attend les bras grands ouverts à la sortie de la prison. La liberté, c’est contempler tous les immeubles de votre ville à travers la vitre du taxi. Comme si vous les voyiez pour la première fois. La liberté, c’est rentrer à la maison et retrouver ceux qu’on aime” (Une métamorphose iranienne).

“- Combien de temps allez-vous nous garder ?
- Peut-être une nuit. Peut-être un mois” (Une métamorphose iranienne).

Une métamorphose iranienne

One Shot

Éditeur: Ça et Là

Dessinateur / Scénariste : Mana NEYESTANI

Dépôt légal : Février 2012

ISBN : 978-2-916207-65-0

Bulles bulles bulles…

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–à–

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