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Les premiers grands couturiers du XXe siècle : une révolution vestimentaire en douceur.

Par Richard Le Menn

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Photographie 1 : Double page intérieure du livre de Paul Poiret intitulé En Habillant l'Époque, ‎Paris, Grasset, 1930, 16ème édition qui dévoile le succès de cet ouvrage puisque la première édition date de la même année.

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Photographie 2 : Eau-forte aquarellée de Roger Broders (1883-1957) provenant du Journal des dames et des modes, édité à Paris « Au bureau du Journal des dames » du 1er juin 1912 au 1er août 1914. Cette planche n°29 est de 1912, avec pour légende : « Costumes parisiens. » « Robe et Toque de velours de soie ... ». Dimensions du papier : 22,4 x 14,3 cm. Celui-ci est vergé et ressemble tout à fait à celui des gravures du Journal des dames et des modes de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Le filigrane même paraît d'époque. Cette nouvelle édition du début du XXe siècle reprenant celle du Directoire est un des exemples montrant combien la mode du début du XXe siècle s'inspire de celle de la fin du XVIIIe avec derechef l'abandon du corset et des lignes plus droites et simples, de hautes aigrettes etc.
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début du XXe siècle est une époque riche, notamment en ce qui concerne la mode. On y assiste à une véritable révolution dans l'habillement avec la 'libération' du costume féminin portée par quelques couturiers de renom. Paul Poiret (1879 - 1944) est peut-être le plus célèbre d’entre eux. En abandonnant le corset vers 1906 et en remontant la taille des robes, il redonne à la femme des allures de merveilleuse du temps du Directoire (1795-1799). Comme il le dit lui-même, il réintroduit de la couleur dans les vêtements qui sont avant dans des tons pastels. Les cheveux courts reviennent de mode ; et la silhouette ‘déglinguée’ et libre des années folles (entre deux-guerres) est déjà d’actualité vers 1908. Dans la mode, les influences multiples (russes, orientales, africaines …) côtoient des techniques nouvelles et un art qui bouscule de plus en plus les conventions. C’est le début des grands couturiers qui sont autant des hommes que des femmes  :  Jeanne-Marie Lanvin (1867-1946), Jeanne Paquin ( 1869-1936), Doucet Madeleine Vionnet ( 1876-1975), Gabrielle Bonheur Chanel dite « Coco Chanel »
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(1883-1971) … ; et chez les hommes : Georges Doeuillet, Jean Patou (1887-1936) ou Jacques Doucet ( 1853- 1929). Cette haute couture dont Charles Frederick Worth (1826-1895) est l'initiateur est plutôt une « industrie de la grande couture » comme l'appelle Paul Poiret. La grande (ou haute) couture a toujours existé en France ; mais c'est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle qu'elle prend de nouvelles marques. Le dialogue avec la rue et surtout le client sont beaucoup moins importants. Le grand couturier est un artiste qui lance ses propres collections avec des modèles  préparés à l'avance. Du reste les petits-maîtres s'éclipsent. Cette mode inventée par ces artistes entrepreneurs semble se démarquer de l'invention populaire et des bécarres et autres cocodettes. Mis à part les garçonnes des années folles et des artistes comme les montparnos ou les surréalistes (qui n'ont du gandin souvent que l'esprit moderne), il est difficile de distinguer les nouveaux gommeux et les nouvelles crevettes dans la mode, jusqu'à l'avènement des zazous et des existentialistes. Même par la suite la petite maîtrise se fait rare jusqu'à devenir absolument inexistante aujourd'hui. Les grands magasins d'abord, la haute couture ensuite, puis le prêt à porter, laissent beaucoup moins de place qu'auparavant à l'imagination et à la création individuelle dans la mode la faisant devenir purement commerciale.
Photographie 3 : Image de la revue Le Monde illustré de Noël 1913 avec pour légende : « Fière, originale, gracieuse et sportive, telle est la Parisienne d'aujourd'hui. (Composition de René VINCENT). » Le sport est de plus en plus à la mode dans le dernier tiers du XIXe siècle. Avec l'apparition des voitures à moteur, celui-ci est de moins en moins équestre.
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Au début du XIXe siècle, des images de mode représentent des femmes jouant au tennis dans des tenues ressemblant à celles portées en ville (corset, chapeau etc.). Évidemment cela ne pouvait durer : la mode devant s'adapter aux nouvelles exigences.
Photographie 4 : Photographie de la même revue que ci-dessus (1913) avec pour légende : « Modèle de Buzenet (Saint-James). (Phot. MANUEL). Jupe en ondoyant péplum noir. Tunique en mousseline noire à bandes de tulle perlé de perles blanche. Ceinture noire. Corsage très souple en dentelle blanche. » D'après Raymond Gaudriault (cf. La Gravure de mode féminine en France) c'est en 1880 que la première photographie de mode est publiée dans la revue L'Art et la Mode. Cette expérience unique n'est pas renouvelée avant 1891 avec La Mode pratique.
Photographie 5 : Dans cette autre image du même magazine, la jeune fille porte les cheveux courts, une simple chemise et une jupe-culotte.
Au temps de Paul Poiret, la nouvelle féminité est active, libre et sportive. Les cheveux sont courts ou portés en chignons avec de simples décorations : bandeaux, toupets parfois très hauts. Ces aspects mélangés à la taille haute, aux drapés vaporeux et à la transparence de certains tissus rappellent les merveilleuses du Directoire. Mais si les bottines de la seconde moitié du XIXe siècle disparaissent, les talons restent d’actualité, ce qui donne aux femmes une autre silhouette que celles des merveilleuses, particularité que les chapeaux cloche accentuent. La silhouette forme ainsi des courbes qui rappellent celle de l'Art nouveau de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Cette mode annonce de plus l'Art déco. Quelques femmes commencent à porter des pantalons encore très rares. Certaines s’habillent en hommes avec costume et cravate. Paul
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Poiret crée la jupe-culotte et la ‘jupe entravée’. Cette mode des grands couturiers est véhiculée par des magazines qui s'inspirent de revues anciennes. Le titre et la présentation du Journal des dames et des modes du Directoire est repris, de 1912 à 1914,  pour présenter les nouvelles merveilleuses (photographie 2). Celle intitulée Modes et manières d'aujourd'hui (1912-1923) rappelle Modes et manières du jour de Debucourt. La Gazette du Bon Ton (1912-1925) fait aussi écho à une publication antérieure.
Cette mode d''après la Belle époque et d'avant la première guerre mondiale ressemble donc beaucoup à celle des années folles de l'entre deux guerres. La principale différence est peut-être le raccourcissement des robes qui restent auparavant encore longues et cachant toute la jambe, comme cela est le cas au temps des merveilleuses du Directoire. Cette époque d'avant la première guerre mondiale marque beaucoup la mode et est à l'origine de celle du XXe siècle jusqu'à maintenant avec l'abandon du corset, l’apparition du soutien-gorge, la décontraction et la simplicité dans l'habit, la 'garçonnisation', l'abandon des falbalas et autres fanfreluches, les cheveux souvent courts, les chapeaux de moins en moins importants etc. Par contre les principaux éléments de la mode des habits féminins de 1900 et d'avant ont presque disparu de la vie courante. Ce n'est pas le cas pour la mode masculine qui change peu pendant les XIXe et XXe siècles avec la tenue du  costume classique : cravate, veste, gilet, pantalon, chaussures à talons.
Les révolutions des arts décoratifs et en particulier de la mode nous prouvent que l'on peut faire changer les choses sans brutalité. Il est possible par exemple de construire un monde de paix, de beauté, d'intelligence et de liberté sans avoir à utiliser la violence, de la même manière que le soleil n'a pas besoin de notre regard pour briller.
Photographies 6 et 7 : Deux images de mode provenant de revues du début du XXe siècle. Celle de gauche est d'août 1904 et celle de droite de novembre 1905. On le voit les habits sont très différents de ce qui apparaît à partir de 1906.
Photographie 8 :  Image de la revue Le Monde illustré de Noël 1913.

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© Article et photographies LM


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