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Woré Ndiaye Kandji : Nous sommes coupables

Par Gangoueus @lareus
Woré Ndiaye Kandji : Nous sommes coupablesEn terminant la lecture de ce livre, je me demande « de quoi ? ». La question de la culpabilité est intéressante. Elle interpelle forcément. J’ai pu jauger cette dimension en lisant le regard perplexe de mes compagnons de wagon, dans mon RER, s’arrêtant sur le titre du livre de Woré Ndiaye Kandji. D’ailleurs, au lieu de parler des autres, j’ai moi-même été agacé par ce titre, même si je ne pense pas avoir de problème avec la question de la culpabilité. Mon agacement portait plutôt dans mon esprit sur l’idée d’un problème mal posé par l’écrivaine, sachant le pronom « nous » trop globalisant derrière l’accusation du doigt vengeur de la jeune écrivaine sénégalo-congolaise chargeant par son titre l’humanité entière d’une culpabilité à découvrir.
J’ai pris donc mon temps à la fois pour commencer cette lecture.
Nabou est une Camara. A dix-huit ans elle s’éprend de Lamine Diop, un beau parti, un homme brillant. Elle est instruite. Seulement, elle a une conception très précise de son engagement avec un homme et dans une société où la polygamie est une norme sociétale, elle demande à Lamine de renoncer à la cousine qu’on lui a déjà mis dans les pattes. Elle refuse donc de quitter la maison de son père pour rejoindre la cour commune de Lamine. Ils ont un enfant : Oumy. Cet homme continue de prendre soin de sa fille et se déplace pour maintenir un lien qui demeure par le biais de l’enfant après le clash de cette rupture.
Woré Ndiaye Kandji : Nous sommes coupables
Le livre commence au moment où Nabou découvre le classeur oublié d’une jeune femme, Ganegui, amie de sa fille venue d'Amérique du nord, dans lequel cette dernière y a décrit sa vision du monde et de nombreuses réflexions sur le monde qui l’entoure et en particulier sur la condition de la femme. L’essentiel du roman est porté sur le discours enflammé de la « Linguère » sur toutes les attitudes, toutes les postures, tous les renoncements de la femme dans la société sénégalaise et plus généralement en Afrique. Le discours incantatoire de la « Linguère » accuse à la fois la femme d’avoir délaissée son rôle de poteau central, de reproduire les modèles patriarcaux dans l’éducation des mâles de la famille. Elle fustige naturellement ces mêmes femmes qui se plaignent ensuite d’être la victime des hommes, de leurs violences. Elle s’attaque aussi celles qui ne conçoivent pas la vie sans un homme et se jettent dans les bras du premier venu pour se défaire du « qu’en dira-t-on ? » oppressant sur le cas d’une vieille fille… La « linguère » lance ses anathèmes à tout-va, en toutes directions, disant parfois tout et son contraire, et, disons-le, ce n’est pas l’aspect le plus plaisant du roman (ou essai), car elle emploie le « nous ». Le problème est que ce procédé fonctionnera avec des sénégalais qui se reconnaîtront dans certaines situations mais il est plus délicat pour une personne qui ne perçoit qu’un aspect des choses ou y est totalement étranger. Le « nous » appelle à une identification forcée alors que pour de nombreuses situations, les personnes interpellées sont des femmes coupables selon l'auteure de ne pas faire les bons choix. Comme je ne suis ni sénégalais, ni une femme, vous comprenez la difficulté que j’ai eu avec ce roman qui sous certains aspects prend la forme d’un essai.
C’est à ce niveau qu’il faut rappeler que ce texte est avant tout la lecture que Nabou Camara fait du discours de la Linguère. Ce qui est assez étrange, c’est que l’on pourrait penser que Nabou Camara fait partie des femmes révolutionnaires qui ont décidé d’aller à l’encontre du système établi et ayant décrété que pour leur vie, ce sera un homme à elle seule ou rien. Rupture fondamentale. Nabou a fait un choix qui horripile les femmes de la concession de son père.
Pourtant, et c’est là où ce livre montre le profond embarras de la femme sénégalaise sur ces questions et qui se traduit, de mon point de vue, dans la production littéraire féminine de ce pays, la dernière phase du roman inculpe Nabou et ses choix égocentriques. Woré Ndiaye Kandji y fait l’apologie d’une conception plus globalisante de l’amour qu’elle appelle le Ngor. Mes amis sénégalais comprendront de quoi il s’agit. Un concept qui permet une plus grande ouverture (surtout de la femme) dans sa relation avec l’homme. Concept aux antipodes de l'approche de Nabou.
Le final est donc intéressant. Puisque c’est Nabou qui est coupable et le lecteur plus léger. Oh ! Croyez-moi, quand je vous ai révélé cela, je n’ai rien dit sur les rebondissements du texte dans sa dernière partie.
Au-delà du style, de l’écriture qui mériterait une plus grande attention, ce livre offre une réflexion, un point de vue qu’il est nécessaire d’analyser. Une approche réactionnaire, une apologie d’un modèle patriarcal fait par une femme vivant loin de ce système, qui n’en subit directement que très peu les conséquences et qui me laisse songeur. Mais n’est-ce pas le but d’un texte que de nous laisser suer dans nos réflexions ? C’est mieux que l’indifférence.
Bonne lecture.
Woré Ndiaye Kandji, Nous sommes coupables
Editions Phoenix, 1ère parution en 2011
Source photo - Woré Ndiaye Kandji

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