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Interview de Eli Esseriam

Par Archessia

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Ceux qui suivent ce blog depuis au moins quelques semaines savent que je voue un culte assez récent à la nouvelle série Apocalypsis (preuves irréfutables ici et ).

Ces titres m'obsèdent, j'en parle à tout le monde, j'en vante les mérites dès que je peux et j'en ai même rêvé 2-3 fois. Si si.

Du coup, je commençais à développer une certaine admiration pour Eli Esseriam, qui a écrit ces petits bijoux.

Prenant mon courage à deux mains, après bien des hésitations, j'ai contacté la demoiselle et, ô bonheur, a accepté de me consacré un peu de son temps.

J'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à écrire les questions de cette interview, et j'en ai éprouvé encore bien plus à la lecture des réponses.

J'espère sincèrement que vous apprécierez de lire cet échange qui me tient à coeur, et si ce n'était pas encore le cas, qu'au moins il vous donne envie de lire les excellents Apocalypsis.

Trêve de blabla, et passons au ... heu ... blabla professionnel !

Interview de Eli Esseriam

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Je me souviens avoir pensé « Ce sont des adolescents. Il faut être adolescent pour être absolu. Ce sont des adolescents ! ».

Archessia : Bonjour Eli. Tout d’abord, je tiens à te remercier chaleureusement pour avoir accepté cette interview. C’est une joie et un honneur pour moi. 

Pour commencer, pourrais-tu te présenter  aux lecteurs s’il te plaît ? 

Eli : Ah mais je suis nulle pour les présentations… Ce qui serait au moins une entrée en matière honnête : Bonjour, Eli Esseriam, je suis nulle pour les présentations mais je me rattrape un peu au niveau de la conversation. Plus sérieusement : je m’appelle Eli Esseriam, je suis une infirmière ordinaire de 28 ans qui écrit un peu, de temps en temps, pour échapper à l’ennui. Ou à la réalité. Quoique : ça revient au même non ? 

Archesia : Apocalypsis sont tes premiers titres publiés. Sont-ils tes premiers textes ou  as-tu écris autre chose avant ? 

Eli : J’ai écrit deux ou trois (mauvais) romans que je n’ai montré à personne, ou presque, et surtout des textes pour des albums. A la base, mon envie était d’écrire des livres pour enfants. Je suis très très amoureuse de ce format. Je ne désespère pas d’y arriver. 

Archessia : Pourquoi l’Apocalypse ? Comment l’idée et l’envie te sont-elles venues ? Savais-tu, dès le début, comment tout cela allait se terminer ? 

Eli : J’ai été élevée dans une culture très catholique. On m’avait offert la Bible illustrée pour enfants, quand j’étais petite. Ce qui n’était pas fatalement le cadeau dont je rêvais. Mais, d’un strict point de vue littéraire, la Bible regorge d’histoires totalement fantastiques, de héros prodigieux, de personnages romanesques troubles, d’épopées merveilleuses. Je ne peux que conseiller sa lecture à qui serait en mal d’inspiration...

Bref, du fait de cette instruction religieuse, les Cavaliers de l’Apocalypse me sont familiers depuis toujours. Ayant été une adolescente d’une docilité folle et d’une discrétion confondante ( !), ma famille avait pour habitude de dire « tiens, le restant de la colère de Dieu arrive », en me voyant débouler. Ou encore « tu fais plus de bruit à toi toute seule que les 4 Cavaliers de l’Apocalypse ». Un matin où je devais être particulièrement fatiguée des annonces de Fin du Monde, j’ai pensé à eux et je me suis demandé à quoi ils pourraient bien ressembler. Je me souviens avoir pensé « Ce sont des adolescents. Il faut être adolescent pour être absolu. Ce sont des adolescents ! ». J’ai tout de suite eu envie de leur donner un visage, une identité, un passé et un univers.

J’ai téléphoné à Fred Ricou et on s’est mis à faire des plans sur nos quatre comètes. On pensait savoir comment tout se finirait, dès la base, mais on se trompait. Je crois que c’est rarement l’auteur qui emmène son livre quelque part. C’est le livre qui conduit l’auteur là où il le veut. 

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C’en est terminé des personnages consensuels, lisses et politiquement corrects.

Archessia : As-tu dû faire des recherches spécifiques pour cette série ? 

Eli : Oh oui… Et d’ailleurs, c’est sans doute ce que j’aime le plus. Chercher, emmagasiner des faits, collecter des données, avoir envie de tout mettre mais devoir choisir. Et donc renoncer. Pour Alice, c’était assez facile, parce que toutes ses références, ses inclinaisons, ses goûts, sont substantiellement les miens. Je n’ai pas à réfléchir pour parler d’Henri IV, de Botero, de Toscani ou du syndrome d’Asperger. 

Pour Edo, c’était très différent. Je devais faire mienne une culture qui n’est pas du tout la mienne, parler avec passion et douleur d’un pays que je ne connais que par le récit de mes amis. Je remercie encore Vanja Bojanic qui, le premier, a su me faire aimer la Bosnie. Sans ses conseils, ses indications et son regard, Edo n’aurait pas été le même. 

Pour Max, c’était encore autre chose. Il est de culture germanophone. Etant née en Alsace, je n’ai pas eu à faire un effort d’imprégnation particulier. C’était assez évident. 

Elias est définitivement celui qui m’a demandé le plus lourd travail de recherche… C’était parfois très pointu. Un véritable casse-tête. Vous verrez peut-être pourquoi… 

Quoi qu’il en soit, ils m’ont tous beaucoup appris… 

Archessia : A quel Cavalier t’identifierais-tu le plus ? Comportent-ils tous une part de toi ou de personnes que tu connais ? Et as-tu une préférence particulière pour un de tes cavaliers ? 

Eli : LA question. Je me suis beaucoup amusée à placer les personnages de ma vie, c’est vrai. Ceux que j’aime comme d’autres que je n’apprécie pas du tout, d’ailleurs. C’était un plaisir tout à fait solitaire et franchement délectable. Apocalypsis regorge de clins d’œil, de références, d’anecdotes tirées de mon propre petit univers… 

Parmi mes amis qui ont lu Alice, le premier commentaire spontané était récurrent. « C’est tout à fait toi ! J’ai l’impression de t’entendre parler ! » Il est vrai que j’ai donné à Alice mon Virgile, mes Paul et Barbara Naulin, ma Marie Létang… Mais, concrètement, je ne pense pas qu’Alice soit celle qui me ressemble le plus. Elle est ce que j’aurai pu être si la vie avait été moins douce envers moi. Disons qu’elle est Eli². 

Edo est manichéen, sanguin, colérique. Comme je pourrais l’être si je ne buvais pas des litres de thé et que je ne lisais pas des proverbes tibétains avant de sortir de chez moi... J’ai fait de lui quelqu’un de libre, d’affranchi. Moi qui passe un temps certain à prendre sur moi, à me frustrer, à peser mes mots et réfléchir au sens que je veux leur donner, c’était totalement jouissif de pouvoir balancer tout et n’importe quoi, sans me censurer. Edo est ma part sombre, sans doute. Et ma part tendre, à la fois. 

Max me doit sans doute son côté torturé. Il fait semblant, tout le temps. Il mime l’assurance, il joue la popularité, il simule le bien-être. Tout le monde le trouve charismatique, solaire et enviable. Tout le monde sauf lui-même. Il est très entouré mais il est profondément seul. Ce qui n’est pas le cas d’Alice et Edo qui sont, eux, solitaires. 

Enfin, Elias tient de moi sa vie intérieure. Il se passe tout un tas de choses dans sa vie, dans sa tête et ça reste totalement insoupçonnable, invisible aux yeux du monde. Comme moi, il réfléchit beaucoup trop, il se surveille, se limite, s’empêche. Par égard pour les autres. Il veut bien faire, Elias. Enfin, surtout, il ne veut pas faire mal, ce qui est un peu différent. Il a sans doute ma sensibilité, ma tendance à être nostalgique avant l’heure. 

Mais je me reconnais aussi en Aaron, en Iris Land, en Chazeranne, même… Même les êtres les plus contraires ont des choses en commun.  Et oui, j’ai un Cavalier préféré. Sauf qu’il change en fonction de mon humeur du jour… 

Archessia : Alice, surtout au début, est fortement antipathique et beaucoup de lecteurs l’ont même détestée. Edo est ultra violent et assez vulgaire. C’est un pari risqué de faire des personnages si contraires à l’image du héros de roman jeunesse. N’avais-tu pas peur que ça brusque les lecteurs ? Ou au contraire, espérais-tu les bousculer un peu ? 

Eli : Je crois que je n’aurai pas pu les faire différents. Je suis quelqu’un qui s’ennuie très vite. Quand j’ouvre un bouquin et que j’apprends dès le premier paragraphe que l’héroïne s’appelle Jessica/Cassandra/Shannon, qu’elle est gentille/douce/adorable en plus d’être belle à en crever/magnifique qui s’ignore/canon sans se la jouer, que ses parents ont eu deux enfants virgule trois, qu’elle réussit en cours tout en faisant du tennis depuis huit ans et qu’elle expose ses toiles à l’occasion, que ses cheveux sont toujours nickel, son teint parfait et son haleine fraiche un soir de raclette, je baille déjà.

C’en est terminé des personnages consensuels, lisses et politiquement corrects. Ils ne sont pas du tout représentatifs de notre société. De notre réalité. Nous vivons une époque fortement antipathique, détestable parfois, ultra violente souvent et assez vulgaire. Je dirai même qu’il nous arrive à tous d’être antipathique, détestable, violent ou vulgaire. Dans nos paroles, nos attitudes, nos envies. C’est humain. Voilà peut-être la différence entre une Jessica et une Alice, entre un Jason et un Edo : les premiers sont des personnages de fiction, les seconds sont des êtres humains. Quoi qu’on en dise… 

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C’est vrai que je suis totalement chauvine :  j’estime que nous, français, possédons la plus belle et grande langue de l’univers, voire du cosmos.

Archessia : Ce qui marque également dans tes livres, c’est ta plume, à la fois fluide et élégante, sophistiquée et imagée, subtilement travaillée mais jamais prétentieuse (oui, je suis fan, j’assume). On y sent un véritable amour des mots et de la langue française. Est-ce un style que tu as voulu développer pour Apocalypsis ou est-ce simplement ta « patte » que l’on retrouvera dans tes prochains écrits ? 

Eli : D’abord merci ! Je laisserai un mot, quelque part, pour signifier mon souhait que ce soit toi qui fasse mon éloge funèbre, au besoin…

C’est vrai que je suis totalement chauvine :  j’estime que nous, français, possédons la plus belle et grande langue de l’univers, voire du cosmos. Aussi, j’ai souvent envie, tel un Œdipe des temps modernes, de me crever les yeux lors de certaines lectures… Je suppose que mon style est celui qu’on trouve dans le tome 1. Parce que, pour m’exprimer comme un Edo, un Max ou un Elias, il fallait modifier la forme, travestir l’ensemble, déguiser un peu mes mots. Quoique… En vérité, je ne sais pas. J’ignore tout à fait ce qui transparaitra dans mes futurs projets, si tant est qu’il y en ait. On verra ! C’est bien de se laisser surprendre, non ? 

Archessia : Les quatre premiers tomes sortent à des dates assez rapprochées. Sont-ils prêts depuis longtemps ? 

Eli : Je m’étais donnée un an pour boucler Apocalypsis. J’ai écrit les quatre premiers tomes en me donnant 2 mois environ pour chacun d’entre eux. Le dernier, le cinquième, traine un peu… J’y travaille encore. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus confortable, écrire tout en ayant une autre activité professionnelle chronophage et moralement épuisante… Mais Max et Elias sont prêts, ou quasi. Mon charmant éditeur et son équipe doivent être en train de finaliser les ultimes corrections… 

Archessia : Les couvertures sont très appréciées des lecteurs. Elles sont superbes et vraiment représentatives de l’ambiance de tes livres. Peux-tu nous dire deux mots sur celles-ci et leur illustrateur, Aurélien Police ? As-tu eu ton mot à dire sur leur création ? 

Eli : Ah… Aurélien Police… Pour la petite histoire, j’avais très peur de ce qu’on ferait d’Apocalypsis, niveau couvertures. Je trouve la plupart des illustrations de romans ados atroces. Fred Ricou arguait du contraire et m’a dit un jour « Non ! Regarde le travail d’Aurélien Police, par exemple, c’est superbe ! ». J’ai regardé, j’ai trouvé ça superbe et je ne voulais naturellement plus que lui. Je lui ai écrit pour lui parler du projet et lui dire à quel point je tenais à travailler avec lui. Il a été merveilleux, du début à la fin. Totalement disponible, d’une humilité rare, d’une gentillesse folle aussi. Il a beaucoup travaillé, il s’est adapté aux souhaits de mon éditeur, il s’est remis en question. Nous échangions beaucoup : il me demandait comment j’imaginais mes héros, ce que je tenais à voir apparaitre, il m’envoyait ses essais, ses idées. Quand j’ai vu son enthousiasme, son sérieux et son investissement, j’ai lâché prise : je lui faisais, et je lui fais, totalement confiance.

C’est extraordinaire, presque magique, de regarder une image conçue et pensée par un autre, et se dire « c’est tout à fait Alice ! » ou « Je n’imaginais pas Max autrement… ». Je suis excessivement honorée qu’il fasse partie de l’équipe et j’ai vraiment hâte de découvrir ce qu’il nous concoctera pour le dernier tome... Aurélien, Fred Ricou et Hicham Ayoub Bedran, mon éditeur, ce sont un peu mes trois autres Cavaliers à moi… 

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La musicalité des mots, c’est très important.

Archessia : Ces derniers temps, on voit de plus en plus de jeunes auteurs percer, et d’apprentis écrivains voulant se faire éditer. Peux-tu nous parler de ton parcours ? As-tu des conseils pour ceux qui chercheraient à se faire éditer ? 

Eli : Il faut avouer que je suis très privilégiée : j’ai rencontré Fred Ricou, ce qui reviendrait à tirer une carte chance, et toucher 20 000 francs sans passer par la case départ, si la vie était une partie de Monopoly. Sans lui, Apocalypsis n’existerait pas, ça, c’est une certitude absolue. Il fait un véritable travail d’agent, de conseiller artistique et surtout d’ami (parce qu’être mon ami est véritablement un travail à plein temps et très mal rémunéré, en plus…). Je manque de tout ce qu’il faut à un jeune auteur qui espère être publié : la patience, la patience et la patience. De fait, Fred Ricou me prête souvent un peu de la sienne, qui semble inépuisable. Je l’ai torturé, tyrannisé, malmené et agacé, voire atomisé. Et il est resté quasi imperturbable,  serein et fidèle. Il est resté tout court. Il a énormément de mérite et gagne à être connu… 

Donc, des conseils ? De ma part ? Voyons : ce n’est pas sérieux ! Ah si, quand même un : ne jamais céder aux sirènes de l’autoédition. C’est du discrédit, de l’amateurisme et du bas de gamme en pagaille. De plus, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », et quelle gloire y a-t-il à payer pour être publié ? Comme dirait le Che, « Soyez exigeants : demandez l’impossible. ». 

Archessia : As-tu des idées pour d’autres romans après Apocalypsis ? 

Eli : Non. Enfin… Disons que non, c’est plus sûr. 

Archessia : As-tu une petite anecdote à partager avec nous concernant Apocalypsis ? As-tu des habitudes, des rituels d’écriture, de dédicaces, etc ? 

Eli : Voyons… Je ne peux pas avancer tant que Fred n’a pas validé un chapitre. Ce qui est assez handicapant pour lui comme pour moi. Mais c’est ainsi ! J’ai une « playlist » spéciale Apocalypsis et propre à chaque Cavalier. C’est très aidant pour s’immerger dans un univers autre que le sien. J’écris donc parfois en musique et ce sont généralement les meilleurs passages. Et puis je relis à voix haute tout ce que j’écris. La musicalité des mots, c’est très important. 

Archessia : Quels sont tes auteurs favoris, ou les titres qui t’ont vraiment marqués ? 

Eli : Je voue un culte à Kundera, ça va finir par se savoir… Il est simplement immense. Si je le croisais, je pense que je tomberai à genoux, en parfaite ersatz de Bernadette Soubirous. Je suis sensible aux titres comme d’autres le sont aux fleurs ou aux carats. Qu’on m’offre un joli titre et le tour est joué. Du coup, « L’insoutenable légèreté de l’être », de Kundera, « le potentiel érotique de ma femme » de David Foenkinos, « Le magasin des suicides » ou « Charly 9 », de Teulé, « De l’inconvénient d’être né », de Cioran, « Extrêmement fort et incroyablement près », de J. Safran Foer, « Stupeur et tremblement » de Nothomb, « les racines du ciel » de Gary, « Cent ans de solitude » de Marquez, « Résurrection » de Tolstoï, « Le liseur » de Schlink, tout ça ne peut que me plaire. Il y en a tellement d’autres… Une collection toujours incomplète. 

Archessia : Et pour terminer, le mot de la fin ? Que dirais-tu pour donner envie aux lecteurs de se plonger dans Apocalypsis ? 

Eli : Je dirais « Il parait que Michael Jackson est deg’ d’avoir raté ça… Mais dès que Martin Luther King l’aura lu, après l’avoir lui-même emprunté  à John Lennon, Bambi pourra le récupérer. Eh oui : c’est une série homologuée dans l’au-delà, Dieu seul sait comment et pourquoi… »

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J'envoie des brassée entières de mercis à Eli, pour sa disponibilité, sa franchise et sa sympathie.

Ce fut une expérience géniale, et j'espère que vous avez eu autant de plaisir à lire cette interview que moi à la préparer.

Quelques liens pour compléter cette interview :

Le superbe dossier de presse d'Apocalypsis.

Le site d'Apocalypsis, avec extrait et magnifique vidéo.

Les Histoires Sans Fin, site de Fred Ricou.

Le Blog d'Aurélien Police, illustrateur des couvertures.


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